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La précarité comme fondement de la peine de travail

Dans le document Revue de droit pénal et de criminologie (Page 26-29)

La peine de travail a été introduite dans le Code pénal par la loi du 17 avril 2002 instaurant la peine de travail comme peine autonome en matière correctionnelle et de police. Lors des discussions parlementaires, elle a été envisagée par les par-lementaires comme une alternative à la privation de liberté.

Toutefois, les cours et tribunaux l’ont également utilisée comme une alternative à la peine d’amende prononcée à titre principal. La peine de travail peut en effet être prononcée, au titre de peine principale, en lieu et place de la peine d’amende.

Certes, lorsque la loi sanctionne la commission d’une infraction d’une peine prin-cipale d’emprisonnement et d’une peine accessoire d’amende obligatoire, la peine de travail ne peut remplacer que la première peine dès lors que, conformément à l’article 7 du Code pénal, les cours et tribunaux ne peuvent les appliquer cumu-lativement. La peine de travail prononcée en lieu et place de la peine d’emprison-nement sera ou pourra être assortie d’une peine accessoire d’amende selon que cette dernière est obligatoire ou facultative. Par contre, lorsque la loi sanctionne une infraction d’une peine principale d’amende, le juge peut la remplacer par une peine de travail afin de ne pas accroître la gêne financière du condamné. Ce cas de figure se rencontre quotidiennement dans les affaires d’infractions au Code de la route. L’amende comminée par les diverses législations applicables peut, bien souvent, atteindre un montant à ce point important que les contrevenants sollicitent le remplacement de cette peine de nature patrimoniale par une peine de travail. Cette hypothèse démontre l’imagination des plaideurs et des magis-trats pour veiller à ce que la condamnation patrimoniale ne s’apparente pas à une forme de mort civile.

IV. Conclusions

Le magistrat ne peut ignorer la dimension sociale de la cause qui lui est soumise, à peine d’aggraver, à son corps défendant, les inégalités sociales préexistantes102.

102 D. Vandermeersch, « L’excuse légitime au secours des plus démunis », obs. sous Corr. Liège, div.

Liège, 3 janvier 2018, J.L.M.B., 2018, pp. 570-574, spéc. p. 570.

Mais que les termes du débat soient toutefois clairement circonscrits. Il est des infractions pour lesquelles le facteur économique est sans pertinence, des infrac-tions pour la répression desquelles la situation sociale et financière du prévenu n’a pas à être prise en considération. L’état de précarité ne fait sens, dans la plu-part des cas, que lorsqu’il est à l’origine de la commission de l’infraction ou que s’il permet de resituer dans son contexte le parcours délinquant de son auteur.

La justice pénale ne peut être utilisée comme réponse aux défis que posent la pau-vreté et la marginalité. Seule une politique publique sociale interventionniste et bienveillante devrait être privilégiée. Privée de bon sens, d’humanité et d’équité, l’application de la loi pénale devient pure violence et, sans la mesure, la prudence et la miséricorde, elle peut être dangereuse103. Un État digne de ce nom doit dès lors assumer sa part de responsabilité dans la production des inégalités sociales et des facteurs générateurs de la délinquance dès lors qu’il abandonne une frange de la société, parfois importante, à la dislocation du lien social, aux lois du marché et à la pauvreté.

Cette prise de conscience doit être le fait des représentants de l’État, ce qui signifie que la magistrature doit être consciente que la précarité, la pauvreté et la margi-nalité sont des souffrances qui peuvent conduire à la commission d’infractions qui s’expliquent alors davantage par l’environnement socio-économique difficile dans lequel le prévenu évolue que par une réelle dangerosité. Certes, excuser le prévenu pour ce seul motif serait excessif. Mais si ce dernier devait être confronté seul à son acte, la société s’exonèrerait à bon compte de la réalité quotidienne dif-ficile vécue par nombre de nos concitoyens. Des pans entiers de la population sont ainsi laissés pour compte. « À une justice exemplaire, a écrit le magistrat français Denis SalaS, il faut opposer une justice lucide sur ses limites, des juges conscients de partager avec (le prévenu) la même humanité et un État capable de faire vivre une société solidaire »104.

La haute magistrature belge n’est pas insensible à ces considérations. Ainsi, le procureur général Baron Ernest KRingS soulignait-il qu’il n’y a pas que la connais-sance du droit mais aussi celle de l’homme qui doit relever de la compétence du juge. Plus que toute autre profession, celle du magistrat concerne la personne humaine sous tous les points de vue. Celui-ci doit comprendre l’individu qu’il est appelé à juger, cet aspect des qualités requises du magistrat étant peut-être le plus important, le plus indispensable105. La compréhension, l’empathie, le respect et l’écoute sont des qualités essentielles qui caractérisent tout bon magistrat. Le pre-mier président Robert legRoS exhortait ainsi, pour sa part, la Justice à « connaître la douceur du regard, la main tendue, le dialogue fraternel, la volonté constante de

103 D. Salas, La justice dévoyée. Critique des utopies sécuritaires, Paris, Éditions des Arènes, 2012, p. 41.

104 D. Salas, « Contre les peines de mort », Albert Camus, coll. Les cahiers de l’Herne, Paris, Editions de l’Herne, 2013, pp. 340-345, spéc. p. 345.

105 E. Krings, « Devoirs et servitudes des membres du pouvoir judiciaire », mercuriale prononcée à l’au-dience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 1er septembre 1988, pp. 3-43, spéc. p. 7.

comprendre, la recherche du raisonnable »106. Le premier président Baron Alfred WauteRS n’hésitait pas à exhorter ses collègues à l’humanisme. « Que le juriste n’étouffe jamais l’homme, (…) qu’il rende la justice plus aimable, plus accessible aux moins favorisés, plus compréhensible. Loin d’en souffrir, son prestige véri-table en sera accru »107. Enfin, l’avocat général Damien vandeRmeeRScH relève que les magistrats n’ont pas toujours à l’esprit la grande précarité qui frappe une part non négligeable de la population qui comparaît devant eux ainsi que les consé-quences d’une telle situation. Et de conclure que si l’on entend éviter que les plus démunis soient encore davantage marginalisés vis-à-vis de la justice, il revient au juge de ne pas y ajouter une dose de sévérité par une interprétation (trop) restric-tive de la règle aux dépens du justiciable108.

Certes, il s’indique de préserver l’ordre public, mais sans verser dans une répres-sion parfois trop rigoureuse et, à long terme, contre-productive. Au malheur et au désarroi de nombre de nos concitoyens, notre société semble tétanisée et n’avoir pour ultime réponse que l’intervention du judiciaire alors que la justice pénale ne remplacera jamais la justice sociale. Il est légitime de se demander, ainsi que l’a écrit le sociologue français Didier FaSSin, si, en mettant le prévenu seul face à son acte, la société ne s’exonère pas elle-même à bon compte de sa responsabilité de la production et de la construction sociales des illégalismes, la production étant entendue comme la façon dont les contextes et les situations les favorisent et la construction comme la manière de les distinguer et de les réprimer109.

La répression de la délinquance de la pauvreté ne peut dès lors avoir pour conséquence d’accroître la misère et l’exclusion sociale. En pareille occurrence, la répression prendrait l’ascendant sur la resocialisation, et la justice manquerait son objectif. L’œuvre juridictionnelle, même pénale, surtout même, doit être une justice d’inclusion et non d’exclusion. Ce qui n’exclut pas, bien évidemment, la répression lorsqu’elle s’impose pour la sécurité publique. Mais la répression qui aggrave la paupérisation ou contribue à la fracture sociale alimente la récidive. La répression qui accroît le malheur individuel est un échec de la resocialisation. Si la condamnation pécuniaire met le condamné au ban de la société, parfois indé-finiment, celle-ci ne doit alors pas s’étonner qu’il vive en marge de la légalité. Au contraire, la justice pénale doit contribuer, avec les moyens limités qui sont les siens, à la dignité humaine et à l’inclusion sociale. À cet égard, ne pas prendre en considération la situation de précarité du justiciable constitue un ferment de dissolution sociale. À ne pas entendre le cri de détresse d’une frange de la

popula-106 R. Legros, « Discours à l’occasion de la célébration solennelle du 150e anniversaire de l’Ordre judi-ciaire, le 20 octobre 1982, au Palais de Justice de Bruxelles », Bull., 1982, pp. 1-45, spéc. p. 19.

107 A. Wauters, « Discours prononcé à l’audience solennelle de la Cour de cassation du 24 juin 1977 à l’occasion de l’installation du président A. Wauters », pp. 3-17, spéc. pp. 20-21.

108 D. Vandermeersch, « L’excuse légitime au secours des plus démunis », obs. sous Corr. Liège, div.

Liège, 3 janvier 2018, J.L.M.B., 2018, pp. 570-574, spéc. p. 573. 

109 D. Fassin, Punir, une passion contemporaine, Paris, Seuil, 2017, p. 145.

tion, les cours et tribunaux s’exposent à la critique d’une justice inhumaine ou de classe et notre société, davantage encore, à la montée des populismes.

Franklin Kuty110, Chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université de Mons,

Juge au tribunal de première instance de Liège

110 Les opinions exprimées par l’auteur lui sont personnelles et n’engagent en rien les institutions auxquelles il appartient.

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