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Préambule : Résultats d’une étude préliminaire

Chapitre 2 : Méthodologie

2.1 Préambule : Résultats d’une étude préliminaire

Lors d’une étude préliminaire réalisée à l’aide d’un corpus de scripts, nous avons pu décrire et analyser quelques cas d’insertion explétive en FQ (Baronian et Tremblay, 2017). Cette étude d’un phénomène d’insertion explétive en FQ semblable à ce qui se produit en anglais nous a permis d’établir la faisabilité de la présente étude.

Pour réaliser notre étude préliminaire, nous avons utilisé un corpus constitué à partir des dialogues de la websérie québécoise Ces gars-là. Cette websérie a été réalisée par Simon- Olivier Fecteau et coécrite par ce dernier en collaboration avec Sugar Sammy et India Desjardins24. La série comporte trois saisons de dix épisodes chacune et a été diffusée au

Canada de 2014 à 2016 sur les ondes de V télé. Comme nous l’avons mentionné dans notre étude préliminaire, la série a été acclamée par la critique en plus d’avoir été un succès commercial. Cette série vient aussi briser certains tabous en intégrant des dialogues anglais dans une série dont la langue dominante est le français (Baronian et Tremblay, 2017 : 409). Le succès de la série prouve, dans une certaine mesure, que les usages attestés concordent avec les productions des locuteurs actuels du FQ. Par ailleurs, cette série offrait l’avantage de fournir rapidement plusieurs occurrences du phénomène à l’étude. Cependant, vu la nature des textes, c’est-à-dire des scripts écrits à l’avance et réfléchis, cette étude n’a pas permis de faire des statistiques de fréquence par rapport aux usages en FQ.

Afin de confirmer nos impressions sur les usages présents dans la websérie, nous avons demandé aux étudiants d’un cours de premier cycle de linguistique d’écouter les épisodes des deux premières saisons et de recenser les faits de fuckin’ présents. Chaque étudiant a écouté un épisode, puis les énoncés répertoriés ont été discutés en classe25. Il était demandé

aux étudiants de juger de la grammaticalité des énoncés ; aucun énoncé n’a été jugé agrammatical (ibid.). Après que les étudiants eurent fait cette première écoute des vingt

24 Voir https://sugarsammy.com/fr/page/tv-series pour plus de détails.

25 Cet exercice a été réalisé dans le cadre du cours de grammaire systématique donné à l’UQAC à l’automne

premiers épisodes, nous avons à notre tour écouté les vingt épisodes des deux premières saisons, en plus de ceux de la troisième saison. Nous avons recueilli tous les énoncés contenant des occurrences de fuckin’ présents dans les trente épisodes de la série. Notre corpus nous a permis de recueillir plusieurs occurrences (67 au total) du phénomène que nous souhaitons maintenant observer à plus grande échelle et avec un corpus spontané dans le cadre de la présente étude. Nous avons ensuite effectué une classification des différents usages (exemples tirés de Baronian et Tremblay, 2017).

(54) C’est quoi ton fuckin’ non encore? Adjectif modifiant un nom commun

(55) Des billets pour fuckin’ Broue Adjectif modifiant un nom propre

(56) Je suis fuckin’ sérieux ok? Adverbe modifiant un adjectif

(57) De quoi tu fuckin’ parles? Adverbe modifiant un verbe

(58) C’est un bon fuckin’ burger, ça! Entre un adjectif et un nom

(59) Martin fuckin’ Côté Dans un nom complexe

(60) Des boucles de fuckin’ z-oreilles Dans un nom complexe

(61) Tu me fuckin’ niaises? Entre un clitique et un verbe

Dans la série Ces gars-là, nous n’avons trouvé aucun exemple de dérivé verbal construit avec

fuckin’. Ce dernier ne peut pas non plus apparaitre dans une structure de type NP-PP ou

prendre le suffixe adverbial -ment. Cependant, tout comme en anglais, fuckin’ peut être adjectif et modifier un nom commun ou être adverbe et modifier un adjectif ou un verbe. Il semble aussi que fuckin’ puisse se retrouver entre un adjectif et un nom alors que les adjectifs prénominaux sont normalement liés de près aux noms en français (Bouchard, 1995). Les cas où fuckin’ apparait dans un nom complexe sont aussi particuliers dans la mesure où aucun explétif traditionnel du FQ ne pourrait apparaitre à cet endroit. L’exemple (60) nous amène à penser que fuckin’ est maintenant impliqué dans la morphologie du français. En effet, une liaison du pluriel [z] apparait même si le nom composé sans fuckin’ n’a jamais eu cette liaison. Lorsque cet énoncé a été proposé à des locuteurs natifs, aucun n’a jugé cette liaison inacceptable. Il a même fallu amener à leur attention le fait que cette liaison n’a jamais fait partie du nom composé original (Baronian et Tremblay, 2017). Les exemples où fuckin’ se retrouve entre un pronom clitique et un verbe sont aussi particuliers puisqu’en français, aucun

autre mot, à notre connaissance, ne peut interrompre cette séquence (exemple (61)). En effet, en français, les pronoms objets sont plus près du verbe que n’importe quel autre mot (Auger, 1994).

À la suite de notre étude préliminaire, nous avons pu postuler que le comportement de fuckin’ en FQ était très différent de celui des explétifs traditionnels. Il semble aussi que son comportement à titre de mot indépendant soit calqué sur le comportement du même mot en anglais. Étant donné que notre corpus était relativement restreint en nombre d’occurrences et non spontané, nous n’avons pas pu émettre de statistiques de fréquence ni affirmer avec certitude que les énoncés répertoriés correspondent à la langue en usage au Québec. De ce fait, nous croyons que notre étude actuelle, qui se veut beaucoup plus exhaustive et qui est basée sur un corpus d’un autre type, est des plus pertinentes.