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Chapitre 1 : Précision conceptuelle et revue de littérature

2.3 Préparation de l’entretien

Dans le cadre de cette recherche, les répercussions négatives qui auraient pu être engendrées par les rapports de pouvoir potentiels ont été limitées dans la mesure où ces derniers ont en grande partie été appréhendés. Au moment de réaliser l’entrevue, le chercheur était conscient de son statut de membre du groupe majoritaire –blanc, francophone, hétérosexuel et de culture judéo-chrétienne- ainsi que de plusieurs des

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caractéristiques définissant les interlocuteur-trice-s. Aussi, nous avions conscience que les informateur-trice-s sont parfois réfractaires à l’idée d’exposer leurs idées et leurs croyances à des personnes plus scolarisées.

En contrepartie, deux éléments pourraient avoir amenuisé l’impact engendré par le profil de l’intervieweur. D’abord, le statut de jeune pouvait induire la confiance chez les personnes plus âgées qui ont souvent l’impression de parler au nom d’une expérience que ne possèdent supposément pas les jeunes générations. Cela leur donne l’impression que les idées défendues sont d’emblée légitimes. Ensuite, le statut socio-économique modeste, déterminé par un statut d’emploi étudiant de préposé aux services auxiliaires dans un centre de personnes âgées, positionnait le chercheur dans une relation soit horizontale, soit subordonnée. Puis, à l’instar des informateur-trice-s, l’expérience de celui-ci en CHSLD permettait de cibler plus rapidement les codes et les dynamiques ainsi que certaines réalités vécues par les personnes dans les centres. Le fait d’être conscient des risques que les rapports de pouvoir potentiels puissent entacher la validité des connaissances recueillies a permis de mener l’entretien avec une conscience accrue de ces enjeux ainsi que d’exercer un recul lors de l’analyse des données construites durant l’entretien (Sandersson et coll., 2013 ; Knapik, 2006).

Au moment d’effectuer les entrevues, il était important de rester à l’affût de plusieurs facteurs pouvant influencer la qualité des données recueillies. Les partis pris politiques ont donc été mis de côté et les réactions trop émotives évitées puisqu’elles peuvent couper court à certaines discussions. Un juste milieu a ainsi été recherché entre des réactions intenses et un investissement profond d’un côté, puis trop de passivité et de retenue de l’autre. Il a fallu faire preuve d’empathie plutôt que de sympathie afin d’éviter d’engendrer des réponses standards et peu personnalisées de la part des informateur-trice-s. Néanmoins, une certaine implication engendrée par la confidence a été utilisée afin de créer une relation de réciprocité permettant de dépasser « les opinions de surface » (Kaufmann, 2004 : 17). En ce sens, il y avait un intérêt certain à faire fi des anticipations que nous pouvions entretenir à l’égard du sujet de recherche et des participant-e-s (Jacobsson et Åkerström, 2012). Il était aussi important de rester attentif aux signes qui laisseraient transparaître une réticence voire une résistance de la part de la source, à aborder certains sujets, puis de tenter

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d’en démystifier les raisons (Gordon, 1975; Gailey et Prohaska, 2011)49. Dans l’intention de susciter la confidence de la part des personnes interrogées, il a été nécessaire d’adopter une posture active en réagissant aux propos des interviewé-e-s par le biais de demandes constantes permettant d’une part d’obtenir plus de clarifications et d’autre part, d’instaurer un contexte de réciprocité. Afin d’atténuer les blocages vécus par les enquêté-e-s, une stratégie qui consiste à reformuler les questions et les idées de l’informateur a été utilisée. Ainsi, notre capacité à témoigner de l’empathie et à faire preuve de compréhension nous a permis de passer outre l’inhibition et les craintes qu’éprouvent ces personnes (Savoie-Zajc, 2009 : 345).

Dans le cas inverse, bien qu’il soit possible d’interroger une personne dont le discours sera lissé, voire complètement formaté, puisque les représentant-e-s syndicaux-les auraient pu profiter de l’entretien dans l’objectif de faire passer un message politique, aucun indice ne laisse croire que cette situation est survenue lors des entretiens (Pinson et Sala Pala, 2007 : 565). Afin d’éviter les doutes, la technique de Pinson et Sala Pala de constamment « douter de tout ce qu’une personne de pouvoir peut vous dire » a été utilisée (Ibid.). Il nous fallait donc être conscient de la possibilité que certaines personnes utilisent celui-ci comme une occasion de contester, ou de réaffirmer, certaines perceptions socialement ancrées. Pour contrôler cette dérive potentielle, il importait de rattacher la personne interrogée aux faits et d’amener celle-ci à toujours les reconsidérer afin d’éviter la reconstruction et les messages politiques (Ibid., 581). Pour éviter que les personnes interrogées aient un discours trop formaté, elles ont constamment été ramenées à leur expérience et à leur vécu, astuce qui permettait d’inciter les gens à décrire des faits plutôt qu’à réciter une analyse cogitée préalablement.

Il faut noter que certains enjeux se dessinent avant même que l’entretien ne débute. Afin de prévenir l’émergence de tensions reliées à l’entrevue, Pinçon et Pinçon-Charlot (2012, 36) proposent « d’objectiver la situation d’entretien, c’est-à-dire d’en maîtriser les paramètres sociaux et les enjeux possibles entre les agents mis en présence ». À cet égard, le choix du milieu, du lieu, du moment et des questions posées sont des exemples de

49 Il est à noter qu’aucune réticence, ni refus, d’aborder un sujet quel qu’il soit n’a été observé lors des

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paramètres pouvant réaffirmer des rapports de pouvoir et créer des inconforts, aussi bien que les annihiler et créer un sentiment de sécurité (Pinson et Sala Pala, 2007 ; Poupart, 1997 ; Savoie-Zajc, 2009). En bref, il était de première importance de réunir un ensemble de dispositions permettant à la personne interrogée de se retrouver dans une situation confortable pour ainsi lui faire oublier le cadre plus formel de l’entrevue et l’amener à discuter librement du sujet (2004 : 47). En outre, en laissant choisir librement le lieu, l’heure et en limitant la durée, l’objectif était de limiter le fardeau que peut représenter l’entretien. De ce fait, le choix du lieu devait être quant à lui le plus neutre possible, sans connotation négative pour la personne interrogée, pour la raison que l’environnement peut influencer significativement le déroulement de l’entretien (Ibid., 251). Le fait d’encourager la sélection d’un lieu où les informateur-trice-s se sentaient à l’aise a eu pour avantage de sublimer, au moins partiellement, les inconforts. Les participant-e-s ont donc bénéficié-e- s de la plus grande discrétion possible quant au choix du lieu. Tandis que certain-e-s ont opté pour un café, d’autres ont plutôt préféré-e-s leur bureau syndical50. Puis, une personne a accepté d’être rencontrée dans les locaux insonorisés de la Bibliothèque des lettres et sciences humaines (BLSH) de l’Université de Montréal.

La durée de l’entretien est également un élément déterminant. Un échange qui s’étire « risque de déstructurer l’entretien, [et dériver] vers un échange mou » (Kaufmann, 2004 : 48). La durée établie a donc été d’une heure de discussion; une durée optimale pour récolter suffisamment d’informations sans pour autant compromettre la qualité de l’échange. Au moment de solliciter la participation de répondant-e-s potentiel-le-s, il était systématiquement mentionné que la durée prévue de l’entretien était d’une heure tout en précisant que si soixante minutes suffisent généralement, l’important était de laisser libre cours à la personne interrogée pour ne pas la contraindre. Ainsi, une heure trente minutes s’est avérée la durée standard, ce qui n’a pas empêché des personnes de s’exprimer pour près de deux heures et même trois dans le cas d’une participante.

D’un point de vue plus technique, du matériel a été utilisé pour recueillir les données lors du déroulement de l’entretien (Kaufmann, 2004, 83). Le premier outil de collecte est le

50 Dans certains cas le bureau était situé sur les lieux de travail puisqu’il était celui d’un-e représentant-e

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magnétophone. Celui-ci a permis de s’impliquer dans la discussion et de suivre attentivement le fil de celle-ci sans se soucier de la retranscription des informations (Kaufmann, 2004 ; Savoie-Zajc, 2009). Un autre avantage de l’enregistreur audio tient au fait qu’il permet d’avoir accès à la totalité des informations. Les conversations ont été retranscrites dans leur intégralité sous forme de verbatim, ce qui a certainement enrichi la qualité l’analyse des entretiens (Kaufmann, 2004 : 8). Le second outil n’est rien d’autre qu’un cahier de notes et un crayon. S’il importait de l’utiliser avec parcimonie, pour ne pas donner le sentiment à l’informateur que le chercheur ne lui est pas attentif, le calepin a surtout permis de noter des pistes de réflexion et des questions permettant d’approfondir certains éléments abordés et de préparer les relances ainsi que les transitions entre les différents sujets (Savoie-Zajc, 2009). Les informations relatives aux caractéristiques socio- économiques ont quant à elles été colligées hors de l’échange puisqu’il était nécessaire d’utiliser des questions courtes et fermées, susceptibles d’influer négativement sur le rythme et sur la qualité de la discussion si abordées durant l’entretien (Kaufmann, 2004).