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PRÉSENTATION DES DISCUSSIONS : PISTES DE RÉFLEXION

CHAPITRE 3 ART CONTEMPORAIN ET MORALE (ET ÉTHIQUE) : CRISE DE

3.3 PRÉSENTATION DES DISCUSSIONS : PISTES DE RÉFLEXION

présenté dans les grandes expositions internationales, telle la Biennale de Venise, et dans les grandes galeries officielles se tiennent surtout en France et dans le monde anglo-saxon, comme nous avons pu le constater dans le deuxième chapitre. Ces deux discussions, française et anglo-saxonne, portent sur les mêmes pratiques et sont de natures parentes, mais distinctes : par exemple, toutes deux critiquent l'hypertransgression qu'on y retrouve, cependant l'une s'inquiète davantage de la perte de la recherche de plasticité, de beauté, et des critères pouvant juger cet art, désormais orphelin de cette recherche plastique pourtant centrale à la modernité; et l'autre en propose une critique éthique singulière, comme critère permettant de l'évaluer, puisque c'est un art de contenu explicite, ou qui se veut tel.

En France, débat virulent qui a eu lieu dans les années 1980-1990 et qui perdure, mais moins fortement, c'est la légitimité des formes actuelles en tant qu'oeuvres d'art57, qui prennent place dans les grandes Biennalles et dans les musées, qui est mise en cause. On y déplore le fait que ces grandes expositions officielles présentent trop souvent des oeuvres d'artistes qui ont décliné toute invitation à la recherche ou à la représentation du beau, qui soutiennent des contenus souvent immoraux, voire décadents, qui sont trop largement sponsorisés ou subventionnés par l'État et qui, en ce sens, jouent le jeu du marché d'une façon outrancière. Des pratiques qui ont entrainé la mise au rancart des critères d'évaluation de la modernité artistique et de ses avant-gardes; l'emballement de la machine à transgresser ayant souvent rendu les pratiques inévaluables du point de vue formel et souvent difficilement déchiffrables du point de vue du contenu. Un regard sur l'art actuel qui pose nécessairement la question de son rapport à l'éthique et à la morale, et celle de la relation qu'il incarne, ou pas, entre la forme et le contenu, puisqu'il est souvent chargé de messages à outrance et souvent outranciers.

La discussion surtout développée dans le monde anglo-saxon observe le même art, les mêmes pratiques, mais elle ne se pose pas en premier la question de sa légitimité. Ce qui en fait l'objet est la question du droit de l'évaluer du point de vue moral et éthique. Est-ce que la critique éthique est légitime et pertinente face aux pratiques actuelles, si souvent questionnables d'un point de vue éthique, de l'art dit contemporain? Les critères formels ayant perdu énormément de poids, d'importance et de sens, et les contenus de sens en ayant pris plus que proportionnellement à ce qui a été perdu sur le plan formel, il semble, pour Talon- Hugon, que nous puissions tout au moins profiter de cette possible grille d'analyse critique qu'est la critique éthique pour minimiser les dégâts moraux que ces pratiques se permettent en toute impunité. « En effet, plus les frontières de l'art et de l'extraartistique s'amenuisent, plus l'extraterritorialité de l'art et, partant, son imputabilité éthique est problématique. » (Talon-Hugon, 2009, p. 154)

En fait, le manque de critères d'évaluation de l'art actuel, qu'ils soient formels ou du contenu, permet pour plusieurs que n'importe quoi soit adulé à la seule condition de parler fort, c'est-à-dire d'occuper massivement l'espace public ou muséal avec des objets qui surprennent et qui s'imposent. Une absence de critères qui oblige, pour en comprendre la cause, à faire la genèse de la disparition de ces critères et à revenir au moment où l'art a pris son autonomie, moment qui a transformé la création artistique jusqu'à son hyperautonomisation. Une absence de critères qui oblige à revenir sur les critères fondateurs pouvant accorder le titre d'oeuvre d'art à un objet se prétendant tel, nécessitant aussi de rappeler ceux du classicisme et de la modernité. Une sorte d'histoire, d'une transgression à l'autre, en passant par l'absence d'objet matériel58, jusqu'à ce qu'il n'ait plus de critères. Bien qu'en France la question de la morale soit indirectement présente, elle est omniprésente, puisque les transgressions sont légion dans l'art contemporain. Au-delà du regard porté sur la question de la morale, ce qui est en jeu est la croyance, la conviction ou la peur que ce moment de la création artistique soit la fin de l'art, la fin de la présence de l'esthétique dans

58 Oeuvre immatérielle : « En 1962, Yves Klein vend une zone de sensibilité picturale, c'est-à-dire de

l'art, la fin de la présence d'un contenu ou d'une intention morale ou éthique (implicite ou explicite), et la fin, surtout, de la transcendance dans l'art.

Autant la réflexion sur la pertinence de la critique éthique que celle sur la reconnaissance ou non de l'art contemporain comme pratique digne de ce nom, autant l'une que l'autre a recours à la genèse de ce moment historique actuel, à son origine, au moment où l'art a pris son indépendance, est devenu autonome, et à ce qui a suivi, d'un "isme" à l'autre, jusqu'aux moments postmodernes et hypermodernes actuels, pour comprendre l'avènement du gout du beau, jusqu'au beau plaisant sans contenu éducationnel ou moral, puis le gout d'un art beau et éthique (ce qui est ma position et ma pratique, en accordant à la part éthique une place explicite ou implicite dans la forme et dans la matière immanente) et enfin le gout de la transgression, jusqu'à son paroxysme. Ainsi, les lectures que font les auteurs cités dans ce texte sont complémentaires, et les chemins de réflexion qu'ils nous invitent à prendre, en amont de la crise et au-delà des débats, nous enseignent plutôt que nous persuader.

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