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le président. – Le groupe socialiste ne dispose plus que de neuf minutes

Dans le document COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL (Page 50-53)

Déclaration du Gouvernement sur l’orientation des finances publiques

M. le président. – Le groupe socialiste ne dispose plus que de neuf minutes

M. Jean-Jacques Jégou. – Le premier président de la Cour des comptes a présenté devant la commission des finances des perspectives inquiétantes pour les finances publiques, les finances sociales, la croissance de demain et la sortie de crise.

Ce débat permet de nous assurer que la politique budgétaire prépare la sortie de crise, la croissance et la situation à long terme de nos finances publiques.

Nous vivons certes la pire crise économique depuis la Libération mais la situation des comptes publics était déjà dégradée. La Cour des comptes a constaté une accélération des déficits depuis 2007. Celui de l'État s'est aggravé en 2007 malgré une croissance de 2,3 % ; il a augmenté de 47 % en 2008. Nous devrions donc regarder courageusement nos insuffisances : nous payons aujourd'hui le laxisme budgétaire des gouvernements successifs depuis des années. Entrant dans la crise avec des comptes dégradés, la France

n'a pu consacrer au plan de relance autant de moyens que ses voisins.

Nul ne sait aujourd'hui ce que sera l'économie mondiale en 2010 mais je pense à une sortie de crise lente. L'hypothèse de 0,5 % retenue par le Gouvernement pour le budget de 2010 doit inciter à la prudence quant aux recettes fiscales de l'année prochaine, sachant qu'elles ont déjà reculé de 20 % au 30 avril par rapport à la même période en 2008. En revanche, le niveau des dépenses reste stable en volume.

Notre débat se déroule dans un contexte incertain : où en est la suppression de la taxe professionnelle, qu'il faudra bien compenser ? Quid de la taxe carbone, qu’un membre éminent du Gouvernement veut déjà rembourser aux Français sous forme de « chèques verts » ? Avec de telles incertitudes, il est illusoire d'imaginer réduire le déficit.

En effet, Philippe Séguin a fait une description alarmiste, mais réaliste, des comptes de l'État, avec un déficit budgétaire frisant les 140 milliards d'euros, soit 7,5 % du PIB, et une dette de 1 327 milliards, soit 80 % du PIB, fin 2010.

La situation des comptes sociaux est tout aussi préoccupante, avec 25 à 30 milliards de déficits prévus pour 2009, alors que l'aggravation du chômage réduira les recettes et augmentera les dépenses. Il ne s'agit malheureusement pas d'un déficit conjoncturel mais bien d’une insuffisance structurelle de recettes.

Mme Dini et le rapporteur général de la commission des affaires sociales, M. Vasselle, l'ont clairement montré.

Mme Nathalie Goulet. – Hélas !

M. Jean-Jacques Jégou. – En 2008, la dette publique brute de la France a progressé de 10 %, pour culminer à 1 327 milliards, soit 20 600 euros par habitant et 47 400 par actif. La charge d'intérêts atteint 54,6 milliards d'euros, soit 850 euros par habitant et 1 950 euros par actif.

En matière de déficit, la France fait moins bien que ses partenaires européens avec 3,4 % du PIB contre 1,5 %. Elle est aussi le seul pays de la zone euro dont les dépenses publiques aient excédé 50 % du PIB en 2008. Enfin, elle est devenue le quatrième État le plus endetté de la zone euro par rapport à son PIB, alors que nous occupions la huitième place en 2004. A ce stade, on abandonne toute idée de retour à l'équilibre en 2012. Même l'objectif des 3 % est hors d'atteinte.

La crise transforme l'économie française en machine à fabriquer de l'endettement : avec une dette publique totale atteignant 1 413 milliards d'euros, soit 72,9 % du PIB, l’endettement atteint des proportions abyssales.

Hormis en temps de guerre, nos finances publiques n'ont jamais été aussi dégradées.

Mais la situation pourrait vite devenir catastrophique, puisque l'endettement pourrait

atteindre 100 % du PIB en 2018 à en croire la Cour des comptes.

A ce rythme, nous devrons peut-être examiner dans quelques années un projet de loi tendant à combattre le surendettement de l'État...

Mme Nathalie Goulet. – Très bien !

M. Jean-Jacques Jégou. – En outre, le recours à l'endettement de court terme rend la France très vulnérable à une hausse des taux d'intérêt. Notre pays pourrait alors perdre sa crédibilité. Gardons ces chiffres à l'esprit en examinant le grand emprunt.

Comment ne pas être inquiet en entendant le Président de la République préconiser devant le Congrès réuni à Versailles de s'endetter davantage pour résoudre le problème de la dette, c'est-à-dire de combler le trou en le creusant davantage ? On nous dit que le grand emprunt financera « les priorités nationales », mais il aura pour effet mécanique d'augmenter immédiatement la dette et la charge de ses intérêts.

Le chef de l'État a évoqué la « grave question des déficits de nos finances publiques » mais son discours à Versailles a donné le sentiment que le désendettement n'était plus une priorité du Gouvernement et que la crise autorisait à rouvrir les vannes de la dépense. Je crains que l'idée de grand emprunt national n’ait fait sauter un verrou psychologique. C'est très dommageable car nombre de nos concitoyens pensent qu'on peut dépenser sans compter. En submergeant la digue des 3 % de déficit, la crise a accrédité cette idée.

J'avais pourtant eu le sentiment, notamment depuis la dernière campagne présidentielle, que plusieurs candidats -un en particulier- avaient placé l'envolée de la dette publique au premier rang des préoccupations nationales. Beaucoup de nos concitoyens avaient pris conscience de la situation. Sans parler d'un « parti de la dette », chacun prenait conscience que les générations futures hériteraient d'une ardoise de plus en plus lourde. J'ai peur que la crise et le grand emprunt n'anéantissent nos efforts en ce sens.

L'idée que leurs enfants et petits-enfants devront régler nos dépenses inquiète beaucoup de Français, mais le Président de la République propose qu'un emprunt prépare l'avenir du pays. Je ne suis pas sûr que les générations futures aient à s'en réjouir, car elles devront rembourser. Cette fuite en avant finit par devenir anxiogène : plusieurs économistes ont montré que la hausse de la dette incitait les gens à mettre de l'argent de côté en vue d'inéluctables hausses d'impôts. Si c'était le cas, que resterait-il à la France pour alimenter sa croissance, notre balance commerciale étant déséquilibrée ?

Pour justifier le recours à l'emprunt, le chef de l'État explique : « Chaque fois que l'on a fait la politique de la rigueur, on s'est retrouvé à la sortie avec moins de croissance, plus d'impôts, plus de déficits, plus de

dépenses ». Mais si les déficits et la dette créaient de la croissance et permettaient de combattre le chômage, on le saurait ! La France est le seul de tous les pays industrialisés à ne pas avoir connu un seul excédent budgétaire depuis le milieu des années 1970. Son addiction au déficit ne lui a pas épargné une croissance nettement plus faible et un chômage bien plus élevé que la moyenne.

Et puis, il faut rappeler une réalité qui semble oubliée depuis le discours de Versailles : avec plus de 150 milliards d'euros levés par an sur les marchés, la France fait le grand emprunt tous les jours !

Je ne suis pas sûr qu'un nouvel emprunt prépare l'avenir. Cette idée est politiquement habile, mais est-elle économiquement raisonnable dans un État chroniquement surendetté ? L'État peut emprunter à un coût très faible des montants très élevés sur les marchés financiers, alors que l'emprunt auprès du public est coûteux sauf s'il est proposé à des conditions moins bonnes, ce qui ne le rendrait guère attractif. Bref, cet emprunt coûtera cher aux finances publiques et aux contribuables, tout en reportant une partie du financement sur les générations futures.

Je crains que cette opération ne nous fasse passer du « travailler plus pour gagner plus » à la deuxième phase du quinquennat : « emprunter plus pour dépenser plus ».

En effet, malgré votre rigueur que je salue, monsieur le ministre, je m'interroge sur l'affectation des sommes empruntées -on parle de 80 à 100 milliards. Il est particulièrement délicat de définir les dépenses d'avenir, ce « bon déficit » selon la distinction désormais établie. Pour moi, qu'il soit bon ou mauvais, le déficit s'aggrave et la dette augmente ! Aujourd'hui, le chef de l'État, le Premier ministre, le conseiller du président inspirateur du grand emprunt, la ministre de l'économie et vous-même essayez d'en établir une liste exhaustive et limitative. N'est-il pas surprenant de décider un emprunt avant de savoir à quoi il servira ?

Surtout, les finances publiques sont indivisibles et l'emprunt, comme les autres ressources de l'État, contribuera à financer l'ensemble des dépenses publiques, sauf à instituer un suivi spécifique.

On ne peut qu'approuver la volonté d'investir dans l'innovation, la recherche et développement qui prépare l'économie de demain, surtout quand on sait que l'État, du fait de son appauvrissement, n’investit que 20 milliards. Mais je ne suis pas sûr que les sommes empruntées iront spécifiquement à ces investissements d'avenir. J'en veux pour preuve le récent rapport de l'OCDE sur la part de l'innovation dans les plans de relance face à la crise. II montre que le plan de relance français ne consacre que 46 millions à la recherche et développement et 4,7 milliards aux ponts et aux routes. La France fait figure de mauvais élève là où la Finlande et la Corée du sud sont en haut

du classement. Ne risque-t-on pas de poursuivre dans la même voie ?

Je serai donc particulièrement attentif, lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative début 2010, sur les conditions de l'emprunt, et notamment sur son coût pour les finances publiques.

C'est pourquoi plusieurs de nos collègues, et non des moindres, les deux rapporteurs généraux notamment, doutant de l'opportunité de ce grand emprunt, proposent un emprunt obligatoire. Un tel projet devrait faire au moins l'objet d'un examen attentif. Peut-être est-ce de leur part une façon habile de contourner le bouclier fiscal ? Si c’était l’objectif, la proposition me paraîtrait alors intéressante.

On ne peut accepter l'idée de grand emprunt que dans une seule perspective : le financement des réformes structurelles qui seront nécessaires pour enrayer le dérapage chronique des finances publiques.

Les réformes structurelles apportent des gains à long terme, même si leur coût budgétaire est initialement élevé. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, un tel emprunt permettrait d'annoncer des priorités claires, d'en estimer les coûts et les bénéfices attendus et d'ancrer ainsi les réformes. Nous ne pourrons accepter cet emprunt que si les réformes et les investissements sont identifiés, chiffrés et s'ils sont créateurs de richesses.

Dans ce contexte, un tel niveau de déficit public n'est pas rattrapable par le seul effet de la reprise de la croissance économique en 2011 : même avec un rythme annuel de 2 à 2,5 % par an, le déficit public en 2012 serait encore de 5,5 % du PIB, soit toujours un niveau très élevé au regard des engagements européens et de la capacité de financement de notre pays. Nous devons donc engager le redressement durable de nos finances publiques, comme le demande le FMI. Cela nécessite des efforts d'une tout autre ampleur, notamment en matière de réforme de l'État, que ceux réalisés jusqu'à présent. Nous devons tous en avoir conscience.

Tout d'abord, nous devrons maîtriser et réduire nos dépenses publiques. Nous devrons tenir en 2010 les dépenses courantes, dont certaines augmenteront du fait de la crise, comme les dépenses sociales et les dépenses de la mission « Emploi ». Cependant, cette politique n'est pas suffisante car la RGPP ne permettra d'économiser que 7 milliards alors que l'objectif initial était de 20 milliards. Ensuite, parce que même en serrant à fond la vis des économies budgétaires, jamais l'État ne pourra réduire en deux ans ses dépenses en volume de 60 milliards alors que les charges financières de la dette vont grossir chaque année de 4 à 5 milliards, sous l'effet de la remontée inévitable des taux.

Il me semble enfin inutile de maîtriser les dépenses publiques si dans le même temps, on multiplie les dispositifs d'exonérations fiscales. Si nos comptes

publics se dégradent, c'est aussi parce que les ressources de l'État diminuent.

Mme Nicole Bricq. – Eh oui !

M. Jean-Jacques Jégou. – Le rapport Pébereau préconisait de ne pas diminuer le niveau global des prélèvements obligatoires pendant la phase de retour à l'équilibre.

Ensuite, nous devons sécuriser nos recettes. S'il faut éviter d'augmenter les prélèvements obligatoires, au moins ne réduisons pas les ressources fiscales ! La conjoncture ne nous permet pas des allégements d'impôts. Il convient donc de garantir pendant cette période nos recettes, c'est-à-dire éviter de nouvelles baisses d'impôts, comme celles de 2007 du paquet fiscal que nous payons très cher aujourd'hui, ainsi que de nouvelles dépenses fiscales ou crédits d'impôts comme nous l’avons malheureusement fait ces dernières années. Sans les allégements de ces dernières années, les recettes fiscales auraient progressé de 2,7 % alors qu'elles ont diminué de 0,5 %. En moyenne, chaque année depuis 2003, ce sont quatorze mesures supplémentaires de dépenses fiscales qui ont été créées. En 2008, elles représentaient 27 % des dépenses du budget et atteignaient 73 milliards. Cette politique est à la longue suicidaire pour nos finances publiques. C'est pourquoi j'ai refusé d'approuver la baisse de la TVA sur la restauration et je reviendrai à la charge lors du projet de loi de finances pour 2010 car elle est économiquement inefficace et purement électoraliste.

Toute nouvelle dépense fiscale devra être compensée à due proportion par la réduction d'autres dépenses, ce qui n'a malheureusement pas été fait pour la baisse de la TVA dans la restauration ou la réforme de la taxe professionnelle. De nombreux progrès restent donc à accomplir dans ce domaine.

Nous devrons aussi revoir l'ensemble des niches fiscales et sociales qui se sont accumulées ces dernières années. On en compte aujourd'hui 400 qui représentent un manque à gagner estimé entre 50 et 70 milliards. Lors de la loi de finances de l'année dernière, nous avons commencé à travailler sur le plafonnement des niches fiscales, mais nous devons aller plus loin. Il faut examiner l'ensemble des dispositifs, évaluer leur efficacité et leur pertinence.

En ne réduisant pas son déficit structurel et en multipliant les dettes de crise et les emprunts, la France ne prépare pas la sortie de crise. C'est le devoir du Gouvernement et du Parlement que de la préparer.

On peut effectivement retarder le moment de la facture, mais on ne saurait la faire disparaître. Pour les Français, le réveil risque d'être douloureux après 2012 car ce sont eux qui paieront. Comme l'a dit le premier président de la Cour des comptes, le report des réformes indispensables impliquerait des ajustements encore plus douloureux. Il leur faudrait alors « payer

plus pour rembourser plus » ! (Applaudissements au centre et sur certains bancs socialistes)

M. Dominique Leclerc. – En tant que rapporteur

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