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Chapitre 2 | Les systèmes d’armes létaux autonomes au regard du droit

A. La conduite des hostilités

3. Les précautions dans l’attaque

Le troisième et dernier principe de la conduite des hostilités qui sera analysé dans ce travail concerne principalement les preneurs de décisions militaires qui planifient des missions de combat. L’article 57 du PA I et la règle 15 de l’Étude sur le droit coutumier du CICR définissent le principe des précautions dans l’attaque, le rendant applicable aux conflits armés internationaux et non internationaux. Cette norme s’assure qu’une attention constante est portée avant et pendant une attaque afin d’épargner la population civile et les biens de caractère civil146. L’article 57 précise aussi que ceux qui planifient une attaque (les commandants) doivent « faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que […]147 » les dommages occasionnés à une cible ne seront pas excessifs. Les commandants doivent aussi choisir le moyen ou la méthode de combat qui minimise les dommages collatéraux civils148. Le principe des précautions dans l’attaque comporte aussi un aspect fluide dans le temps, puisqu’à tout moment, une attaque doit être interrompue s’il apparaît que l’objectif de l’opération n’est plus une cible licite selon le DIH149.

146 PA I, supra note 123, article 57 et Henckaerts & Doswald-Beck, supra note 46, p. 69. 147 PA I, article 57 (2)(a)(i)

148 PA I, article 57 (2)(a)(ii) 149 PA I, article 57 (2)(b)

Pour ce qui est des précautions pratiquement possibles, le Protocole additionnel II à la CCAC les définit comme : « […] les précautions qui sont praticables ou qu’il est pratiquement

possible de prendre eu égard à toutes les conditions du moment, notamment aux considérations d’ordre humanitaire et d’ordre militaires150. » L’appréciation des précautions dans l’attaque ne se fait donc pas simplement à l’étape de la planification d’une opération, mais aussi pendant la conduite de celle-ci.

Afin de représenter les enjeux de précautions liés à l’emploi de SALA dans un conflit armé, voici une mise en situation plausible. Un commandant planifie une opération sur une position ennemie qui se trouve dans une zone urbaine. Selon les images satellites et les informations collectées sur le terrain, la position ennemie est dégagée de toute présence civile à la tombée de la nuit. Le commandant décide donc de mener son attaque à ce moment en envoyant un SALA supporté par des troupes. Le soir de l’opération, aucun civil ne se trouve à proximité de la cible et le commandant poursuit son opération. Le SALA en question a été programmé pour attaquer et neutraliser la cible en question. Au moment où le SALA se prépare à engager les ennemis, une foule de civils provenant d’un mariage dans le même village se rassemble près de la cible, ce qui augmente considérablement les risques de causer des dommages collatéraux. Le SALA se retrouve donc devant sa cible, mais devrait normalement mettre fin à son attaque puisque la règle des précautions dans l’attaque ne serait pas respectée. Le robot soldat serait-il en mesure de détecter cette possible violation et de mettre fin à son attaque par lui-même? Cette mise en situation soulève certains enjeux liés au respect du principe des précautions dans l’attaque151.

Selon Boothby, l’application de cette règle commence dès la phase de programmation du SALA avec l’établissement d’un logiciel de contrôle qui donnerait toute l’information disponible au système afin qu’il détermine à quoi sa cible et son environnement ressembleront152. Cela n’empêche pas que toutes les situations tactiques ou presque sont dynamiques : plusieurs éléments peuvent changer en quelques secondes comme le démontre la mise en situation ci-haut. C’est d’ailleurs ce que ces auteures soulignent : « This might be

150 PA II CCA art 3(10)

151 Hitoshi Nasu et Robert McLaughlin, dir. New technologies and the law of armed conflict, New York, Springer, 2013, p. 222.

achievable in static environments, but is unlikely to be realistic in dynamic environments and in the absence of human override153. » Il faudrait donc que les SALA soient dotés d’une

intelligence artificielle en mesure de leur procurer un jugement évaluatif de leur environnement et renforcé par des règles d’engagement calquées sur le DIH. Pour Egeland, ce niveau de développement technologique est extrêmement difficile à atteindre, mais tout de même pas inatteignable154.

Il reste que s’il est impossible de développer des SALA avec un tel niveau de jugement, il serait possible de respecter le principe des précautions dans l’attaque grâce à une supervision humaine et directe sur les actions d’un SALA155. Ainsi, un commandant ou un opérateur pourrait suivre en direct les actions d’un SALA pendant une attaque et l’interrompre si jamais il s’aperçoit que l’environnement a changé et que l’objectif n’est plus licite ou devient trop à risque de causer des dommages à des civils. Cette nécessité revient donc à dire qu’un contrôle de type « human on the loop » serait nécessaire pour rendre les SALA licites aux yeux du DIH si la technologie ne permet pas de les doter d’un jugement évaluatif complet. Selon Lewis, pour l’instant, il est trop tôt pour affirmer que les SALA ne pourront jamais atteindre ce niveau technologique156.

Une autre façon de respecter le principe des précautions dans l’attaque serait de choisir les environnements dans lesquels les SALA pourraient être employés. Comme le mentionne Lewis, la licéité de l’emploi des SALA dépend principalement des circonstances donc de l’environnement dans lequel ils sont déployés157. L’auteur prend l’exemple d’un sous-marin autonome opérant à des centaines de mètres sous le niveau de la mer qui ne pose pratiquement pas de risques quant aux dommages civils. Selon lui, « […] for now, perhaps

they are best in isolated environments or in a purely defensive capacity158 », ce qui voudrait

dire qu’un commandant qui décide d’utiliser un SALA dans une zone fortement urbanisée serait imputable de tout dommage causé à des civils159. L’importance du contexte 153 Weizmann & Trascasas, supra note 136, p. 16.

154 Egeland, supra note 40, p.106. 155 Davison, supra note 37, p.8.

156 John Lewis. « The Case for Regulating Fully Autonomous Weapons » (2015) 124:4 The Yale Law Journal, p.1314. [Lewis]

157 Ibid, p. 1315 158 Ibid.

d’opération est aussi soulevée par van Kralingen : « Where an AWS160 could comply with the

laws of war or international human law, […] it could be fielded. Where it cannot, it would simply not be made or would be deployed in a context where it could conform161. »

Cette sous-section sur le principe des précautions dans l’attaque prouve que l’utilisation des SALA n’est pas illicite pour ce qui est de cette norme du DIH. L’article 57 du PA I ainsi que la règle coutumière sur les précautions dans l’attaque peuvent être respectés malgré l’usage d’un SALA dans une opération militaire. Le niveau technologique des premiers SALA déterminera par quels moyens et dans quels contextes ils peuvent être employés pour respecter les conditions des précautions dans l’attaque et minimiser les dommages aux civils. Contrairement aux deux autres principes étudiés dans les sous-sections précédentes, celui des précautions dans l’attaque ne semble pas révéler de faille du DIH lorsqu’il est appliqué au cas des SALA. Il reste que les principes de distinction et de proportionnalité soulèvent des enjeux juridiques au plan de la conduite des hostilités. Afin de compléter cette analyse du DIH en place, la prochaine section abordera l’examen de la licéité des nouvelles armes. Ce processus prévu à l’article 36 du PA I est pertinent dans l’optique où les SALA sont encore au stade du développement et c’est pourquoi il sera passé en revue dans la section suivante.