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Pouvoir, échange, influence

Dans le document introduction à la psychologie sociale (Page 76-80)

Jean-Pierre Poitou

2.1. Problèmes de définition

2.1.2. Pouvoir, échange, influence

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Les psychologues sociaux se rallient évidemment à la dernière des positions présentées ci-dessus. Toute relation qui permet à un individu de modifier le comportement d'une autre peut alors être considérée comme une relation de pouvoir. Mais comment distinguer cette rela-tion de celles qu'implique n'importe quel type d'interacrela-tion ?

Le critère généralement retenu est celui de la symétrie de la rela-tion. Dans un échange, les deux partenaires donnent et reçoivent des biens ou des services de valeur (subjective) égale. Il s'agit d'une rela-tion symétrique : que A échange quelque chose avec B implique que B échange avec A. En revanche une relation de pouvoir - ou d'influence - n'est pas nécessairement symétrique. Le fait que A commande à B n'implique pas que B commande à A. Il n'implique pas non plus d'ail-leurs que B ne puisse pas commander à A. Certains auteurs considè-rent que la relation de pouvoir est antisymétrique : si A commande à B, B ne commande pas à A dans le domaine d'activité considéré. En revanche B peut, dans un autre domaine, commander à A. En effet si l'on pose la relation de pouvoir comme antisymétrique, il faut suppo-ser une partition des activités des individus considérés en ensembles disjoints de sorte qu'il y ait pour chaque ensemble antisymétrie entre les agents individuels de ces activités (March, 1955). Si on définit le pouvoir comme une relation simplement non symétrique, on pourra admettre entre deux individus, et par rapport à une activité donnée les quatre possibilités suivantes. A peut faire accomplir l'acte en question à B, et B peut le faire accomplir à A. A peut commander l'acte à B, qui lui n'a pas ce pouvoir sur A. Ou bien c'est B qui commande à A, et non A à B. Ou enfin ni A ni B ne peuvent obtenir de l'autre l'acte en ques-tion (Cartwright, 1959).

Ce critère permet de distinguer deux grandes classes dans les formes d'interactions et les relations individuelles. Mais au sein des relations non symétriques, faut-il distinguer le pouvoir de l'influence, de l'autorité, du commandement ? Faut-il réserver le terme pouvoir aux tentatives intentionnelles d'influence (Cartwright, 1959) ? Ou bien à celles qui s'appuient uniquement sur des sanctions négatives

(Karlsson, 1962) ? Ou bien vaut-il mieux ne pas distinguer entre pou-voir et influence ?

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La tendance actuelle est à considérer le pouvoir comme une in-fluence potentielle, comme une relation dont le procès d'inin-fluence ob-servé au niveau des conduites constitue l'actualisation (Collins et Ra-ven, 1969). On trouvera de nombreuses revues détaillées sur la notion de pouvoir (Allen, 1965, Cartwright, 1959, Cartwright et Zander, 1968, Collins et Raven, 1969, Janda, 1960, Poitou, 1964, 1967, Schopler, 1965). Il reste cependant à situer les différentes modalités d'influence les unes par rapport aux autres, et à cette fin nous utilise-rons le modèle de March (1955) qui a inspiré les modèles du pouvoir présentés au paragraphe 2.2.3. Dans son esquisse d'une théorie des phénomènes d'influence, March définit l'influence ainsi : « Si l'on peut prédire avec certitude le comportement d'un individu dans une situa-tion donnée, et que le comportement observé diffère du comportement prévu, on dira qu'il y a eu une influence qui a induit ce changement. »

D'une façon très générale, considérons tous les comportements dont un organisme est capable comme états de cet organisme. Appe-lons R l'ensemble des états de cet organisme (voir Fig. 1). Supposons qu'à chacun de ces états soit attachée une valeur pour l'organisme - c'est-à-dire une valeur subjective - positive, négative ou nulle. On ap-pellera décision l'établissement d'un lien entre un élément de R et une valeur non nulle. Considérons en outre un ensemble T d'états de la nature qui sont susceptibles de déclencher un état de l'organisme. Les éléments de T sont associés aux éléments de R par des chaînes de probabilités. Dans ce cadre March distingue quatre grandes catégories de procès d'influence différant par les moyens utilisés pour déclencher un changement dans l'organisme (Fig. 1).

S : ensemble des états de la nature.

R : ensemble des états de l'organisme.

T : ensemble des états de la nature qui sont susceptibles de déclencher un état de l'organisme.

E : ensemble des stimulus efficaces.

A : ensemble des réponses déclenchées par les éléments de E.

r1, r2 : éléments de R.

{ +, -, 0 } : ensemble des valeurs subjectives.

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2.1.2.1. On peut changer les valeurs associées aux éléments de R. Si l'on peut mener l'organisme, ou l'individu, à attribuer une valeur positive à un état qui avait jusque-là une valeur nulle, on augmente ainsi la probabilité que l'individu choisisse cet état. Entrent dans cette catégorie la plupart des déterminations culturelles des activités indivi-duelles : socialisation, intériorisation de valeurs, etc...

2.1.2.2. Les éléments de l'ensemble R sont reliés entre eux par des chaînes de probabilités. Il est possible de changer cet

enchaîne-ment. Si l'on promet à un enfant de le mener au cinéma (r2) à condi-tion qu'il range sa chambre (r1, on l'induit à considérer que l'état r1 est associé par une forte probabilité à l'état r2 lui-même associé à une va-leur positive, tandis qu'auparavant r1 n'était associé à aucun état valo-risé, ni à aucune valeur positive, si ce n'est par des probabilités très faibles.

2.1.2.3. On peut changer les liaisons entre éléments de T et de R. Soit A un sous-ensemble de R qui contient les états effectivement déclenchés dans l'organisme, et E un sous-ensemble de T qui contient les états de la nature reliés à A. Autrement dit, E est l'ensemble des stimuli efficaces sur l'organisme considéré. Il est possible d'étendre ou de limiter A en relation avec un ensemble donné. Les différents types de conditionnement entrent dans cette catégorie. Une réponse incondi-tionnée est un état appartenant à A, associé à un stimulus ou état de la nature appartenant à E. Le conditionnement a pour effet d'associer cette réponse particulière, à un autre élément de E, le stimulus dit conditionné, qui auparavant déclenchait des réponses quelconques.

Autrement dit, pour un ensemble E qui ne comprendrait que les stimu-lus conditionné et inconditionné, on parvient à réduire l'ensemble A à la seule réponse conditionnée (voir Fig. 1).

2.1.2.4. Enfin il est possible de changer la composition de l'en-semble E, en ôtant ou en y ajoutant des éléments. Par exemple en fournissant à l'individu des informations sur la situation à laquelle il est confronté, on peut faire passer celle-ci du sous-ensemble (T - E) des stimulus potentiels à l'ensemble E des stimulus actifs, qui déclen-chent effectivement une réponse.

Ce que Bachrach et Baratz (1962, 1963) appellent un « procès de non-décision » appartient à ce dernier type : les individus influents peuvent réduire l'ensemble des situations (le sous-ensemble E) qui déclenchent des décisions de la part du groupe à celles-là seules qui les intéressent ou ne leur nuisent pas. Les décisions du groupe seront alors apparemment spontanées, mais resteront circonscrites aux do-maines déterminés souverainement par les membres influents du groupe. Entre également dans cette catégorie ce que Jones et Gerard (1967) nomment cue-control : un individu peut susciter le

comporte-ment désiré chez un autre s'il peut introduire dans la situation le ou les indices (cues) qui déclenchent habituellement la conduite désirée chez cet autre.

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