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4. Réception des vues animées

4.4. Procédures judiciaires contre les vues animées

4.4.2. Les poursuites

Les poursuites judiciaires à l’encontre des projections de vues animées le dimanche se déroulent en plusieurs étapes73. Elles commencent avec l’augmentation du nombre de poursuites judiciaires, à la suite desquelles les pratiques de résistance des exhibiteurs « consternent les autorités et les affolent74 ». Le gérant du Proctor avait déjà été emprisonné en 1902, pour avoir dérogé à la loi75, sans que la réglementation ait été contestée. Ce n’est qu’en 1907 que les autorités municipales débattent au sujet de la législation. D’une part, le chef de police de Montréal, Olivier Campeau, envisage de mettre fin à la tolérance et de fermer toutes les salles de vues animées, et d’autre part, l’échevin L.A. Lapointe prépare un projet de règlement pour autoriser les vues animées et les concerts le dimanche76.

Afin de résoudre le problème des projections dominicales, Léo-Ernest Ouimet est désigné pour constituer une « cause-type77 » par le procureur général de la province : il est alors sommé de comparaître dès son retour de Chicago, pour un procès le 14 janvier 1908. Or, contrairement aux exhibiteurs précédents, qui s’étaient acquittés des amendes, Léo-Ernest Ouimet engage des avocats, dans le but de clore tout débat qui empêcherait l’ouverture des salles de vues animées le dimanche.

73 Bien que Germain Lacasse ne délimite pas ces différentes phases, nous avons pu en retracer l’évolution grâce à ses recherches. Germain Lacasse, Histoires de scopes, op. cit. p. 21-38. 74 Ibid, p. 21.

75 La Presse, 25 octobre 1907, ibidem.

76 Germain Lacasse estime que le théâtre ne fait pas partie du projet, en raison des protestations de l’évêché. Germain Lacasse, Histoires de scopes, op. cit. p. 21. Cependant, le règlement municipal 103 impose déjà la fermeture des théâtres.

À la suite de ce procès, nous observons une phase de reprise des activités des scopes « avec des propriétaires anglophones surtout78 » et de la fabrication de vues locales, laquelle avait été interrompue au cours de l’hiver. Cependant, Germain Lacasse estime que le spectacle des salles régresse, c’est-à-dire qu’il se conforme aux discours dominants et s’abstient des sujets licencieux. À ce titre, Léo-Ernest Ouimet attache une attention particulière au respect de l’autorité. Les débats autour des séances le dimanche ont donc une influence sur la fabrication des vues animées. Cela se comprend parce que Léo-Ernest Ouimet, poursuivi en justice, fabrique et distribue des vues animées dans de nombreux lieux d’exhibition du Québec et aussi en-dehors de la province. Cela rejoint les cas d’exceptions à la législation du dimanche. En effet, l’autorisation de travailler le dimanche est donnée surtout pour éviter la fréquentation de lieux de débauche ce jour-là. Le respect d’une morale stricte dans la fabrication de vues animées sert donc à promouvoir la cinématographie-attraction et à la distinguer de spectacles licencieux.

À la fin de l’automne 1908, les procédures juridiques reprennent, bien qu’elles touchent cette fois-ci les nombreux aspects des salles permanentes de vues animées. À la suite de son échec lors de son procès dont la décision est rendue en janvier 1909, Léo-Ernest Ouimet fonde la Moving Picture Association of the Province of Quebec, qui regroupe les autres exhibiteurs, et fait appel de la décision judiciaire en Cour supérieure. En attendant, il use de stratégies, telles que la vente de bonbons à la place des billets d’entrée, pour contourner la réglementation lui interdisant de vendre des billets d’entrée. En même temps, au cours du procès du 23 février 1909, les poursuites judiciaires affectent une vingtaine d’exploitants. Or, les décisions rendues par les

78 Ibidem. Certes, Germain Lacasse suggère que les catholiques obéissent à l’archevêque, mais il semble que les protestants restreignent davantage leurs activités le dimanche. Ce sont plutôt les valeurs libérales qui encouragent les commerces tous les jours.

juges sont opposées. La constitutionnalité de la loi du dimanche est remise en question79. En même temps, les amendes sont progressivement augmentées de 10$ à 100$ puis 500$, quoique les exploitants condamnés demandent des brefs permettant de ne pas les payer. Les procédures judiciaires aboutissent en 1912, lorsque les autorités fédérales décident d’autoriser les séances de vues animées le dimanche. Ipso facto, le jugement des autorités de la ville de Montréal et de la province du Québec est cassé.

Nous remarquons des cas similaires ailleurs au Québec, par exemple à Saint-Jean. En janvier 1909, « la cause de la ville de St Jean vs M. Jules Audette, propriétaire du théâtre Royal, accusé d’avoir donné des représentations de vues animées le dimanche, en contravention avec le règlement municipal de la ville de St Jean80 », est ajournée sine die parce qu’entre la cour de police et le renvoi devant le magistrat, l’honorable juge Monet a annulé le règlement au tribunal supérieur.

D’un point de vue juridique, les municipalités et les provinces ont le droit d’interdire l’ouverture des lieux d’amusements ou l’organisation de séances de vues animées le dimanche. Cependant, l’augmentation de la consommation des loisirs pousse les autorités à revoir la législation et à autoriser des activités commerciales le dimanche. En même temps, l’État fédéral conteste l’étendue du pouvoir des provinces. En ce sens, les procédures judiciaires présentées devant la Cour Supérieure peuvent casser les jugements provinciaux. C’est justement ce qui arrive en 1912 lorsque les autorités fédérales autorisent les vues animées le dimanche.

79 Il faut néanmoins user de précautions, puisque cet argument revient dès que les législations municipale et provinciale s’opposent à la législation fédérale. De plus, la loi du dimanche a pour vocation de protéger le repos hebdomadaire. En ce sens, elle n’est contestée que dans les cas où l’on cherche à ne pas l’appliquer.

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