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2 LA LUTTE CONTRE LES ESPÈCES EXOTIQUES ENVAHISSANTES : UN PROBLÈME

2.3 Prévention et analyse de risques

Le proverbe « Mieux vaut prévenir que guérir » s’applique parfaitement pour la gestion d’un problème d’EEE. La prévention des introductions, c’est-à-dire le fait d’empêcher complètement une espèce

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exotique potentiellement envahissante de s’établir, est la première ligne de défense contre les invasions d’EEE (Wittenberg et Cock, 2001; McNeely et autres, 2001). En effet, puisque les conséquences des invasions biologiques peuvent être très néfastes et même irréversibles, il est primordial de tenter de restreindre celles-ci et de prévenir autant que possible les nouvelles invasions (Mack et autres, 2000; Shine et autres, 2005). En général, si l’établissement d’une EEE dans une nouvelle région peut être évité, la quantité totale de ressources utilisées pour la prévention sera significativement moindre que pour d’autres méthodes comme l’éradication, le confinement ou le contrôle (Maynard et Nowell, 2009). La prévention vise d’abord à empêcher l’introduction d’une nouvelle EEE, mais sert aussi à empêcher l’entrée de d’autres individus reproducteurs d’une EEE déjà établie (Finnoff et autres, 2007). Les méthodes préventives doivent donc se poursuivre de manière indéfinie (voir figure 2.3). Cela signifie que si l’on compte appliquer des mesures de contrôle par la suite, on doit empêcher l’introduction d’individus reproducteurs de cette EEE.

Pour prévenir une invasion, il suffit d’empêcher l’introduction de propagules (Colautti, 2005). Bien que théoriquement intéressant, il est très difficile de mettre cela en pratique, particulièrement aux endroits où les activités humaines procurent des voies et vecteurs d’introductions pour ces propagules (Maynard et Nowell, 2009). En effet, il est pratiquement impossible d’éliminer complètement le nombre de propagules introduit, et ce, pour des raisons logistiques et économiques (Colautti, 2005). Pour une meilleure efficacité des mesures de prévention, certains suggèrent qu’il faudrait identifier et cibler les espèces exotiques qui possèdent des caractéristiques envahissantes ainsi que les habitats les plus susceptibles aux invasions (Colautti, 2005) (voir sous-section 1.4.1). Toutefois, la méthode la plus efficace serait de concentrer directement les efforts de prévention sur les voies et vecteurs potentiels d’introduction d’EEE (Wittenberg et Cock, 2001) (voir section 1.2). Malgré cela, à cause du volume grandissant d’importations (légales et illégales) qui ont lieu à travers le monde, il est difficile d’implanter des mesures visant à empêcher totalement les invasions et, même si seulement quelques individus sont introduits dans un nouvel habitat, cela peut mener à une invasion et ses impacts subséquents (Maynard et Nowell, 2009). Les mesures de prévention ne font donc que réduire les chances qu’une invasion ait lieu, elles n’en éliminent pas complètement la possibilité (Finnoff et autres, 2007).

Toutefois, vu l’importance de la pression des propagules dans la probabilité d’établissement d’une EEE (Forsyth et Duncan, 2001), une réduction dans l’intensité de la pression des propagules peut sans doute aider à réduire le taux des invasions (Colautti, 2005). Pour réduire cette pression au niveau des points

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d’entrée des EEE, des méthodes différentes de prévention selon le degré d’intention humaine d’une introduction d’EEE doivent être considérées (McNeely et autres, 2001). D’un côté, les introductions intentionnelles nécessitent l’instauration de dispositifs de quarantaine et d’inspection efficaces (McNeely et autres, 2001). Par la suite, des restrictions ou des prohibitions sur certaines introductions peuvent être appliquées à l’aide de lois et de la délivrance de permis (Shine et autres, 2005). D’un autre côté, pour les introductions non intentionnelles, on doit plutôt agir au niveau des vecteurs d’introduction connus, c’est-à-dire en appliquant des mesures préventives (comme la fumigation de véhicules de transport ou autres types de traitements) ainsi qu’en améliorant les pratiques et les standards d’opération (Shine et autres, 2005).

Dans un autre ordre d’idées, étant donné que les mesures de prévention peuvent avoir des coûts relativement importants et que les décideurs et gestionnaires ne disposent que de ressources limitées, l’application de mesures de prévention et le niveau d’intensité des dites mesures dépendent des risques que l’on est prêt à prendre (Finnoff et autres, 2007). Dans le cas de la prévention d’une invasion biologique, on doit évaluer, d’un côté, le risque que représentent les dommages causés par une EEE qui parviendrait à s’établir, et de l’autre, le risque que l’on dépense des ressources pour empêcher l’introduction d’espèces exotiques qui n’auront pas d’impacts économiques (Finnoff et autres, 2007). En effet, l’efficacité des mesures de prévention est incertaine puisqu’il est impossible de savoir avec certitude si un taxon dont on a empêché l’introduction serait réellement devenu envahissant (Finnoff et autres, 2007). Lorsque l’on considère la prévention sous le principe de la précaution stricte (Foster et autres, 2000), un gestionnaire prudent devrait mettre en œuvre beaucoup plus de mesures préventives que de contrôle puisque cela maintient les EEE à l’extérieur et prévient les impacts environnementaux potentiels (Finnoff et autres, 2007). Toutefois, ce n’est pas toujours le cas. Bien des gestionnaires attendent que les EEE soient établies et aient des impacts, puis luttent pour en limiter les dommages (Carlton et Ruiz, 2005). Cela s’explique par le fait que les bénéfices soutirés suite à l’investissement de ressources en prévention sont incertains dans l’immédiat tandis que pour d’autres méthodes, comme le contrôle et l’éradication, les bénéfices sont observables plus directement (Finnoff et autres, 2007). D’un point de vue technologique et économique, on peut donc voir la prévention comme une mesure plus risquée que le contrôle (Finnoff et autres, 2007). La question de la prévention des invasions biologiques est donc complexe, puisqu’une invasion biologique est en général un évènement de faible probabilité, mais avec un coût potentiel très élevé (McNeely et autres, 2001).

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Le principe de la prévention s’applique donc pour les situations dans lesquelles l’impact potentiel d’une introduction est assez bien connu et basé sur des preuves fournies par des outils comme l’évaluation des risques pour qu’une décision soit prise sur l’acceptabilité de cette introduction (Shine et autres, 2005). Les espèces qui ont été prouvées envahissantes par le passé sont donc celles que l’on devrait viser par des mesures préventives, surtout si elles ont déjà envahi des écosystèmes similaires (Williamson, 1996). Dans un autre ordre d’idées, les îles océaniques ou autres zones isolées par des barrières biogéographiques sont des régions où il est plus facile de contrôler l’introduction d’EEE terrestres (Maynard et Nowell, 2009). Dans ces circonstances, la prévention totale peut être une option réalisable. Au contraire, les régions non isolées par de telles barrières doivent faire face à d’importantes difficultés pratiques qui empêchent de compter uniquement sur un système de prévention (Maynard et Nowell, 2009). Tel que souligné par Mooney et autres (2005), on ne peut pas totalement contrôler les mouvements et échanges vivants qui ont lieu à travers le globe. Cela implique donc que la prévention doit être appliquée en combinaison avec d’autres stratégies de lutte, comme la détection rapide, l’éradication ou encore le contrôle (Maynard et Nowell, 2009).