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Les prairies, des habitats clés pour la biodiversité dans les paysages

4.1Multifonctionnalité des prairies

Les prairies sont le support d’un grand nombre de fonctions et agrègent des enjeux environnementaux, agronomiques et sociétaux. Outre leurs fonctions agronomiques liées à la production de fourrage ou au pâturage, les prairies assurent des fonctions de régulation importantes, telles que la limitation de l’érosion des sols, la séquestration du carbone et l’immobilisation de l’azote (Lemaire, Wilkins & Hodgson 2005), ainsi que des fonctions patrimoniales liées à la conservation de l’esthétique du paysage (Fig. 11) (Hopkins & Holz 2006). De plus, les prairies se distinguent radicalement des cultures annuelles puisque le niveau et la fréquence des perturbations y sont plus faibles. Dans les paysages agricoles en

particulier, la durée de vie des prairies est, dans la majorité des cas, bien supérieure à celle des cultures annuelles qui subissent chaque année une destruction totale par le labour. Ainsi, la structure de l’habitat prairial et la quantité de ressources disponibles y sont plus stables. De ce fait, les prairies constituent des habitats sources importants, qui permettent le maintien de la biodiversité (Newbold et al. 2016) et des services écosystémiques (Larsen et al. 2005; Chaplin-Kramer et al. 2011; Garibaldi et al. 2011; Newbold et al. 2015) non seulement dans ces milieux mais aussi dans la matrice paysagère. Les prairies abritent des communautés d’arthropodes diverses qui assurent de nombreuses fonctions comme la pollinisation, le contrôle biologique ou sont le support des réseaux trophiques. Ces fonctions sont assurées au-delà du périmètre de la prairie et contribuent au fonctionnement de l’agroécosystème dans son ensemble. Il a par exemple été montré que le service de pollinisation dans les cultures annuelles était plus impacté par la quantité de prairies dans le paysage que par l’intensité des pratiques agricoles à l’échelle locale (Garibaldi et al. 2011).

Figure 11. Prairie et esthétique du paysage. Les prairies dans l’œuvre de Claude Monnet.

Bien que le rôle multifonctionnel des prairies soit largement admis (e.g. Lemaire et al.

2005; Hopkins & Holz 2006; Garibaldi et al. 2011), il reste aujourd’hui peu quantifié. Par ailleurs, toutes les prairies ne contribuent pas de façon équivalente à la réalisation des fonctions écosystèmiques. Cette contribution dépend notamment de la diversité des communautés végétales en place (Hopkins & Holz 2006; Cardinale et al. 2012), c’est-à-dire de la qualité des habitats. Ainsi, des communautés végétales diverses sont plus aptes à maintenir différentes fonctions écologiques comme la production primaire, la couverture végétale, la structure du sol (Tilman & Downing 1996; Spehn et al. 2005; Roscher et al.

Introduction

leur tour différentes fonctions (Schaffers et al. 2008; Scherber et al. 2010; Rzanny, Kuu & Voigt 2012; Deraison et al. 2015a). En effet, des communautés de plantes diverses sont structurellement complexes et offrent spatialement et temporellement une plus grande diversité de niches, en terme de ressources mais aussi de microclimat et de protection vis-à-vis des prédateurs, ce qui peut favoriser la diversité par ces processus de complémentarité de niche.

4.2Des habitats qui n’échappent pas aux effets des changements d’utilisation des terres

Les changements d’utilisation des terres affectent tous les biomes mais les prairies sont particulièrement concernées (Sala et al. 2000) et la biodiversité dans ces milieux est extrêmement menacée (Fig. 12). Dans une étude récente, Newbold et al. (2016) ont montré que la diversité spécifique est en moyenne 20% plus faible dans les prairies gérées intensivement que dans les prairies gérées de façon extensive.

Figure 12. Biodiversité qui n’a pas été impactée par les changements d’utilisation des terres en termes d’abondance totale (à gauche) et de richesse spécifique (à droite) pour chacun des 14 biomes terrestres (Extrait de Newbold et al. 2016).

décennies (Fig. 13) (WallisDeVries, Poschlod & Willems 2002; Kormann et al. 2015). Dans la zone atelier « Plaine et Val de Sèvre » située en aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, première région agricole de France, les prairies occupaient 60% des parcelles agricoles en 1970 tandis qu’elles n’occupent aujourd’hui plus que 12% de la surface. Ajouté à cela, les prairies gérées de façon extensive ont été progressivement remplacées par des prairies productives gérées intensivement et semées avec un faible nombre d’espèces ayant des traits similaires (e.g. forte tolérance à la fauche, courte période de floraison, forte vitesse de croissance) (Wesche et al. 2012). Par ailleurs, les pratiques de gestion se sont intensifiées et les perturbations sont de plus en plus fréquentes. Notamment, les prairies sont intégrées dans les rotations culturales et leur durée de vie est de plus en plus courte, ce qui peut affecter la diversité des communautés locales (Fukami et al. 2005). De nombreuses études ont cherché à décrire les effets de l’intensification de ces pratiques sur la diversité spécifique ou fonctionnelle des prairies et elles montrent assez généralement un effet négatif (Zulka et al.

2014; Allan et al. 2014; Kormann et al. 2015; Blüthgen et al. 2016). Cependant, les réponses des différents taxons sont souvent idiosyncratiques et peuvent être divergentes. Par exemple, l’augmentation du nombre de fauches dans une prairie a des effets négatifs sur les herbivores, les lépidoptères et les araignées, tandis qu’elle n’a pas d’effets, voire des effets positifs sur les hyménoptères et les coléoptères (Wilson et al. 1999).

Introduction

Figure 13. Evolution de la surface en prairie en France entre 1960 et 2015 (source : Agreste, Statistique Agricole Annuelle).

4.3Comment maintenir des prairies diverses dans les milieux agricoles ?

Au vu de l’intérêt porté aux prairies dans le cadre du maintien de la biodiversité, plusieurs pays ont mis en place des mesures pour promouvoir le maintien des prairies dans les milieux agricoles (Kleijn & Sutherland 2003; Jeangros et al. 2004; Kleijn et al. 2006). Par exemple, les prairies extensives pouvant être moins profitables d’un point de vue économique que les prairies gérées de façon conventionnelle, des mesures agroenvironnementales ont été mises en place en Europe pour dédommager financièrement les exploitants (Peach et al. 2001; Uthes & Matzdorf 2013). Ceci permet également de maintenir des pratiques traditionnelles et extensives de gestion de ces écosystèmes. Car si l’intensification de l’utilisation des terres a été identifiée comme l’un des facteurs qui engendrent le plus de perte en biodiversité dans les prairies tempérées, l’abandon total de la gestion des prairies peut également avoir des effets néfastes sur la biodiversité qu’elles abritent (Uchida & Ushimaru 2014).

Plusieurs études ont mis en évidence des effets positifs des MAE sur la biodiversité (e.g. Bengtsson, Ahnström & Weibull 2005; Kleijn et al. 2006; Garibaldi et al. 2011; Batáry et al.

2015). Cependant, ces effets sont extrêmement dépendants du groupe taxonomique considéré, de la mise en œuvre de la gestion et du type d’exploitation agricole (Garibaldi et al. 2011). Notamment, il a été montré que ces mesures ne bénéficiaient pas aux espèces rares ou aux

espèces menacées (Kleijn et al. 2006). Par ailleurs, l’efficacité de ces mesures est en grande partie déterminée par la structure du paysage. Par exemple, Concepción, Díaz & Baquero (2008) suggèrent que l’efficacité des MAE dépend de la complexité du paysage. On observerait ainsi peu d’effet dans les paysages simplifiés soit parce que les MAE seraient insuffisantes pour rétablir la biodiversité dans des paysages trop intensifs, soit parce que le pool d’espèces régional serait trop faible pour recoloniser ces milieux. De la même manière, l’effet serait nul dans les milieux très complexes, qui seraient déjà saturés en espèces, ou dans lesquels la recolonisation serait continue du fait de la taille importante du pool d’espèces régional (Tscharntke et al. 2005; Concepción et al. 2008).

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