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2. Généralités sur le cisplatine, sa néphrotoxicité et sa prévention

2.3. Prévention de la néphrotoxicité

L'hyperhydratation, permettant une hyperdiurèse est reconnue depuis longtemps comme le moyen de prévention de la néphrotoxicité. [36,37,38,39,40,41,62,65] Nous détaillerons les données de la littérature concernant ces modalités après avoir évoqué les mesures générales de prévention.

2.3.1. Mesures générales

2.3.1.1. Avant la chimiothérapie

Avant la chimiothérapie, il est indispensable d'évaluer la fonction rénale du patient. Le DFG ou la clairance de la créatinine seront déterminés à l'aide de la formule aMDRD. La formule de Cockroft et Gault peut éventuellement être utilisée en cas de patient non âgé et non obèse. Une bandelette urinaire, un examen cytobactériologique des urines ainsi qu'une protéinurie des 24 heures seront également réalisés. [42,49]

Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) du cisplatine contre-indique son utilisation dès que le débit de filtration glomérulaire du patient est inférieur à 60 ml/min. [21,22]

a l'utiliser même lorsque le DFG du patient est inférieur à 60 ml/min. La posologie est alors adaptée en fonction du stade de l'insuffisance rénale, comme cela est présenté dans le tableau ci-dessous. L'adaptation est essentielle afin d'éviter un surdosage, celui-ci risquant d'aggraver un peu plus la fonction rénale. |27]

Tableau I : Adaptation de la posologie du cisplatine à la fonction rénale

Stade de l'insuffisance rénale DFG (ml/min) Posologie du cisplatine

1. Maladie rénale chronique

avec DFG normal ou augmenté DFG 90

50 à 120 mg/m2 toutes les 3 à 6 semaines 2. Maladie rénale chronique

avec DFG légèrement diminué 60 DFG < 90

50 à 120 mg/m2 toutes les 3 à 6 semaines 3. Insuffisance rénale chronique

modérée 30 DFG < 60

25 à 60 mg/m2 toutes les 3 à 6 semaines 4. Insuffisance rénale chronique

sévère 15 DFG < 30

25 à 60 mg/m2 toutes les 3 à 6 semaines 5. Insuffisance rénale chronique

terminale DFG < 15 25 mg/m

2

Une pré-hydratation est nécessaire afin de préparer le rein à l'administration du cisplatine. Elle doit être associée à une prévention des complications digestives à l'aide de protocoles anti-émétiques efficaces pour éviter la déshydratation [42,43]

2.3.1.2. Pendant la chimiothérapie

Pendant la chimiothérapie, la poursuite de l'hydratation est nécessaire pour éviter la stagnation du cisplatine au niveau du rein. La pression artérielle ainsi que la diurèse sont étroitement surveillées. [42,43]

Le cisplatine doit être administré de façon lente ou de façon fractionnée. [33,34] En effet, cela est tout aussi efficace qu'un bolus, tout en préservant la fonction rénale. La diminution du DFG est d'autant plus importante que la dose de cisplatine par administration est grande, pour une même dose totale d'anticancéreux sur la cure. [45]

Un bilan biologique est réalisé afin de doser la créatininémie et de réaliser un ionogramme pour déterminer la magnésémie et la kaliémie. [42,43]

L'administration concomitante de médicaments néphrotoxiques (aminosides, anti- inflammatoires non stéroïdiens, inhibiteurs de l'enzyme de conversion, produits de contraste iodés et biphosphonates) est déconseillée. [42,43] Une néphrotoxicité plus importante a été démontrée lors d'une administration concomitante de cisplatine et aminosides, par rapport à une administration de cisplatine seul. [46] De plus, plusieurs cas d'insuffisance rénale aiguë lors de l'association cisplatine – aminoside ont été publiés. [47]

2.3.1.3. Après la chimiothérapie

L'hydratation du patient doit être poursuivie après l'arrêt de la perfusion de cisplatine. Un contrôle biologique à distance doit être réalisé. Il permet de doser la créatininémie trois à cinq jours après le traitement et de suivre, entre autres, les taux de magnésium afin de supplémenter le patient si besoin.

L'administration de médicaments néphrotoxiques est toujours à éviter.

Enfin, avant la prochaine cure, il faut s'assurer que la fonction rénale est restée normale ou est redevenue normale. [42,43]

2.3.2. Hydratation

2.3.2.1 Volume de l'hydratation

L'objectif est de maintenir une diurèse de trois à quatre litres par 24 heures [21,22,43], avec une hyperhydratation de deux à quatre litres, soit un débit de 100 ml/h [21,22,43,44]. Des débits allants jusqu'à 250 ml/h sont retrouvés dans certains articles [27,34].

Le volume d'hydratation est parfois adapté à la dose de cisplatine. [34,48,49]

Dans certaines publications, l'existence d'un protocole spécifique pour l'hôpital de jour est évoquée. Il comprend dans ce cas un volume d'hydratation légèrement diminué, en général de deux à trois litres, mais surtout un débit de perfusion plus important, en général de 500 ml/h. En effet, un tel débit est conditionné par les contraintes organisationnelles de ce type d'hospitalisation. Un faible débit entraînant une longue perfusion ne permet pas l'administration du cisplatine en hôpital de jour. [49,50,51,52]

2.3.2.2. Durée et répartition de l'hydratation

Il est recommandé d'avoir à la fois une hydratation avant la perfusion de cisplatine et après la perfusion de cisplatine. [21,22,27,31,43,44,48,51,52]

La pré-hydratation doit débuter huit à douze heures avant le cisplatine, et la post-

hydratation doit se poursuivre 24 à 36 heures après l'administration du cytotoxique. [21,22,27,31,43,44]

L'hydratation réalisée est dans la majeure partie des cas, une hydratation intra- veineuse, mais celle-ci est parfois associée à une hydratation per os la veille et le lendemain de la perfusion de cisplatine. [48,50,51,52]

2.3.2.3. Soluté d'hydratation

Le soluté d'hydratation doit contenir du chlorure de sodium, indispensable à stabiliser le cisplatine et à diminuer sa toxicité. [27,31,32,43,53] L'apport de chlore permet en effet, de réduire la concentration de cisplatine hydraté néphrotoxique. [54] Le chlorure de sodium isotonique permet également une expansion volémique, augmentant la diurèse, l'objectif étant de réduire le temps de contact entre cisplatine et rein. Enfin, le chlorure de sodium déclenche une réponse de stress osmotique modifiant la sensibilité de la cellule au cisplatine, en empêchant ce dernier d'accéder à l'ADN. [55]

Il n'est pas recommandé d'utiliser une solution saline hypertonique, celle-ci n'ayant pas prouvé son efficacité dans la prévention de la néphrotoxicité. Des diminutions du DFG ont été mises en évidence malgré l'utilisation de chlorure de sodium 3 %. [56,57]

Le meilleur soluté d'hydratation est donc une solution de chlorure de sodium 0.9 %

[27,31,32,43,53]

mais peut aussi être une solution de glucose 5 % supplémentée en chlorure de sodium, à hauteur de quatre à six grammes par litre. Cette dernière solution permet de s'adapter à certains patients possédant des contraintes physiopathologiques nécessitant de limiter les apports sodiques. [21,44,48,52]

Si le patient est non hospitalisé, il est conseillé de recommander une hydratation abondante per os de préférence à base d'eau alcaline (Vichy®, Saint Yorre®, Badoit®…) pour diminuer le risque de syndrome de lyse tumorale. Le patient peut aussi préparer lui-même son eau alcaline en ajoutant un à six grammes de bicarbonate de sodium dans un litre d'eau du robinet. [44,48,50,52]

2.3.2.4. Ions rajoutés

Une supplémentation intra-veineuse en magnésium de façon systématique est nécessaire pour prévenir efficacement les hypomagnésémies. [27,30,31,43,58,59]. Une supplémentation per os s'avère aussi efficace qu'une supplémentation intra-veineuse, mais peut cependant être à l'origine de troubles gastro-intestinaux à éviter lors d'un traitement par cisplatine. [49]

L’article de LAUNAY-VACHER, et al. mentionne que les doses de magnésium efficace dépendraient de la dose de cisplatine. Il préconise l'utilisation de fortes doses de magnésium de 40 à 80 mmol par cure. [43] D'autres publications recommandent des doses plus faibles en préventif, de 12 à 16 mmol de magnésium, avec un apport supplémentaire en cas d'hypomagnésémie avérée. [48,49,51,52]

En revanche, une supplémentation en potassium et calcium n'est pas nécessaire de façon systématique car l'hypocalcémie est liée à l'hypokaliémie, elle-même liée à l'hypomagnésémie. [26,27,28,29,30]

2.3.2.5. Molécules associées

L'utilisation de mannitol, de furosémide ou autre diurétique n'est pas conseillée car leur efficacité n'est pas démontrée. [65] Plusieurs articles ont ainsi mis en évidence une non- supériorité de la protection rénale lors de l'ajout de diurétiques au soluté d'hydratation, en comparaison à l'utilisation d'une hydratation seule. [63,64]

De plus, ils peuvent aggraver la toxicité rénale par l'hypovolémie qu'ils engendrent.

[60,61,62]

L'amifostine est une molécule cytoprotectrice, commercialisée sous le nom d'ETHYOL®, possédant comme indication la prévention de la néphrotoxicité cumulative du cisplatine, en association à une hydratation adéquate chez des patients possédant des tumeurs solides avancées. Elle peut être utilisée en association à l'hydratation mais son efficacité est controversée car elle n’a été prouvée que chez des patientes atteintes de carcinomes ovariens et traitées par une association cisplatine – cyclophosphamide. [67] Cette molécule a la propriété de chélater le cisplatine circulant et est donc très efficace en cas d’utilisation de cisplatine par voie intra-péritonéale. [67]

2.3.3. Perspectives

La meilleure connaissance des mécanismes de la toxicité rénale du cisplatine permet la recherche de nouvelles stratégies de prévention.

Ainsi, la glycation du transporteur OCT2 permettrait de diminuer son expression, et donc d’empêcher l’accumulation du cisplatine à l’intérieur des cellules rénales. Dans la même perspective, l’utilisation concomitante de cimétidine ou metformine avec le cisplatine entraînerait une compétition au niveau transporteur OCT2 et permettrait de limiter l’entrée du cytotoxique dans les cellules du rein. [32,33,34]

L’utilisation de procaïnamide pourrait empêcher la métabolisation du cisplatine en composés toxiques en s’y associant pour former un composé non toxique. [32,33,34]

Les vitamines C et E, ainsi que la N-acétylcystéine et le thiosulfate de sodium sont des agents anti-oxydants. Ils pourraient être utiles pour lutter contre le stress oxydatif jouant un rôle dans la néphrotoxicité.

De la même façon, des anti-inflammatoires tels que la pentoxyfilline ou des salicylates permettraient de lutter contre les phénomènes d’inflammation associés à la toxicité du cisplatine. [32,33,34]

Enfin, le développement d’inhibiteurs de caspases pourrait être intéressant car ces molécules permettraient d’éviter les phénomènes de mort cellulaire, et plus particulièrement d’apoptose. [32,33,34]

DEUXIÈME PARTIE : UNIFORMISATION ET EVALUATION DES

PROTOCOLES D'HYDRATATION ASSOCIÉS AU CISPLATINE