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La réflexion a jusqu’à présent privilégié les villes moyennes sous l’angle des discours, qu’ils soient politiques, institutionnels, scientifiques. En se focalisant sur une ville particulière, Béziers, la finalité est d’arriver à dépasser l’opacité des discours généraux par l’étude du discours des habitants. Comment les habitants perçoivent, ressentent, habitent – au sens heideggérien16 du terme –, racontent cette ville particulière ? Pour recueillir cette parole habitante plusieurs entretiens ont été menés auprès de personnes aux profils différenciés. La méthodologie d’enquête sera exposée ici plus en détail.

a. Le choix des enquêtés

Pour favoriser la diversité des discours, plusieurs profils d’enquêtés ont été distingués, quatre au total.

- Les « partis » sont des individus ayant vécu une grande partie de leur vie à Béziers et qui vivent aujourd’hui ailleurs. Dans cette étude, ces enquêtés habitent tous Paris. - Les « nouveaux arrivants » sont des personnes qui ne sont pas natives de la ville, qui

n’avaient pas d’attaches particulières à la ville et qui y vivent aujourd’hui.

- Les « ancrés » sont des personnes natives de la ville qui y vivent encore aujourd’hui et qui ne l’ont jamais quitté, si ce n’est l’espace de deux ou quatre ans.

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Martin Heidegger (1889-1976) est l’un des principaux penseurs de l’habiter. Pour lui, « habiter » est le prolongement du Dasein (« être là », si on traduit littéralement). En commentant le poème d’Hölderlein

Dichterlicht wohnt der Mensch (L’Homme habite en poète) ainsi que dans son texte Bauen Wohnen Denken

(1951), il précise que l’habiter est l’un des traits fondamentaux de l’essence humaine, qu’il constitue « la

45 - Les « revenus » sont des personnes ayant grandi à Béziers, qui sont parties vivre ailleurs pendant une période assez importante, six ans au minimum, et qui sont revenus s’y installer.

Ce sont ces quatre profils d’enquêtés qui seront étudiés. Ces profils auraient pu gagner en diversité avec la prise en compte des acteurs, des personnes vivant dans les villages accolés à Béziers, ou encore des touristes, de passage dans la ville, n’y restant un certain temps. Cependant, le temps sur le terrain étant limité, la restriction à quatre profils est apparue indispensable pour mener une étude cohérente et plus concentrée. Plusieurs témoignages ont été recueillis, avec des enquêtés aux profils différents.

La catégorie des « partis » compte trois enquêtés :

- H., un homme de 26 ans qui travaille comme cadre à Paris et habite en collocation en proche banlieue. Il a quitté Béziers à 18 ans, a fait deux ans d’étude à Toulouse, trois à Paris en école et est revenu quelques mois dans le Sud, à Marseille et Montpellier pour des stages. Il revient à Béziers tous les deux mois.

- C., un homme de 27 ans qui travaille comme professeur de collège en banlieue parisienne. Il a quitté Béziers à 18 ans, après quelques mois d’études à Toulouse, il est parti étudier à Montpellier pendant cinq ans. Il habite en banlieue parisienne depuis deux ans, en concubinage avec sa petite amie. Il revient à Béziers toutes les vacances scolaires.

- B., une femme de 25 ans qui étudie à Paris. Elle est partie à 18 ans à Nîmes pour étudier quatre mois et est revenue travailler à Béziers pendant six mois. Elle est ensuite partie étudier à Montpellier pendant deux ans, puis est revenue étudier un an à Béziers, en classe préparatoire. Après avoir obtenu un concours, elle est partie à Paris dans une école, elle y étudie depuis trois ans. Cependant, elle est en réorientation et va étudier à Rennes à la rentrée 2014. Elle revient à Béziers tous les mois.

La catégorie des « ancrés », regroupe deux enquêtées :

- M., une femme de 55 ans, institutrice. Elle a quitté brièvement Béziers pendant deux ans pour étudier à Montpellier puis deux ans pour travailler à Sète, mais a toujours vécu à Béziers le reste de sa vie. Elle a deux enfants qui ne vivent plus à Béziers et est séparée de son conjoint.

46 - R., une femme de 53 ans, nourrice. Elle a quitté Béziers deux ans pour accompagner son mari muté en région parisienne, elle a par la suite tout le temps vécu à Béziers. Elle a deux enfants qui ne vivent plus à Béziers, et est mariée.

Les « revenus » comptent deux enquêtés :

- L., un homme de 54 ans, travaillant à la SNCF. Il est né et a grandi à Béziers, il en est parti dix ans, pour des raisons professionnelles. Cela fait maintenant vingt ans qu’il est revenu à Béziers. Il a deux enfants qui ne vivent plus à Béziers et est marié.

- A., une femme de 25 ans, podologue. Elle est née et a grandi à Béziers, elle en est partie à 18 ans pour étudier à Toulouse pendant cinq ans, puis pour travailler dans diverses villes de France, comme Nantes où elle est restée deux ans. Elle est revenue à Béziers pour des raisons professionnelles, elle est domiciliée chez sa mère et est célibataire.

Enfin, les « nouveaux arrivants », regroupe ces enquêtés :

- K. et F., un couple arrivé à Béziers en 2004. Ils venaient d’Angleterre, K. étant anglaise, F. est originaire de la région parisienne. Avant d’habiter à Béziers, ils ont habité pendant huit mois à Sète. F. travaille comme traducteur à domicile, K. est sans emploi, ils sont mariés et ont un enfant de 11 ans.

Chaque entretien effectué a duré une heure et s’est passé dans la plupart des cas au domicile des enquêtés, sinon dans des lieux neutres, comme des cafés. Lors des entretiens, s’ils se sont tous bien déroulés, la matière à analyser a pu être inégale en fonction des enquêtés. Les enquêtés de la catégorie des « partis », par exemple, ont parlé avec entrain, ont été très enthousiastes à l’idée de participer à une étude sur Béziers. Cet entrain a pu se traduire dans le vocabulaire, pas toujours très poétique comme cela sera perceptible durant l’analyse et souvent familier. La décision a été prise de ne pas « enjoliver » leurs propos, mais de les laisser tels quels. La familiarité langagière a pu être facilité avec cette catégorie, car ayant moi-même le même parcours, c’est-à-dire ayant quitté Béziers pour m’installer à Paris, une proximité s’est installée et une certaine aisance des enquêtés s’est faite ressentir.

La catégorie des « ancrés » a été plus difficile à approcher. Il a été délicat d’entrer en contact avec des ancrés, surtout des jeunes entre 20 et 30 ans, qui n’étaient pas toujours réceptifs aux sollicitations pour participer à une étude. Les « ancrés » plus anciens ont eu plus de facilité à

47 parler de leur ville. Il en a été de même pour les jeunes « revenus », qui ne souhaitaient pas forcément participer à l’étude.

Les « nouveaux arrivants » ont été très enthousiastes et très loquaces sur la ville, leurs entretiens sont ceux qui ont duré le plus longtemps, beaucoup plus d’une heure. Ces entretiens offrent beaucoup de matière à traiter, et c’est pourquoi l’accent sera mis ici sur l’analyse d’un seul entretien pour cette catégorie, assez riche et intéressant à exploiter puisqu’il s’agit d’un couple « mixte » entre un français et une anglaise. Le plaisir de ces « nouveaux arrivants » à parler de la ville et de leur expérience de la ville a été perceptible durant les entretiens.

b. Présentation de la grille d’entretien17

Les grilles d’entretien ont été construites autour de trois thèmes principaux eux-mêmes divisés en sous thèmes. Ces thèmes et sous-thèmes sont identiques pour chaque catégories d’enquêtés, seules les questions posées seront spécifiques. Ainsi les grilles sont articulées autour de ces axes :

- La pratique de l’espace, qui comprend les fréquentations et les trajets effectués ; les lieux affectifs, appréciés et les marqueurs, les lieux emblématiques.

- Le récit de la ville, qui comprend la mise en scène de la ville ; les images et représentations liées à la ville et le rapport à la ville.

- Soi et les autres, qui comprend les interactions et l’identité, l’identification à la ville. A travers le thème des pratiques de l’espace, la fréquentation « routinère », les trajets que les enquêtés effectuent régulièrement seront étudiés pour pouvoir cerner leurs habitudes, leurs pratiques. En leur demandant les lieux qu’ils apprécient ou qu’ils évitent, en leur demandant les raisons de ces sentiments, l’espace sera relié aux ressentis : les lieux appréciés le sont-ils car ils confèrent une ambiance, une atmosphère particulière, ou bien le sont-ils car ils sont rattachés à des souvenirs ? Enfin, en demandant aux enquêtés quels sont, selon eux, les lieux emblématiques de la ville, une distinction pourra s’opérer entre la façon dont ils perçoivent la ville et l’image qu’ils souhaitent en donner à travers des emblèmes locaux. Il sera intéressant de comparer les réponses des différentes catégories : quels sont les lieux représentatifs de Béziers pour une personne y ayant toujours vécu ? Ces lieux sont-ils les mêmes pour une personne venant de s’y installer ? Il en va de même pour les lieux « populaires », de rencontre, ont-ils évolué au cours du temps ? Les comparaisons entre les différentes catégories pourront nous permettre d’observer l’évolution de ces marqueurs dans le temps.

48 Autour du thème du récit de la ville la façon dont les enquêtés racontent, mettent en scène la ville sera mise en relief. A travers leur intonation, leur vocabulaire, leur attitude, la relation qu’ils entretiennent avec la ville sera perceptible. En questionnant les enquêtés sur l’image de la ville véhiculée par les médias ainsi que leur ressenti par rapport à l’exposition médiatique qu’a subi Béziers, le discours habitant sera mis « face » au discours médiatique. Ils seront aussi questionnés sur leur ressenti par rapport à l’image de la ville que peuvent avoir certaines de leurs connaissances, amis, qu’ils soient biterrois ou extérieurs à la ville. En les interrogeant sur les éléments qui pourraient leur manquer s’ils étaient amenés à quitter Béziers (des personnes, des lieux, des ambiances…) la question de la relation des habitants à la ville sera approfondie.

Le récit de soi, la façon dont on se présente peuvent être révélateur d’une relation particulière à l’espace. Si un individu ne vit que depuis quelques années dans une ville, est-ce qu’il se sent appartenir à celle-ci ? Quelqu’un grandi dans une ville et qui la quitte pour s’installer ailleurs, la considère-t-il toujours comme « sa » ville ? Cette notion d’identité spatiale sera perceptible à d’autres moments de l’entretien, en filigrane de certaines questions, notamment celles concernant l’image de la ville, par exemple. Par la façon de mettre la ville en scène, d’en parler un sentiment de fierté, ou au contraire de rejet ou d’indifférence, qu’il sera intéressant d’analyser sera décelable. Les interactions pourront aussi être un vecteur d’attachement ou de détachement de la ville, puisqu’en fonction des relations avec les habitants, un sentiment d’appartenance, d’identification peut ressortir tout comme un sentiment de rejet.