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3. Problématique et questions de recherche

4.1 Présentation de l’approche

La présente étude est une recherche inductive ou exploratoire, dont la méthodologie est utilisée pour « trouver les choses plutôt que prouver les choses » (Maren, 2004). L’objet de recherche se construit à partir des données récoltées (ibid.). Cette approche correspond à notre intention de découvrir la perspective parentale sur le bilinguisme chez les enfants ayant des TSA. La recherche est faite dans une logique de démarche phénoménologique compréhensive, qui vise à « explorer la manière dont une expérience de vie a été ressentie et comprise par la personne qui l’a vécue » (Blais & Martineau, 2006). Nous ne cherchons donc pas à confirmer ou infirmer des hypothèses formulées préalablement sur les liens causaux qui existent entre les éléments recherchés, mais à comprendre quelles significations prennent pour les participants leurs propres expériences et comment ils agissent en fonction de cela (Charmillot & Dayer, 2007, 2012; Kaufmann, 2011)

Notre recherche est une étude de cas, plus précisément une étude approfondie de trois familles. L’étude de cas est une méthode qualitative « à visée d'analyse et de compréhension qui consiste à étudier en détail l’ensemble des caractéristiques d’un problème ou d’un phénomène restreint et précis tel qu’il s’est déroulé dans une situation particulière, réelle ou reconstituée, jugée représentative de l’objet à étudier » (Albero, 2010, p.15). L’étude de cas est une investigation qui peut se baser sur plusieurs méthodes comme l'analyse de contenu, l’observation, les entretiens ou les enquêtes basées sur des questionnaires. C'est donc une recherche qui comprend le traitement d’information venant de sources multiples (ibid.). Dans le cas de la présente recherche, nous utilisons directement les entretiens et l’analyse des documents, tandis que l’utilisation de l’observation est implicite (vu que la chercheuse a travaillé avec deux des trois familles concernées, ses observations faites pendant le travail influencent nécessairement l’interprétation des données des entretiens). L’étude de cas s’inscrit parfaitement dans une démarche compréhensive car elle vise à appréhender une situation en profondeur sur la base du vécu partagé par les participants ainsi que sur les

« faits » récoltés7 (Poisson, 1991). L’étude de cas se focalise sur l’expérience humaine dans un contexte donné, incontrôlé par le chercheur, contrairement à une recherche expérimentale. Ce caractère singulier et très contextualisé des données de la recherche permet au chercheur de faire des découvertes et non pas des généralisations (Albero, 2010). Pour pouvoir faire d’un cas particulier un « cas à aspiration représentative », la « réflexivité critique explicite » s’avère être le moyen principal (ibid.). Cette réflexivité se traduit par un choix des situations à étudier, par la sélection des données récoltées, par l'interprétation de données sélectionnées, par la « reconstruction de continuité factice » à partir des données lacunaires, par la réduction inévitable de richesse initiale d’une « expérience vécue » à une « expérience rapportée », et enfin par la « formalisation conceptuelle et écrite », constituée de la désarticulation des éléments et des catégories qui peuvent servir à la compréhension et à l’analyse de situations semblables (ibid.). L’analyse de résultats de la présente recherche est guidée par l’impératif

7Cela corresponde aux entretiens et l’analyse de documents dans le cas de notre recherche

d’employer cette « réflexivité critique explicite », malgré la forte tentation de retomber dans la narration d'histoires particulières passionnantes. Le projet de recherche fut soumis à la commission d’éthique de l’Université de Genève; ce projet ainsi que l’accord de la commission se trouvent en Annexe 1.

4.2 Participants

Les parents de trois familles ayant un enfant autiste ont participé à cette recherche. Parmi ces trois familles, deux résident en Suisse romande dans un environnement urbain et une en Suisse alémanique dans un environnement rural.

4.2.1 Critères de sélection des participants

Les critères de choix des familles étaient les suivants :

1) présence dans la famille d’un enfant qui a reçu un diagnostic d’autisme, ce critère vient de la problématique de la recherche ;

2) au moins un des parents est russophone. Ce deuxième critère est d’ordre pratique : le russe étant la langue d’origine de la chercheuse, lui permet de faire les entretiens dans la langue d’origine des interviewés sans avoir recours à un interprète ;

3) au moins un des parents peut communiquer couramment dans la langue majoritaire de son lieu de vie actuel (le français et le suisse-allemand en l'occurrence) ;

4) les parents russophones ont immigré en Suisse après avoir fini l’école obligatoire dans leur pays d’origine.

Le choix de ces deux derniers critères est lié au fait qu’un tel parcours de vie, selon Yu (2013), pose plus inévitablement la question du bilinguisme ce qui rende les décisions parentales au propos de politique langagière familiale plus conscientes.

4.2.2 Modalité de recrutement des participants

Pour trouver les familles, j’ai utilisé des ressources personnelles. Dans deux des trois familles, j’ai travaillé en tant qu’intervenante en ABA. Quant à la troisième, j’ai pu la contacter grâce aux parents d’un enfant avec lequel j’avais travaillé. Cette manière de recruter les participants met la chercheuse et les parents dans une situation particulière : les rôles habituels de parents et d'une professionnel réunis pour la prise en charge de l’enfant deviennent des rôles de participant de recherche et de chercheuse. Nous changeons par conséquence notre mode de discussion habituelle où chacun exprime son point de vue et l’argumente, à un entretien de recherche où les participants s’expriment et la chercheuse les écoute en essayant au mieux de comprendre ce qu’ils sont en train de communiquer. Cette situation est forcément différente de celle où le chercheur et les participants ne se connaissent pas avant la recherche. Dans le type d’étude qualitative que nous menons, le chercheur est un « premier instrument de recherche » (Poisson, 1991, p.41). La neutralité du chercheur est donc impossible dans cette démarche, où sa subjectivité est « inhérente au rôle capitale que joue le chercheur en tant qu’instrument de recherche dans la tradition de verstehen » (ibid.) Notre souci par rapport au nouveau rôle de la chercheuse n’était pas donc de s'approcher au maximum d'une « neutralité », mais de prendre des dispositions afin de

rendre notre « démarche de collecte, d’analyse et d’interprétation de données la plus valable possible » (ibid., p.42). D'un autre côté, il est vraisemblable qu’être un professionnel dans ce domaine est le seul moyen d’avoir accès aux familles pour ce type de recherche-là (Baker, 2013; Yu, 2013). Yu avait fait un essai de recrutement très large mais finalement la chercheuse n'a reçu des réponses que des parents qu’elle connaissait déjà personnellement (y compris dans le cadre de son travail de logopédiste. Jegatheesan (2011) quant à elle ne précise pas comment elle a trouvé les familles participantes, mais vu qu’elle-même est une logopédiste qui travaille avec les familles ayant un background multiculturel, cette option n’est pas exclue pour autant.

4.2.3 Présentation des participants

Les pseudonymes des participants et de leurs enfants, leurs âges, les langues utilisées dans la communication parent-enfant ainsi que les langues utilisées avec les autres membres de famille sont présentés dans le tableau 1 ci-dessous.

Dans les familles de Pasha et d'Igor, les deux parents sons russophones; dans la famille de Andrew, la mère est russophone tandis que son conjoint (le beau-père de l’enfant) est francophone. Dans deux des familles, l’enfant ayant les TSA est un enfant unique et dans la troisième l’enfant ayant le diagnostic d’autisme a un petit frère. Le pays d’origine de tous les parents russophones est l’URSS. Tous les parents interviewés ont une formation d’étude supérieure : 3 ont un degré de masters et un a le degré de doctorat. Les enfants ayant les TSA ont de 4 à 9 ans au moment des entretiens et ont tous reçu le diagnostic entre 2,9 ans et 3 ans.

Au moins deux ans séparent donc le diagnostic de l'enfant des entretiens. Les niveaux de langage au moment de la recherche sont très différent chez les trois enfants : Igor, le plus âgé des trois, peut faire des conversations assez élaborées en russe, en allemand et en suisse-allemand; il sait également lire et écrire en russe et en allemand. Andrej progresse rapidement dans ses acquisitions verbales et approche gentiment de la limite de la norme de son âge en français. Il a également une certaine compréhension du russe. Pasha quant à lui sait faire quelques demandes ainsi que nommer un certain nombre de choses sur demande, mais il est encore au début de l'apprentissage du langage.

Tableau 1. Participants

Pasha (6) Suisse romande 2 ans et 11 mois Enfant unique Uniquement français Russe entre les parents

Inna Andrew (4) Suisse romande 2 ans et 9 mois Enfant unique Majoritairement

8Initialement le plan de recherche était de faire l’entretien pilote avec la famille en Suisse alémanique avant de faire les entretiens en Suisse romande. L’enfant de cette famille en Suisse alémanique avait déjà 9 ans au moment de l'entretien, donc il n’avait plus l’âge de l’éducation précoce. Cet entretien a néanmoins été inclut dans le corps de données de recherche pour les raisons suivantes : 1) ces données nous ont paru extrêmement riches et importantes dans le contexte de notre recherche ; et 2) ce que la mère a raconté pendant l’entretien était soigneusement documenté par elle-même dans son « live journal » pendant les évènements de la petite enfance de son fils, journal sur lequel elle s’est appuyé dans notre conversation.

Les parents participants ont reçu la lettre d’information et ont signé le consentement de participation. La lettre et le consentement étaient écrits en russe et en français (cf. Annexe 2).

L'anonymat des participants est garanti par des pseudonymes et par une anonymisation immédiate de toutes les données de recherche (les retranscriptions et les documents).