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A PPROCHE ANTHROPOLOGIQUE

Dans le document « Ces images qui nous mentent ! » (Page 43-48)

Tarde introduit également dans son ouvrage des facteurs logiques (par exemple le développement de la technique et le perfectionnement des outils, inscrit dans une logique d’imitation, les implications des duels logiques dans la prise de décision comme par exemple le casus belli, l’ascension du conformisme) et extra-logiques68 (référence à une autorité morale dotée d’un certain prestige) qui président aux conduites imitatives, conduisant l’anthropologue Franz Boas à en déduire l’existence de processus mentaux identiques chez tous les hommes69. L’imitation peut avoir des causes aussi bien rationnelles qu’irrationnelles. Marcel Mauss traite ainsi des rapports qu’entretiennent les comportements imitatifs au prestige : « C’est précisément dans cette notion de prestige de la personne qui fait acte ordonné, autorisé, prouvé, par rapport à l’individu imitateur, que se trouve tout l’élément social. Dans l’acte imitateur qui suit se trouvent tout l’élément psychologique et l’élément biologique70. » Tarde explique la dualité de

66 Dias Nélia, Imitation et anthropologie, in Revue Terrain 44, Imitation et anthropologie, Ministère de la culture et de la communication, Mars 2005, p.7

67 Cf. Tarde Gabriel, Les lois de l’imitation, Alcan, 1890

68 Ibid., p.167

69 Boas Franz, Human faculty as determined by race, 1894, in Stocking G.W. Jr., A Franz Boas reader. The shaping of american anthropology 1883-1911, The University of Chicago Press, 1982, Dias Nélia (op. cit.) Imitation et anthropologie, in Revue Terrain 44, Imitation et anthropologie, Ministère de la culture et de la communication, Mars 2005, p.8

70 Mauss Marcel, Les techniques du corps, in Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1983, Dias Nélia (op. cit.) Imitation et anthropologie, in Revue Terrain 44, Mars 2005, p.8

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l’imitation : « En second lieu, l’imitation peut être consciente ou inconsciente, réfléchie ou spontanée, volontaire ou involontaire. Mais je n’attache pas beaucoup d’importance à cette division. Est-il vrai qu’à mesure qu’un peuple se civilise, sa manière d’imiter devienne de plus en plus volontaire, consciente, réfléchie ? Je croirais plutôt l’inverse. De même que, chez l’individu, ce qui a fini par être une inconsciente habitude a commencé par être un acte voulu et conscient […] Je dois ajouter, il est vrai, que beaucoup d’imitations sont inconscientes ou involontaires dès l’origine ; telle est celle de l’accent, des manières, des idées le plus souvent et des sentiments propres au milieu où l’on vit71. » Mais qu’est-ce qui est imité ou inventé ? Selon Tarde : « ce qui est inventé, ce qui est imité, c’est toujours une idée ou un vouloir, un jugement ou un dessein, où s’exprime une certaine dose de croyance et de désir, qui est en effet toute l’âme des mots d’une langue, des prières d’une religion, des administrations d’un État, des articles d’un code, des devoirs d’une morale, des travaux d’une industrie, des procédés d’un art72. »

L’imitation peut engendrer des attitudes aussi bien conformes au modèle que divergentes, versant ainsi dans la satire (guignol) ou dans l’auto imitation (par exemple les Polynésiens réduits à se représenter en tenue traditionnelle pour divertir les touristes). Le premier a, comme le rappelle Jean-Baptiste Onofrio toujours fait l’objet d’un certain engouement, chez les classes populaires et pas seulement: « Entre toutes les formes sous lesquelles l’art dramatique s’est manifesté dans le monde, il n’en est aucune qui ait été plus répandue, plus variée, plus goûtée que les marionnettes. Tous les peuples, tous ceux au moins qui ont approché leurs lèvres de la coupe enchantée des Beaux-arts, ont eu des marionnettes […] Les théâtres de marionnettes se sont multipliés non seulement en public, mais dans les salons73. » Le second est révélateur d’une situation complexe de détournement par une autorité conquérante des mœurs, coutumes et traditions d’une population et ce à son profit, dans un processus d’appropriation et

71 Tarde Gabriel, Les lois de l’imitation, Alcan, 1890, p.217-218

72 Ibid., p.163

73 Onofrio Jean-Baptiste, Théâtre Lyonnais de Guignol, Lyon : Vve Le Normant, 1890, introduction p.5,6

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d’assimilation74. Ce terrain équivoque est particulièrement propice à l’émergence du faux. Nous avons vu par le concept de mimèsis que l’imitation peut être plus que re-créative ; elle peut être création de quelque chose (invention) soit qu’elle reste dans les conditions de reproductibilité dictées par le modèle (concordance) ou qu’elle s’en éloigne (dissonances). Les risques peuvent être la remise en cause de l’intégrité du modèle.

Eugène Atget : spectacle de guignol au Jardin du Luxembourg, 1898

Miss Exposition 1937, concours du meilleur mariage colonial (extrait du Petit Parisien, 23 juillet 1937, cliché BN) photographie tirée de l’article d’Emmanuelle Saada, Entre « assimilation » et

« décivilisation », l’imitation et le projet colonial républicain, in Revue Terrain 44, Imitation et anthropologie, mars 2005

74 Cf. Sherman Daniel J., Paradis à vendre : tourisme et imitation en Polynésie française (1958-1971), in Revue Terrain 44, Imitation et anthropologie, Ministère de la culture et de la communication, Mars 2005, p.42

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À la suite de cette double approche (anthropologique et esthétique) de l’imitation, nous essaierons de dépister certains terrains d’où peut émerger le faux.

Il ne s’agit pas moins d’en expliciter les procédés que de tenter de les replacer dans leurs contextes socio-historiques. Si l’imitation est un processus présent chez l’homme, et s’il est double (concordant ou dissonant) alors ses effets peuvent se retrouver dans de multiples formes d’expression ; nous avons déjà parcouru quelques espaces où celle-ci est effective. Mais non moins prégnante est la question de l’image, de son trafic, de son importance dans les sociétés, et c’est par ses transferts et ses enjeux représentatifs que peut être révélé de la façon la plus manifeste tout leurre et toute supercherie et originairement tout acte d’imitation.

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3 Image, reproduction et falsification :

enjeux techniques, historiques, philosophiques et religieux IMAGE n. f. (lat. imago, imaginis). Apparence visible d’une personne ou d’une chose par l’effet de certains phénomènes d’optique : Et l’astre qui tombait de nuage en nuage | Suspendait sur les flots son orbe sans rayon. | Puis plongeait la moitié de sa sanglante image (Lamartine). || Représentation d’une personne ou d’une chose réfléchie sur un corps poli : Voir son image dans une fontaine. Les miroirs plans donnent l’image des corps avec leurs dimensions naturelles (Buffon) ; et, au fig. : Le visage est l’image de l’âme. Ce qu’à certains moments j’ai vu, ce n’était même pas la France, mais son reflet, son image, dans un regard étranger ou ennemi (G. Duhamel). || Représentation artistique d’une personne ou d’une chose : Image dessinée, peinte, gravée, sculptée. || Représentation des êtres qui sont l’objet d’un culte ou d’une vénération : Les iconoclastes s’élevaient contre le culte des images. Et je verrai, au sein de l’Élysée, ouvert aux mânes des héros, les vierges de la République suspendre des guirlandes de fleurs au pied de mes images (A. France). || Petite gravure représentant un sujet quelconque : Je te donnerai un beau livre avec des images || - Fig. Ressemblance ; ce qui imite, reproduit, donne l’idée de… : les hommes font Dieu à leur image (Voltaire). On a reconnu dans cette course du Flambeau l’image même des générations de la vie (Hervieu). || Représentation d’une personne ou d’une chose dans l’esprit, avec une valeur affective : Son image me suit partout. Des images troubles et bousculées traversent la pensée de Simon (G. Duhamel). || Manière de rendre une idée plus sensible, plus poétique, en prêtant à l’objet dont on parle des formes, des apparences empruntées à d’autres objets qui présentent avec lui des rapports de similitude étroits : Expression qui fait image. Ce que ceux-ci [les jeunes écrivains]

apprenaient des Goncourt […], c’était le dédain des besognes bâclées, des phrases et des images piquées sur le tas (Descaves). || Description, tableau : Opposer l’image des combats au tableau de la vie pastorale.

Grand Larousse Encyclopédique, Tome sixième, 1962

Nous ne pourrons prendre en considération tous les éléments de définition de l’image cités plus haut. Nous retiendrons l’idée de ressemblance, d’imitation, et plus généralement celle de double. Jean-Jacques Wunenburger pose le problème suivant : « Si l’image constitue bien le champ de l’altérité et du

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possible, n’est-elle pas par là-même puissance de jeu, de mensonge, d’illusion ? Le réel ne se donne-t-il pas qu’en représentation c’est-à-dire selon un enchaînement sans fin de figuration, défiguration, transfiguration75 ? » Il semble que cette problématique de falsification n’ait pas été énoncée dans la définition de l’image. Il faut bien dire qu’en tant que représentation de quelque chose, l’image porte d’emblée en elle-même les conditions de la dégradation de ce quelque chose (Cf. l’analyse de la mimèsis platonicienne effectuée précédemment).

Wunenburger parle d’images ensorcelantes par leur prétendue irréalité. Si nous n’aborderons pas tout de suite la question des rapports entre l’image et le réel, force est de constater que la sphère culturelle de production des images est une formidable faiseuse de contrefaçons, de leurres et de simulacres (du latin simulacrum, effigie76). L’image est dotée d’un pouvoir, fut-il a priori surnaturel, divin, ou merveilleux…

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