2. La Schizophrénie et la symptomatologie hallucinatoire 2.1. La schizophrénie 2.1.2. Présentation clinique 2.1.2.1. Mode d’entrée La schizophrénie débute entre 16 et 30 ans avec une présentation pouvant être plus tardive chez la femme (Mueser & Mcgurk, 2004). Le mode d’entrée est progressif et les premiers troubles apparaissent plusieurs années avant ce qui était décrit auparavant comme l’épisode psychotique inaugural (la bouffée délirante aiguë). Il est dorénavant bien reconnu que des signes précurseurs sont déjà présents des années avant le premier épisode psychotique avec l’évolution à bas bruit de symptômes atténués pouvant rendre compte d’un déclin des performances scolaires et d’un isolement et d’un désinvestissement social (Fusar-Poli et al., 2013; Riecher-Rossler et al., 2006). Les études s’intéressant aux signes précoces de la schizophrénie ont permis de dégager généralement deux phases précédant l’entrée en psychose chez les patients qui convertissent : 40 de la naissance aux premiers signes de la maladie et est caractérisée par des anomalies développementales non spécifiques qui constituent un terrain de vulnérabilité. Parmi ces troubles du développement, on note la présence de difficultés de contrôle du comportement et d’ajustement social durant l’enfance (Done, Crow, Johnstone, & Sacker, 1994). Les sujets qui convertiront vers la psychose présentent également plus fréquemment des troubles psychopathologiques comme une vulnérabilité aux troubles anxieux (Keshavan, Diwadkar, Montrose, Rajarethinam, & Sweeney, 2005; Kugelmass et al., 1995), un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, une dépression ou un trouble oppositionnel (Keshavan et al., 2005). D’autres études ont montré qu’une personnalité prémorbide de type schizoïde ou schizotypique était également plus fréquemment observée (Foerster, Lewis, Owen, & Murray, 1991; Fryers & Brugha, 2013; Rutter, 1995). Des perturbations du fonctionnement cognitif (mémoire, attention soutenue, mémoire de travail, langage) et moteur sont également décrits (Jones, Rodgers, Murray, & Marmot, 1994; Laurens et al., 2015; Niemi, Suvisaari, Tuulio-Henriksson, & Lönnqvist, 2003). Enfin, un retard moteur aux différences étapes développementales, des troubles de la coordination et des motricités fines et globales lors de l’enfance et l’adolescence ou des signes neurologiques mineurs ont pu être décrits durant cette phase prémorbide (Fish, Marcus, Hans, Auerbach, & Perdue, 1992; Isohanni et al., 2005; Niemi et al., 2003). La phase prodromique correspond quant à elle à l’état mental à risque de psychose, c’est-à-dire aux premiers signes de la maladie précédant les premiers véritables symptômes de la psychose. Depuis les premiers travaux de l’équipe de McGorry, une attention particulière a été portée sur la problématique des sujets présentant un Ultra-Haut Risque de développer une psychose afin de proposer une intervention précoce et préventive avant la transition vers la psychose (McGorry, Yung, & Phillips, 2003). Cette approche permet d’identifier les 41 regard du risque de conversion vers la psychose. Un sujet est ainsi considéré comme à Ultra-Haut Risque s’il présente des symptômes d’un ou plusieurs des trois groupes suivants (Fusar-Poli et al., 2013) : Groupe de patients présentant une vulnérabilité associée à une baisse du fonctionnement global (GRS : Genetic Risk and Deterioration). Ces patients présentent un facteur de risque trait (apparentés au premier degré souffrant de psychose ou trouble de la personnalité schizotypique) et une détérioration significative au cours de la dernière année ayant évolué durant au moins un mois Groupe de patients présentant une psychose atténuée c’est à dire dont les symptômes de sévérité, de durée ou de fréquence sont diminués (PAS : Attenuated Psychotic Symptoms) par rapport au seuil de sévérité ou de fréquence retrouvé dans le cas d’un épisode psychotique bien identifié. Ces symptômes doivent avoir été présents durant la dernière année et depuis moins de cinq ans. Groupe de patients présentant des symptômes psychotiques limités et intermittents, de résolution spontanée en moins d’une semaine et sans traitement, ce durant la dernière année et depuis moins de cinq ans (BLIPS : Brief Limited Intermittent Psychotic Symptoms). Une récente méta-analyse a mis en évidence que comparativement aux deux autres facteurs, le risque de conversion vers une psychose est plus élevé dans le groupe de patients BLIPS comparativement au groupe de patients APS alors que le groupe de patients GRS est plus rare et n’est pas associé à un risque accru d’entrée en psychose (Fusar-Poli et al., 2016). 42 2.1.2.2. Description clinique Trois groupes de symptômes sont généralement décrits dans la schizophrénie : les symptômes psychotiques (ou dit « positifs » ou productifs), les symptômes déficitaires (ou dit « négatifs ») et les symptômes de désorganisation. Les symptômes productifs sont des symptômes de distorsion de la réalité qui regroupent principalement les hallucinations et les idées délirantes. Les hallucinations sont classiquement décrites comme des perceptions sans objet (Ey, 1973) pouvant toucher toutes les modalités sensorielles. Dans la schizophrénie, la prévalence des hallucinations auditives (HA) est plus forte pouvant aller jusqu’à 70% selon les études (Blom, 2013). Les HA constituent un des symptômes les plus fréquemment observé dans la clinique des patients. Les hallucinations visuelles (HV) semblent sous-estimées cliniquement alors que la prévalence peut atteindre 27% à 37% selon les récentes études (Van Ommen et al., 2016; Waters, Collerton, Ffytche, Jardri, Pins, Dudley, Blom, Mosimann, Eperjesi, & Ford, 2014). Les hallucinations dans ces deux modalités sensorielles restent les plus fréquentes par rapport aux autres modalités et leur expression clinique tend à diminuer avec l’évolution de la maladie (Goghari & Harrow, 2016). Enfin, les expériences hallucinatoires semblent avant tout multimodales et peuvent atteindre une prévalence de 53% alors que des expériences hallucinatoires unimodales ne seraient retrouvées que dans 27% des cas dans une population de patients souffrant de troubles du spectre de la schizophrénie (Lim et al., 2016). Les hallucinations peuvent parfois alimenter une thématique délirante. Les idées délirantes sont des croyances infondées basées en partie sur des prémisses erronées déduites de l’environnement extérieur. Outre les idées délirantes de persécution, on retrouve les délires mystiques, de grandeur, d’illusions de contrôle, de référence ou de transformation corporelle. Les idées délirantes sont généralement 43 impression de flou et de bizarrerie. Les symptômes productifs répondent généralement bien aux traitements neuroleptiques de première et seconde génération. Les symptômes déficitaires correspondent à l’appauvrissement de la vie psychique et regroupent l’émoussement affectif, l’anhédonie, les troubles de la volition (apathie, apragmatisme, aspontanéité), l’alogie et le retrait social (Andreasen & Olsen, 1982). Ces symptômes répondent généralement moins bien aux neuroleptiques de première génération par rapport à ceux de seconde génération (Sernyak & Rosenheck, 2007). Cette famille de symptômes est également celle pour laquelle l’impact fonctionnel est le plus important dans la mesure où l’intrication avec les troubles cognitifs et le fonctionnement psychosocial y est plus forte (Yazbek et al., 2013). Enfin, ces symptômes peuvent être considérés comme primaires c’est à dire intrinsèques à la maladie, ou secondaires dépendants de facteurs extérieurs comme les effets secondaires des traitements neuroleptiques ou à une symptomatologie dépressive additionnelle (Carpenter, Heinrichs, & Wagman, 1988). La dimension de désorganisation est issue du concept de dissociation développé par Bleuler. Elle correspond à la rupture de l’unité psychique conduisant à la perte de l’unité et l’homogénéité de la personnalité. La désorganisation s’exprime au niveau du fonctionnement cognitif et intellectuel (troubles attentionnels majeurs), de la pensée et du langage (discours flou et hermétique parfois jusqu’à l’incohérence, pensée tangentielle, barrages), du fonctionnement affectif (réactions émotionnelles inappropriées ou paradoxales) et du comportement (maniérisme, attitudes paradoxales, mouvements involontaires, stéréotypés, impulsifs ou absurdes). Enfin, outre ces trois familles de symptômes, les personnes souffrant de schizophrénie peuvent également présenter d’autres manifestations peu spécifiques comme des angoisses, des troubles de l’humeur et notamment un syndrome dépressif et des troubles cognitifs que nous décrirons par la suite. 44 Ces trois familles de symptômes figurent dans les classifications internationales proposant les critères diagnostiques standardisés. Ainsi le DSM 5 propose les critères suivants : A. Deux (ou plus) des symptômes suivants ont été présents une partie significative du temps pendant une période d'un mois (ou moins si traités avec succès). Au moins l'un d'entre eux doit être (1), (2) ou (3) : 1. des idées délirantes ; 2. des hallucinations ; 3. un discours désorganisé (par exemple, fréquent déraillement ou incohérence) ; 4. un comportement excessivement désorganisé ou catatonique ; 5. des symptômes négatifs (c'est-à-dire, expression émotionnelle diminuée ou avolition). B. Pour une partie significative du temps depuis le début de la perturbation, le niveau de fonctionnement dans un ou plusieurs domaines importants, tels que le travail, les relations interpersonnelles, ou les soins personnels, est nettement en dessous du niveau atteint avant le début (ou en cas de survenue dans l'enfance ou l'adolescence, il y a un échec à atteindre le niveau attendu dans le fonctionnement interpersonnel, scolaire ou professionnel). C. Des signes continus de la perturbation persistent pendant au moins six mois. Cette période de six mois doit inclure au moins un mois de symptômes (ou moins si traités avec succès) qui remplissent le critère A (phase active) et peuvent inclure des périodes de symptômes prodromiques ou résiduels. Pendant ces périodes prodromiques ou 45 négatifs seulement ou par deux ou plus des symptômes énumérés dans le critère A présents dans une forme atténuée (par exemple, des croyances bizarres, des perceptions inhabituelles). D. Le trouble schizo-affectif et le trouble dépressif ou bipolaire avec caractéristiques psychotiques ont été écartés parce que soit 1) aucun épisode dépressif majeur ou maniaque n'a eu lieu en même temps que les symptômes de la phase active, ou 2) si des épisodes de trouble de l'humeur ont eu lieu pendant les symptômes d'une phase active, ils ont été présents pour une minorité de la durée totale des périodes actives et résiduelles de la maladie. E. La perturbation n'est pas imputable aux effets physiologiques d'une substance (par exemple une drogue ou un médicament) ou à une autre condition médicale. F. S'il y a des antécédents de trouble autistique ou un autre trouble envahissant du développement ou un autre trouble de la communication débutant, le diagnostic additionnel de schizophrénie est posé uniquement si des idées délirantes ou des hallucinations prononcées, en plus des autres symptômes requis de la schizophrénie, sont également présentes pendant au moins un mois (ou moins si traitées avec succès). L’apport des travaux en génétique a permis de développer une approche de la maladie basée sur la vulnérabilité génétique d’où découle une évolution naturelle du concept de schizophrénie. Le DSM 5 a d’ailleurs proposé un chapitre intitulé « spectre schizophrénique et autres troubles psychotiques » qui regroupe selon un gradient de psychopathologie les 46 - Trouble de la personnalité schizotypique - Trouble délirant - Trouble psychotique bref - Trouble schizophréniforme - Schizophrénie - Trouble schizo-affectif - Trouble psychotique induit par une substance - Trouble psychotique associé à une condition médicale - Trouble catatonique associé à une condition psychiatrique (spécification) - Trouble catatonique associé à une autre condition médicale - Trouble catatonique non spécifié - Autres troubles du spectre schizophrénique ou autres troubles psychotiques - Troubles non spécifiés du spectre schizophrénique et autres troubles psychotiques non spécifiés Dans le document Exploration du traitement de l’information visuelle au stade précoce et intégratif chez les patients souffrant de schizophrénie avec hallucinations visuelles (Page 41-48)