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CHAPITRE III Premiers pas vers un nanobiosenseur

II. Présentation de la protéine senseur

L’immobilisation non covalente d’anticorps sur la surface des nanotubes peut présenter des difficultés dues à leur taille (Ex : Immunoglobuline G, IgG = 150 kDa) par rapport au diamètre des nanotubes. En effet, le poids moléculaire élevé des IgG peut compromettre la fixation et la stabilité de ces dernières sur les nanotubes.44 De plus, dans le cas d’un

immunosenseur où l’anticorps est immobilisé sur les nanotubes, la détection de l’antigène correspondant (~ 30 kDa) n’induira qu’une faible perturbation de l’environnement.

Par conséquent, nous avons retenu comme modèle un anticorps recombinant ayant un poids moléculaire beaucoup plus faible (~ 30 kDa) qu’un anticorps entier. Notre choix s’est porté sur un fragment d’anticorps dénommé scFv (single chain Fragment variable) construit de telle manière qu’il en conserve la spécificité et l’affinité vis-à-vis de l’antigène cible. Cette étude a été menée en collaboration avec Séverine Padiolleau-Lefèvre et Didier Boquet du Service de Pharmacologie et d’Immunologie (SPI) du CEA de Saclay.

II.1.

Généralités sur les anticorps

Les anticorps ou immunoglobulines (Ig) sont des glycoprotéines. Elles circulent dans le sang et les autres fluides de l’organisme, où elles sont capables de reconnaître spécifiquement un antigène. La liaison de l’anticorps à l’antigène permet par exemple l’inactivation des toxines virales et bactériennes par blocage de leur fixation aux récepteurs des cellules cibles. De même, cette reconnaissance aide à la destruction des microorganismes, soit en permettant aux cellules phagocytaires de les internaliser plus facilement, soit en activant un complexe protéique du sang capable de les éliminer.

Les anticorps sont produits naturellement par la réponse immunitaire humorale, induite par les lymphocytes B pour défendre l’organisme contre toute forme d’agent infectieux. Ces anticorps se lient spécifiquement à l’antigène étranger qui a provoqué leur production.45

II.1.1. Structure des anticorps

Les anticorps représentent une des classes majeures des protéines du sang, constituant environ 20% de la masse totale des protéines du plasma. Il s’agit de protéines glycosylées bivalentes, hétérodimères et symétriques.

L’unité structurale de base d’une immunoglobuline est constituée de deux chaînes lourdes et de deux chaînes légères identiques deux à deux, reliées entre elles par deux ponts disulfure intercaténaires et par des interactions non covalentes (Figure III-6).

Figure III-6 : Représentation schématique d’un anticorps, exemple d’une IgG

Chaque chaîne possède une partie constante (C) et une partie variable (V). Ainsi, dans le cas d’une IgG (immunoglobuline majoritaire dans le sang), la chaîne légère est constituée de deux domaines globulaires : un domaine constant (CL) C-terminal et un domaine variable (VL) N-terminal, tandis que la chaîne lourde est composée de quatre domaines globulaires : trois domaines constants (CH1, CH2 et CH3) C-terminaux et un variable (VH) N-terminal. Le

domaine N-terminal de chaque chaîne (région variable) contient trois régions hypervariables portant la spécificité à l’antigène : les CDRs (Complementary Determining Regions).

Enfin, à partir d’un anticorps, il est possible de générer des fragments Fab et Fc par digestion à la papaïne du premier pont disulfure au niveau de la partie N-terminale ou un fragment Fab′2 par digestion à la pepsine. Fab′2 est un fragment bivalent porteur de la

spécificité antigénique et Fab est un fragment monovalent également capable de reconnaître l’antigène. Ces fragments peuvent aussi être obtenus par clonage au moyen de la PCR (Polymerase Chain Reaction) en utilisant des amorces nucléotidiques. Par cette technique, il est aussi possible d’obtenir d’autres types de fragments (Figure III-7) très utiles dans les études et les applications des anticorps :

Site de liaison à l’antigène (CDR) Antigène Chaîne lourde Domaines VH Chaîne légère 5 nm Domaine CL Domaine CH2 Domaine VL Fab Fc Domaine CH3 CH 1

- les Fv, fragments constitués de deux domaines variables liés de façon non covalente,46

- les scFv, constitués de deux domaines variables reliés entre eux par un peptide,47,48

- les diabodies, constitués de deux fragments variables reliés par deux “linkers”,49

- les bis-scFv, constitués de deux scFv de spécificité différente reliés par un “linker”.

Figure III-7 : Classe des différents formats d’anticorps recombinants II.1.2. Intérêts des scFv

Les fragments d’anticorps scFv, associations par un “linker” des régions variables des chaînes lourde et légère, présentent de nombreux avantages. Ce sont les plus petites entités ayant une stabilité et une affinité pour l’antigène équivalente à un Fab.50,51 Par conséquent,

cela fait d’eux des candidats idéaux pour concevoir de nouveaux immunosenseurs.

II.2.

Synthèse d’un scFv dirigé contre la protéine Prion

L’activité du SPI au CEA est concentrée principalement sur des études autour de la protéine prion (PrP). Ce service est, entre autres, à l’origine du test adopté par la communauté européenne pour la détection post mortem de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Le scFv synthétisé (SAF34) au sein de ce service par Séverine Padiolleau- Lefèvre est dirigé contre cette protéine.51

Le scFv SAF34 a été cloné dans un vecteur d’expression cytoplasmique SPI 4.0, dérivé du vecteur commercial pET9c, présentant une résistance à la kanamycine. La bactérie hôte utilisée pour le clonage est une souche d’Escherichia coli. Des séquences spécifiques (tag ou étiquettes moléculaires) ont été insérées (Schéma III-2) dans la construction du scFv comme outils pour sa détection et sa purification : le tag HA d’une part (séquence : YPYDVPDYA à l’extrémité N-terminale), et le tag histidine (His) d’autre part (six histidines successives à l’extrémité C-terminale).

Schéma III-2 : Présentation du scFv SAF34 doublement étiqueté (HA et His) scFv Fab Fc bis-scFv diabody IgG IgG bispécifique Fab′2 Fv Anticorps monoclonal de souris IgG scFv bis-tagués VL – Linker – VH

His tag – – HA tag

scFv (~ 28 kD)

Nous profiterons de la présence du tag His, servant à la purification du scFv, pour immobiliser la protéine sur la surface des nanotubes. Le tag HA sera, quant à lui, utilisé pour mettre en évidence l’accroche du scFv à la surface du nanotube de carbone. Cette étiquette interagit en effet avec l’Ac monoclonal de souris anti-tag HA (l’AcM 12CA5), marqué avec de l’acétylcholinestérase (G4), permettant de détecter la pleine longueur du scFv (cette méthode sera décrite dans la partie IV.2).

Etant donné que le scFv, via son tag HA, peut être reconnu par un anticorps nous pourrons également considérer dans cette étude le scFv comme un antigène. Cette stratégie présente plusieurs avantages :

- Elle permet la conception simple d’un biosenseur “nanotube-antigène” pour la reconnaissance d’anticorps.

- Elle est universelle. En effet, la majorité des protéines recombinantes possède un tag His que nous voulons utiliser pour la fixation de protéine sur les nanotubes. De plus, de très nombreuses protéines recombinantes sont des antigènes ayant un intérêt dans le diagnostic de pathologies causées par des protéines virales, des antigènes bactériens ou tumoraux,…

- Elle est sensible. Ce format de détection devrait impliquer une plus grande perturbation de l’environnement du nanotube (donc de sa conductivité) lors de la détection de l’anticorps par le scFv car la masse d’un anticorps entier est cinq fois plus importante qu’un scFv.

Pour fixer le scFv de manière sélective sur le nanotube par son tag His, des complexes avec du nickel ont été envisagés. Nous détaillerons les composés synthétisés dans la section suivante.