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le président.- Vous avez soulevé un problème fondamental, à savoir la survie du paritarisme, donc de la concertation sociale

Une entreprise peut-elle entrer dans un marché à partir du moment où la concertation sectorielle a donné lieu, selon la règle du paritarisme, à des conventions ? Nous l'ignorons. Des débats ont lieu en Suède sur cette question. Faute d'être attentifs, nous risquons d'assister à la fin de la social-démocratie et du paritarisme. Une telle considération pourrait émouvoir ceux qui sont favorables au CETA.

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La parole est à Mme Genot.

Mme Zoé Genot (Ecolo).- Dans la droite ligne de ce que vous affirmez, plusieurs enjeux existent dans le débat qui nous anime aujourd'hui.

Le premier enjeu est de savoir de quels leviers disposent les politiques et comment ils les gèrent.

Dans ces négociations, nous sommes face à deux difficultés majeures : la première est la

transparence, car bien souvent, il est difficile de savoir ce qui se négocie exactement et quels effets précis cela va avoir. Quels sont les acteurs qui ont suscité telle ou telle autre mention et pour quelle raison ? Quels sont les mandats de négociation que chacun s'est fixé ? Quelles sont les balises ? Il règne une très grande opacité et fatalement, en tant que responsables face aux citoyens, nous avons des difficultés à répondre à leurs interrogations.

La deuxième difficulté, c'est que l'on se dépossède de toute une série de leviers. On peut

effectivement se déposséder de quelques-uns d'entre eux, car nous ne sommes pas des nationalistes acharnés et, dans un certain nombre de cas, il peut être utile de se déposséder de certains leviers pour qu'ils soient activés à d'autres niveaux.

Cependant, il reste primordial de connaître le périmètre exact des leviers dont nous nous

dépossédons. Dans les discussions sur le CETA ou le TTIP, il est très difficile d'établir les contours des leviers que nous céderions à un autre pouvoir. Quelles seront les balises potentielles que nous

pourrons placer après la signature de textes de ce type, et quelles sont les balises qui ne pourront plus être placées ? Cela transpire des multiples discussions tenues dans les assemblées : il y a du flou, des différences d'interprétations et des désaccords sur l'endroit où il faut placer ces balises.

Ces incertitudes posent un véritable problème démocratique, car on ne pourra pas arguer ensuite devant le citoyen que l'on a la volonté de mettre des freins à certaines choses, mais que l'on n'en est pas capable parce que l'on n'a pas suffisamment prêté attention lors de la signature de tel ou tel accord. Imaginez devoir dire aux citoyens que la balise que l'on voudrait placer au niveau social, environnemental ou organisationnel ne peut être actionnée parce que notre pouvoir s'est dépossédé de cette prérogative lors de la signature de l'accord ! Pour moi, ce n'est pas possible. Il est impératif, avant de s'engager dans ce type de texte, de savoir exactement à quoi on s'engage et d'être d'accord sur les balises potentielles.

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Comme M. Close le relevait tout à l'heure, il s'agit ici de changer tout à fait de paradigme. Avant, on se disait prêt à faire du libre-échange dans tel ou tel domaine. C'est ainsi que l'on négociait au sein de l'Organisation mondiale du commerce ou dans le cadre d'accords bilatéraux. Désormais, on dit que le libre-échange portera sur tout, sauf sur ce qui figure dans les listes négatives. En plus, on le constate dans les discussions qui animent nos différentes assemblées et les assemblées

européennes : chacun a des analyses très différentes de ce qui devrait figurer dans ces listes négatives.

La Belgique n'a pas été très prudente lors des premiers rounds de négociation. J'en veux pour preuve que l'Allemagne a indiqué très clairement dans sa liste négative la sécurité sociale, prise au sens large, afin qu'elle soit bien protégée. Or, en Belgique, on n'a pas du tout été aussi clair à ce sujet. Par conséquent, nous ne sommes pas suffisamment protégés pour des matières aussi essentielles.

Au niveau européen, on a déjà assisté à quelques tentatives visant à considérer que tel ou tel mécanisme de service public était en concurrence avec des mécanismes de marché. Certaines aides ont, dès lors, failli être considérées comme illégitimes, et certains rabotages et ajustements se sont déjà produits au niveau européen. Ne commettons pas les mêmes erreurs à plus large échelle avec le Canada.

Pour nous, il est donc très important d'exclure explicitement du champ des négociations les services publics, la santé, les normes environnementales et les normes sociales. Quand on sait, par exemple, que le Canada n'a pas signé deux conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), pourtant admises par tout le monde, qui portent sur les droits syndicaux et sur l'âge minimum pour pouvoir travailler, nous sommes très mal à l'aise de ne pas retrouver ces balises dans les textes. En effet, nous risquons de nous trouver confrontés à des investisseurs qui travaillent dans un cadre où ces deux conventions de l'OIT ne doivent pas forcément être respectées.

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Un autre aspect dont nous avons beaucoup discuté dans les différents cénacles concerne la manière dont les conflits se règleront. Nous avons d'excellents tribunaux. Je vois M. Cornelis froncer les sourcils ! Si nos tribunaux ne sont pas excellents, peut-être faut-il les renforcer, les financer pour leur permettre de ne pas travailler avec des ronds de chaussettes et d'améliorer la qualité de leur travail, plutôt que de créer de nouvelles instances. Tout le monde pourrait alors en profiter, et pas seulement les investisseurs étrangers.

La solution proposée dans ce traité, c'est que les investisseurs étrangers disposeront de leurs petits tribunaux, contrairement à nos investisseurs belges. En effet, la majorité de nos investisseurs resteront ici et n'auront leurs propres petits tribunaux que s'ils vont là-bas. Il y a donc clairement une discrimination entre investisseurs. De plus, les consultations concernant ces tribunaux privés ont montré que 97% des citoyens européens se déclaraient totalement opposés à cette idée.

Vous me direz que des études montrent des effets positifs pour la croissance. La difficulté, c'est qu'il existe énormément d'études qui vont dans tous les sens en la matière. La taille de nos entreprises est très différente de la taille des entreprises présentes sur les marchés canadien et américain. Là-bas, une entreprise de 250 travailleurs est une petite entreprise. Nous ne jouons pas dans la même catégorie.

C'est l'une des raisons pour lesquelles des acteurs comme l'Union des classes moyennes (UCM) ont tiré la sonnette d'alarme. Le 27 mai 2015, l'UCM - non pas à propos du CETA, mais du TTIP, qui est tout à fait dans le même esprit - parlait d'un traité transatlantique dangereux. Donc l'UCM, qui représente les petites entreprises, s'inquiète elle aussi pour les intérêts de ses membres.

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Le front des gens qui se prononcent, non pas contre le libre-échange, mais contre un libre-échange non régulé tel que proposé par ces grands accords transatlantiques, est de plus en plus large. On le sait, si le CETA est adopté, il ouvrira la porte aux multinationales américaines, puisque 84% d'entre elles ont des sièges au Canada. Il ne servira donc plus à rien de discuter du TTIP.

Vu l'importance du texte, nous souhaitons depuis longtemps ouvrir un vrai débat au sein de notre assemblée. Nous avons déposé notre proposition de résolution en mai 2015. Nous avons

expressément demandé qu'une discussion soit ouverte, que des signaux clairs soient envoyés à un gouvernement fédéral qui poursuit ses négociations. Je regrette que notre parlement se décide en catastrophe, le jour même où se tient une réunion importante sur le sujet.

Le dossier est toujours en cours de négociation. Lundi, M. Vanhengel nous a annoncé, en fin de discussion en commission, que ce traité ne serait pas mixte. M. Juncker l'a confirmé dans les jours

qui ont suivi. Devant la levée de boucliers d'une série d'États, la Commission a heureusement soumis une deuxième proposition, selon laquelle les parlements pourront se prononcer, mais après la mise en œuvre de 70% ou 80% du traité. Quel drôle d'arrangement, qui s'assimile à la technique de l'entonnoir !

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C'est pour cela qu'il est très important que nous soyons clairs aujourd'hui. Il ne faudrait pas qu'à l'issue de toutes les discussions et des années de négociations, notre parlement, s'il n'y a pas eu de progrès sur tous les points soulignés dans notre résolution, vote contre. Ce n'est pas ainsi que nous y arriverons. C'est maintenant qu'il faut dire à l'État fédéral que, vu les balises qui sont dans les textes à l'heure actuelle, vu que l'on ne peut pas accepter toute une série de points, à ce stade-ci, nous ne permettons pas la ratification préalable. Si les textes évoluent, fatalement, le parlement bruxellois, comme les autres, reverra sa position.

Il manque dans ce texte cet aspect clair, qui était dans le texte du Parlement francophone bruxellois, qui nous avait amenés à le soutenir. Nous redéposons donc un amendement aujourd'hui pour

demander que cet aspect figure explicitement dans le texte. Nous ne pouvons pas permettre à l'État fédéral de continuer à nous mettre dans un entonnoir qui réduit notre marge de manœuvre à une portion qui sera bientôt ridicule.

Je regrette vraiment que, pour un texte qui aura une influence majeure sur l'ensemble de l'économie, aucun membre du gouvernement ne soit présent ce matin. Il est important que tous les acteurs soient présents pour des discussions de ce type.

(Applaudissements sur les bancs d'Ecolo et de Groen)

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