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Selon les travaux de l’historien Guy Laperrière, notamment, les communautés religieuses, surtout dans les domaines de l’éducation et de la santé, auraient largement contribué au développement socio-économique du Québec actuel. Venues de la France, ces institutions ont connu de grands bouleversements depuis leur création au 16e siècle. Sur la quatrième de couverture de La vie dans les communautés religieuses : L’âge de la ferveur, 1840-1960 (2010) de Claude Gravel, on peut lire « Le monde dont parle ce livre n’existe plus. » Il souligne que la vie religieuse au Québec s’avère très prégnante entre les années 1840 et 1960, soit bien après l’arrivée des premiers colons français et la Conquête par les Britanniques.

Par la suite, le Québec assiste au déclin de nombreuses congrégations religieuses, voire à leur disparition, en raison de la laïcisation progressive de la société et de l’émergence de pratiques issues d’autres traditions religieuses. Il n’empêche qu’à une certaine époque, le catholicisme aurait agi tel un ciment social. Selon Martin Meunier et Sarah Wilkins-Laflamme, il aurait constitué « une façon de protéger sa distinction devant les empires anglais et américain. » (2011 : 684- 685) Il n’aurait même été que cela…

Au fil des ans, plusieurs communautés sont fondées et se consacrent à diverses causes. Dans Femmes de lumière : les religieuses québécoises avant la Révolution tranquille, par exemple, Ann-Marie Sicotte précise : « Entre 1639 et 1963, plus de trente communautés ont œuvré dans le domaine de la santé au Québec ». (2007 : 164) Selon la chercheure, d’autres congrégations étaient plutôt monastiques, se consacrant à la prière et à la contemplation. Ce faisant, elles

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subvenaient aux besoins spirituels et psychologiques du peuple. Bien qu’en retrait, ces religieuses n’auraient cependant pas échappé aux problèmes d’une société qui émerge après une longue période de colonisation. Quant aux congrégations dites « actives », elles « avaient choisi de rester “dans le monde” et de se jeter corps et âme dans une œuvre essentielle, celle d’améliorer le bien-être collectif qui exigeait de leur part autant d’abnégation que d’empathie pour son prochain. » (Ibid. : 9) Celles-ci travaillaient comme infirmières et aides-soignantes dans les hôpitaux, techniciennes de laboratoire, assistantes dentaires, aides-pharmaciennes et sages- femmes. Elles prenaient également soin de ceux qui souffraient de maladies incurables, et des soldats blessés.

Les sœurs s’occupaient aussi des enfants abandonnés et des filles-mères, dans une société où l’on condamnait la procréation hors mariage. Elles dirigeaient des orphelinats, des garderies et des maternelles. Elles étaient institutrices dans des écoles primaires et secondaires. Enfin, dans leurs propres pensionnats, elles formaient et éduquaient des jeunes filles destinées à devenir enseignantes ou soignantes. Du coup, selon Sicotte, ces instituts familiaux ont initié bon nombre de femmes aux différentes tâches quotidiennes.

D’une certaine manière, les religieuses ont été les premières travailleuses sociales du Québec : elles visitaient les gens à leur domicile, offraient de l’aide, des vêtements et de la nourriture aux pauvres. Elles ont aussi fait construire des hospices pour héberger les personnes âgées, les handicapés et les itinérants, de sorte qu’elles ont longtemps bénéficié d’une certaine estime auprès d’une population encore très croyante et pratiquante. Eu égard à leur importante contribution sociale, certains historiens n’hésitent pas à parler des religieuses comme de féministes avant l’heure. C’est le cas non seulement de Gravel et de Sicotte, mais aussi de Micheline Dumont et de Nicole Laurin. Ainsi, dans son article intitulé « Les communautés religieuses et la condition féminine », Dumont (alors Dumont-Johnson) va jusqu’à poser la question « Les religieuses seraient-elles des féministes sans le savoir ? » (1978 : 79)

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On ne peut le nier : au Québec, les religieuses ont été parmi les premières à être formées comme infirmières et enseignantes professionnelles. Il est clairement dit par Gravel que les religieuses ont longtemps été plus instruites que les laïques, bien que mal rémunérées. Ce n’est d’ailleurs pas un secret ; bien des filles se sont jointes aux rangs des communautés religieuses dans le but d’avoir accès à une formation. Marta Danylewycz, dans son ouvrage Profession : religieuse. Un choix pour les Québécoises, 1840-1920, confirme que la vie religieuse contribuait à améliorer le sort des filles en raison de la situation socio-économique difficile du Québec d’alors. Dans certaines familles, l’insistance des parents a pu avoir une influence également, mais Roberto Perin, dans « 1639. Débuts des communautés religieuses féminines », soutient qu’il ne faut pas négliger pour autant l’importance de la foi :

[la] vie religieuse offre aux femmes la sécurité matérielle et psychologique, ainsi que l’occasion d’accomplir certains travaux hors de l’ordinaire sans avoir à se soumettre directement à l’autorité masculine. Jusqu’au 20e siècle, devenir religieuse est aussi la seule façon pour les femmes de s’instruire. Dans une société profondément religieuse, c’est néanmoins la volonté de renoncer aux plaisirs de l’existence quotidienne pour mieux servir Dieu qui a dû motiver la plupart des femmes à entrer en religion. Elles sont d’ailleurs nombreuses à le faire : 6 628 en 1901, 25 488 en 1941, réparties dans 41 congrégations. (En ligne)23

Mais peut-on toujours parler de renoncement ? Dans son article « Les charismes perdus. L’avenir des congrégations religieuses féminines en l’an 2000 », Dumont rapporte les propos d’une religieuses interviewée à la télévision dans les années 1960 :

Lorsqu’on entre en religion, et qu’on fait vœu de chasteté, on ne renonce pas à sa sexualité. Quand on fait le vœu de chasteté, on renonce à l’exercice physique, amoureux de sa génitalité, mais on demeure vraiment sexualisé. Je suis vraiment une femme sexualisée ; toute ma vie, pour m’exprimer un peu brutalement, est sexuelle, en ce sens que dans toute ma vie, il y a une

23 Extrait de l’article « 1639 Débuts des communautés religieuses féminines », tiré du site

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partie affective ; tout ce que je fais est affectif. Dans mon travail, il y a de l’affection ; même l’art est rempli de sexuel. (1990 : 89)

Or, en dépit de la liberté apparente des sœurs, il faut quand même reconnaître qu’« [elles] ne sont pas exemptées de l’autorité masculine » (Gravel, 2010 : 20), dont celle des curés et des évêques.

Puis vient la laïcisation issue de la Révolution tranquille, phénomène concomitant au déclin des communautés. Les données suivantes s’avèrent fort éloquentes à ce sujet :

Tableau 1

Évolution des effectifs religieux au Québec

Année Nombre de religieux Nombre de

religieuses

Total

1931 6 930 27 287 34 217

1961 12 625 46 933 59 558

2010 2000 pères, 1000 frères 12 500 15 000

Source : Guy Laperrière, Histoire des communautés religieuses au Québec, Montréal, VLB éditeur, 2013.

On constate ici que les 30 ans qui se sont écoulés entre 1931 et 1961 ont constitué l’apogée de la vie religieuse au Québec. 50 ans plus tard, on assiste à une chute des effectifs d’environ 300 %.

Outre les changements sociaux qui transforment le Québec, le Concile Vatican II, tenu en 1962, se révèle déterminant comme le souligne Gilles Routhier, lequel préfère parler de « modernisation de l’Église catholique au Québec » (2010 : 41). Pour celui-ci, Vatican II représente « le passage d’une Église cléricale à une Église peuple de Dieu […], la fin d’une longue période de catholicisme ultramontain et le commencement du catholicisme québécois. » (Ibid. : 42) Il faut préciser que le Vatican reconnaît désormais l’autorité de l’Église locale. Ces deux

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évenements (la Révolution tranquille et Vatican II) président à un Québec à la fois catholique et évolué. Mais il n’en demeure pas moins que les réformes dictées par Vatican II ont en bonne partie conduit à la diminution du contingent de religieux au Québec. L’Église a alors apporté des changements remarquables dans la liturgie et, partant, dans la vie de ses membres. Certaines religieuses, qui ne pouvaient pas comprendre ni accepter ces modifications, ont déserté les couvents. Ce fut le cas pour certains religieux aussi. On pourrait donc dire que, paradoxalement, l’ennemi de la vie religieuse québécoise venait de l’intérieur… « Comme l’écrit le théologien Gilles Routhier, la réception d’un concile est nécessairement ”un temps de crise”, ”un temps d’épreuve”, ”un temps où rien n’est joué, un temps d’apprentissage” ».24

D’autres facteurs sont à considérer dans l’équation. Le vieillissement et le décès des membres, un difficile recrutement, l’industrialisation et la défection de membres capables d’exercer des professions contribuent à ce chamboulement démographique. Nicole Laurin, dans « Quel avenir pour les religieuses du Québec ? », les évoque, tandis que Raymond Lemieux, dans « Le catholicisme québécois : une question de culture », tient pour responsable de la situation le déclin du catholicisme en général au Québec.

Même avant le Concile de 1962, la Révolution tranquille entraîne déjà dans sa foulée d’importantes mutations qui ont pu être perçues comme étant injustes par plusieurs religieuses. En effet, ces dernières devaient remettre les écoles et les hôpitaux dans les mains de l’État et, du coup, renoncer aux postes administratifs qu’elles occupaient, de même qu’au statut social dont elles jouissaient. Comme le fait remarquer Dumont :

[cette] évolution venait stigmatiser l’exploitation systématique, par la société québécoise, de l’expertise et des services des religieuses. Tant que leur travail s’était effectué dans la gratuité ou selon une rémunération bien

24 Extrait de l’article intitulé « Comment Vatican II a changé l’Église », sur le site d’Écho magazine

(http://www.echomagazine.ch/archives/articles-2012/5-a-la-deux/160-comment-vatican-ii-a-change- leglise). Page consultée le 6 février 2014.

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inférieure à celle des autres salariés, on n’avait pas hésité à recourir à leurs services. (1990 : 83)

Les historiens du Québec identifient un autre facteur responsable de la démographie en chute libre des religieux, soit la diminution de la taille même des familles. Aujourd’hui, bien des couples n’ont qu’un, deux ou trois enfants. Certains, par choix, n’ont pas d’enfant du tout ; des couples infertiles adoptent rarement plus d’un enfant. Quand on pense que les familles d’avant 1960 au Québec étaient composées du père, de la mère et de douze à quatorze enfants, on peut facilement comprendre l’impact de ce « relâchement », lequel a affecté à son tour la vie religieuse.

Pourtant, face à ce déclin, les religieuses ne seraient pas restées inactives. Laurin assure qu’« [en 2000,] il y aurait environ 15 000 religieuses au Québec ; c’est un nombre considérable »25. Ce nombre n’est toutefois rien par rapport à ce qu’il a déjà été. D’ailleurs, Laurin fait mention d’une étude de la firme Samson Bélair, laquelle prédit une extinction complète des communautés d’ici 2035, si le nombre de vocations reste tel qu’il est à l’heure actuelle. Quoi qu’il en soit, les religieuses seraient encore présentes au Québec. Elles œuvrent au sein de leurs communautés, dans les paroisses et dans leurs propres établissements. Elles ont cependant dû redéfinir leur mission et trouver de nouvelles façons de tendre la main aux gens dans le besoin. Selon Dumont,

en 1981, les religieuses animent et financent, entre autres : huit refuges pour femmes en difficultés, trois maisons de transition pour adolescentes, six centres de jour, sept centres de dépannage pour les femmes au foyer, deux services d’aide à domicile, huit maisons d’hébergement-santé, un centre pour les victimes d’agressions sexuelles, deux garderies, un service de gardienne, cinq maisons pour jeunes mères célibataires. Ce groupe a, d’autre part, organisé de nombreuses réunions régionales sur des questions touchant la condition des femmes et incité la Conférence religieuse canadienne à tenir sa XVe Assemblée générale, en 1984, sous le thème Femmes. Pour quel monde ? (1990 : 87)

25 Voir Nicole Laurin, « Quel avenir pour les religieuses du Québec ? »

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Enfin, plusieurs congrégations ont, de nos jours, des associés, soit des personnes qui ne prononcent pas de vœux ni ne vivent en communauté. Il s’agit de laïcs qui épousent les valeurs et l’esprit de ces congrégations. Par conséquent, le catholicisme n’a pas totalement déserté le Québec ; il a pris d’autres formes… mais bel et bien perdu une part non négligeable de son influence.

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Les textes

Plusieurs chercheurs soulignent la présence de la religion dans la littérature québécoise, ainsi que les changements qui l’ont marquée depuis sa naissance. Gilles Marcotte demeure d’avis qu’elle ne constitue pas pour autant une littérature chrétienne. Selon lui dans « La religion dans la littérature canadienne-française contemporaine », l’écrivain peut être inspiré par les œuvres qui ont précédé la sienne, par la nature ou par la société.

Si Marcotte signale que de plus en plus de romans québécois sont imprégnés de révolte, il croit qu’on ne peut pas encore parler de personnages anticléricaux, dans la mesure où « l’imagination n’est pas généralement prête à les accueillir. » (1964 : 171) Du même souffle, il souligne au sein de la production littéraire d’alors le manque « d’imagination, un délié, une liberté de mouvement, une souplesse, une maturité intellectuelle et spirituelle, qui lui permettraient de décrire les débats personnels ou sociaux sans trahir le mouvement même de l’imagination. » (Loc. cit.) Pour Marcotte, la Révolution semble bel et bien tranquille.

Pourtant, Romain Légaré, dans une contribution ayant pour titre « Le prêtre dans le roman canadien-français » et issue elle aussi des années 1960, parle du roman traditionnel québécois, lequel met généralement en scène des religieux aux convictions solides. Dans ces œuvres, on présente un prêtre sans peur et sans reproche, qui n’a pas peur du Malin, puisqu’il incarne Dieu auprès des hommes. Il instaure les règles morales que doivent observer ses paroissiens, et célèbre l’Eucharistie de même qu’il administre les sacrements. C’est un être qui se situe au- dessus de la mêlée, qui éclaire le chemin des autres par le biais de ses connaissances étendues et de sa sagesse.

En guise d’exemple, Légaré cite le roman Vézine de Marcel Trudel, où l’auteur décrit ainsi le protagoniste :

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