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Préservation du jeu des acteurs et de l’espace scénique/ludique

Dans le document Le plan-séquence chez Kenji Mizoguchi (Page 48-51)

CHAPITRE 2 : ESTHÉTIQUE ET PSYCHOLOGIE DU PLAN-SÉQUENCE

2.3 Préservation du jeu des acteurs et de l’espace scénique/ludique

Le cinéma de plans-séquences pratiqué par Mizoguchi rejoint la conception bazinienne d’un cinéma idéal également parce qu’il préserve le jeu des acteurs comme principal véhicule de la dramaturgie. Laissons Bazin s’exprimer lui-même sur ce sujet avec un extrait sur Welles :

…Welles, en homme de théâtre, construit sa mise en scène à partir de l’acteur. On peut imaginer que l’intuition du plan-séquence, de cette unité nouvelle de la sémantique et de la syntaxe d’écran est née de la vision d’un metteur en scène habitué à lier l’acteur au décor et qui a ressenti le découpage traditionnel non plus comme une facilité de langage, mais comme une perte d’efficacité, une mutilation des virtualités spectaculaires de l’image. Pour Welles, la scène à jouer forme un tout dans un espace et dans un temps. Le jeu d’un acteur perd son sens, se vide de son sang dramatique comme un membre coupé, s’il cesse d'être maintenu dans une liaison vivante et sensible avec les protagonistes et le décor. D’autre part, la scène dans sa durée se charge comme un condensateur, il la faut maintenir soigneusement isolée de tout contact parasite, se bien garder d’y

toucher avant qu’elle ait atteint le voltage dramatique suffisant qui établira l’étincelle vers quoi toute l’action est tendue. 12

Maintenant, attardons-nous sur un témoignage du scénariste Yoshikata Yoda qui confirme que c’est lors du tournage de Conte des chrysanthèmes tardifs que Mizoguchi a décidé d’adopter rigoureusement cette pratique du one-scene-one-cut.

Mizoguchi insista auprès de Shotaro Hanayagi pour qu’il joue [le rôle de Onoe] Il était déjà âgé. Il semblait douteux aux yeux de tous qu’il puisse jouer au cinéma le rôle de Kikunosuke One, jeune héros de vingt ans, bien qu’il ait déjà fait au théâtre. L’opérateur Minoru Miki fit un bout d’essai de Hanayagi, costumé et maquillé, qui ne se révéla guère convaincant. Mizoguchi proposa alors de le filmer en plans éloignés. Il était au courant de tourner avec un objectif de 50mm, mais Mizoguchi voulait exploiter au maximum ce procédé; employer systématiquement un objectif à grand angle. Minoru Miki, inspiré, lui donna son accord sur-le-champ. Le but de Mizoguchi était de tourner de longs plans généraux au grand-angle, pour faire vivre l’espace théâtral et permettre ainsi à Shotato Hanayagi de jouer naturellement. C’est ainsi qu’il inventa son procédé du « one scene one cut ». […] Ce procédé permit à Mizoguchi de cristalliser le maximum d’énergie dans sa mise en scène. Plus exactement, pour qu’une telle conception du tournage soit possible, durant de longues séquences, les acteurs devaient préserver jusqu’au bout la tension de leur jeu. Il me semblait que Mizoguchi avait bien réfléchi à tout cela. 13

Dans un entretien accordé à Tsuneo Hazumi, Mizoguchi déclare:

Jouer, c’est vivre immédiatement son personnage…Quand j’ai dirigé Tanaka ou Yamada, j’ai compris qu’il ne sert de rien de leur expliquer leur rôle avec des

12 Bazin, Orson Welles, Cahiers du cinéma, p.80.

indications minutieuses. Tout ce que je peux faire pour elles, c’est me plier à leur style de jeu et trouver le rythme juste pour leurs actions.14

En ce qui concerne la direction d’acteurs, les témoignages des différents collaborateurs vont toujours dans le même sens ; Mizoguchi ne donnait aucune indication concrète pour corriger le jeu des acteurs. Il se bornait à répéter les prises jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il voulait.

Dans l’extrait qui suit, on peut lire en d’autres mots les propos de Bazin au sujet des acteurs, mais cette fois-ci chez Wyler :

Pour [Wyler], l’action est d’abord exprimée par l’acteur. C’est en fonction de l’acteur que Wyler, tout comme un metteur en scène de théâtre, conçoit son travail de mise en valeur de l’action. Le décor et la caméra ne sont là que pour permettra à l’acteur de concentrer sur lui un maximum d’intensité dramatique sans détourner à leur profit une signification parasite. Mais si c’est bien là ce que propose aussi le metteur en scène de théâtre, celui-ci ne dispose que de moyens très limités du fait de l’architecture de la scène moderne et surtout de la position de la rampe. Il peut jouer avec ses éléments, mais dans ces conditions, c’est essentiellement le texte et le jeu de l’acteur qui constituent l’essentiel de la mise en œuvre théâtrale. Le cinéma ne commence pas du tout […] avec les jumelles de la spectatrice du balcon. La grosseur, non plus que le temps ne font rien à l’affaire. Le cinéma commence quand le cadre de l’écran ou la proximité de la caméra et du micro servent à mettre l’action et l’acteur en valeur. Dans La Vipère, Wyler n’a pratiquement rien changé à la pièce, au texte et même au décor, on pourrait dire qu’il s’est borné à la mettre en scène comme aurait voulu pouvoir le faire un homme de théâtre, disposant du cadre de l’écran, pour cacher certains parties du décor, et de la caméra, pour rapprocher les fauteuils. Quel acteur ne rêverait pas de pouvoir jouer immobile sur une chaise devant cinq mille spectateurs qui ne perdent pas le sens d’un mouvement de ses yeux? Quel metteur

en scène de théâtre ne voudrait pouvoir contraindre le spectateur du poulailler à comprendre clairement les déplacements des personnages, à lire avec facilité ses intentions à tout moment de l’action? Wyler n’a rien choisi de plus que de réaliser en cinéma ce qui constitue l’essentiel de la mise en scène théâtrale; mieux encore, d’une mise en scène théâtrale qui refuserait jusqu’au secours des lumières et du décor pour ajouter quelque chose à l’acteur et au texte.15

Cet extrait réitère la conception de Bazin d’un cinéma qui accuse l’origine théâtrale du récit et en débarrasse les imperfections techniques.

Une discussion poussée sur le jeu des acteurs irait au-delà de la portée du présent mémoire. Certes, l’emploi récurrent d’acteurs de théâtre par Mizoguchi durant les années 1930 constitue un sujet intéressant, mais une telle discussion exigerait préférablement une compréhension orale du japonais.

Dans le document Le plan-séquence chez Kenji Mizoguchi (Page 48-51)