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Résumé

Comme nous venons de le voir dans les chapitres précédents, l'analyse des cadres méthodologiques issus des secteurs agricole et industriel révèle inté-rêts et limites de chacun de ces cadres pour la représentation métier des en-treprises. Aucun cadre existant ne s'avère pour autant parfaitement adapté à la représentation métier des entreprises agricoles.

Nous proposons dans ce chapitre de présenter notre problématique de re-cherche et notre approche méthodologique tout en précisant le contenu de notre proposition de cadre méthodologique pour la représentation métier des entreprises agricoles, adapté de la Modélisation d'Entreprise.

Sommaire

1 Notre problématique : quel apport de la Modélisation d'Entreprise pour la représentation métier des entreprises agricoles ?

1.1 Intérêts et limites des approches sectorielles

1.2 Contributions possibles de la Modélisation d'Entreprise : exemple hospitalier et problématique agricole

2 Notre approche méthodologique : pluridisciplinaire et multi-sectorielle

2.1 Présentation générale de notre approche

2.2 L'entreprise agricole de production de biens et de service comme objet d'étude

2.3 Le cadre CEMAgriM comme proposition de cadre méthodologique issu du Génie Industriel, des Sciences de Gestion et des Sciences Biotechniques 2.4 L'exploitation agricole de l'EPLEFPA de Brioude-Bonnefont comme cas

1. Notre problématique : quel apport de la Modélisation d'Entreprise pour la représentation métier des entreprises agricoles ?

1.1. Intérêts et limites des approches sectorielles

Les recherches en Génie Industriel et en Ingénierie des Systèmes d'Infor-mation montrent l'intérêt de disposer de modèles de représentation métier du fonctionnement et de l'organisation des entreprises et de cadres métho-dologiques pour l'expression des besoins et la conception d'outils de gestion adaptés aux attentes des entreprises.

Comme nous venons de le voir dans les deux précédents chapitres, peu de cadres méthodologiques peuvent être identifiés dans le secteur agricole alors que de nombreux cadres méthodologiques sont recensés dans le sec-teur industriel.

Dans le secteur agricole, ces cadres méthodologiques sont limités en termes d'aide à l'expression des besoins de gestion et de spécification de systèmes d'information. Ils font du reste référence au "modèle de l'exploitation agri-cole familiale" remplacé aujourd'hui progressivement par le "modèle d'en-treprise". Peu d'information collectée, à travers des démarches d'enquête pertinentes et bien structurées, n'est finalement restituée sous la forme de modèles descriptifs qui ne permettent pas de gérer la complexité des systè-mes et de communiquer facilement. Ce constat est à relier à l'absence de définition de langages de représentation métier, basés sur des cadres conceptuels et des formalismes établis pour l'entreprise agricole.

Dans le secteur industriel, ces cadres méthodologiques sont issus de la Mo-délisation d'Entreprise. Ils proposent une représentation métier des entre-prises industrielles et facilitent ainsi l'expression des besoins dans une dé-marche d'analyse et de conception de systèmes d'entreprise et d'information. Structurés autour de cadres de modélisation qui permettent de gérer la complexité des modèles à travers la définition de vues de modé-lisation, ces cadres méthodologiques regroupent des langages avant tout graphiques, pour la plupart conviviaux pour le gestionnaire et pertinents pour le concepteur. Aucun cadre n'est malheureusement parfait : que ce soit au niveau des aspects modélisés, de la convivialité des formalismes, de la cohérence du cadre conceptuel, ou de la difficile approche des démarches. Ces cadres méthodologiques issus de la Modélisation d'Entreprise n'ont jus-qu'à présent fait l'objet d'application à l'entreprise agricole que dans le ca-dre de nos travaux (Abt et al., 2005a; Abt et al., 2005b; Abt et al., 2009; Bigeon et al., 2005; Vittoz, 2005), à l'exception d'un article recensé à ce jour portant sur le langage IDEF0 (Cunha et al., 2006). Les premiers modè-les élaborés, et présentés pour certains dans le Chapitre 5, confirment l'inté-rêt de ces cadres et langages pour la représentation métier des entreprises agricoles. Ils révèlent cependant certaines limites quant à leur transposition immédiate et en l'état au secteur agricole. Ces limites sont à relier à la

di-versité des cadres méthodologiques existants (aucun cadre n'apparaît com-plet et parfait au regard des autres cadres existants), mais aussi aux particu-larités de l'entreprise agricole (présentées dans le Chapitre 1), parmi les-quelles figurent :

• le recours à l'agent biologique (sol, animal, végétal) et le pi-lotage de cycles biologiques qu'il est difficile de représenter avec les langages existants (absence des concepts dédiés)

• des cycles de production longs et aléatoires, calés sur le cy-cle des saisons, qu'il est difficile de représenter avec les seuls concepts d'horizon et de période

• la petite dimension humaine et la concentration des centres de décisions qui posent question tant au niveau des concepts à mobiliser pour la représentation métier de l'entreprise qu'au niveau des démarches de modélisation et de la mobili-sation des personnes ressources.

Devant la multitude de langages et modèles existants, aucun cadre métho-dologique ne semble ainsi proposer de solution satisfaisante pour l'expres-sion des besoins et la représentation métier de l'entreprise agricole.

1.2. Contributions possibles de la Modélisation d'Entreprise : exemple hospitalier

et problématique agricole

Si aucun cadre méthodologique ne semble pouvoir être directement trans-posable du secteur industriel au secteur agricole ou suffisant pour com-prendre la complexité de l'entreprise agricole, il n'en est pas moins possible d'envisager leur adaptation pour intégrer les particularités et les besoins propres aux entreprises agricoles, à l'instar des travaux menés dans le sec-teur tertiaire des entreprises de production de services (Alix et al., 2005; Alix et al., 2006; Bistorin et al., 2006; Clémentz et al., 2006; Pourcel, 2007; Pourcel et al., 2005a).

Les travaux de recherche en cours et menés au sein du groupe "Gestion et Ingénierie des Systèmes Hospitaliers" (GISEH) du GdR MACS3 (Aloui et

al., 2007; Baboli et al., 2005; Balaidi et al., 2006; Besombes et al., 2004;

Briquet et al., 2005; Di Martinelli et al., 2005; Ducq et al., 2005a; Hassan

et al., 2005; Lamine et al., 2007; Rakotondranaivo et al., 2005; Trilling et al., 2004a; Trilling et al., 2004b) visent notamment à étudier l'adaptabilité

et le transfert des méthodes et outils de la gestion industrielle pour la ges-tion hospitalière en tentant de lever les verrous spécifiques au domaine hospitalier tels que la difficulté de conception de la gamme de production des soins, la variabilité des durées des activités constituant la gamme de soins, la nécessité de réaliser sur un même site de production des soins pré-vus dans la journée (ambulatoire), durant un séjour (hospitalisation) et im-médiatement (urgence). Un cadre méthodologique pour la représentation métier des plateaux médicaux techniques a notamment été élaboré à partir 3

GdR MACS : Groupe de Recherche "Modélisation, Analyse et Conduite des Systèmes Dynamiques" (www.univ-valenciennes.fr/GDR-MACS)

des travaux de Modélisation d'Entreprise, des cadres méthodologiques et des langages existants. Dans sa première version, ce cadre s'appuie sur une démarche dédiée de questionnement des acteurs, cinq vues de modélisation (processus de prise en charge du patient, système physique, système d'in-formation, décisions, organisation) et des langages de modélisation issus des cadres ARIS et GIM (Albert, 2007; Besombes et al., 2004). Plus ré-cemment, les travaux de thèse d'Amadou Sienou ont permis de proposer un cadre méthodologique pour le management intégré des risques et des pro-cessus d'entreprise (Sienou, 2009). Ces travaux s'appuient sur le cadre ARIS, intègrent de nouveaux concepts liés au risque, et sont notamment appliqués au secteur hospitalier pour la gestion des circuits médicamenteux. Sur la base de ces expériences réussies d'adaptation et de transfert des ca-dres méthodologiques issus du secteur industriel vers le secteur hospitalier, nous nous proposons d'investiguer cette transposition au secteur agricole, qui n'a, pour l'heure, jamais été encore réalisée :

"En quoi la Modélisation d'Entreprise peut-elle contribuer à représenter le fonctionnement et l'organisation des entreprises

agricoles et aider à identifier leurs besoins de gestion dans une perspective d'ingénierie d'entreprise

et de Système d'information?"

C'est autour de cette question cruciale que s'articulent nos travaux de re-cherche. A cette fin, nous proposons de définir un cadre méthodologique adapté aux entreprises agricoles et largement inspiré de la Modélisation d'Entreprise, en faisant l'hypothèse que cette dernière peut contribuer à :

• aider à structurer la description du système "entreprise agri-cole" à travers la définition d'un cadre conceptuel unifié

• aider à formaliser le système "entreprise agricole" sous une forme intelligible et communicable à travers la définition de langages de modélisation avant tout graphiques

• aider à représenter les différents aspects de l'entreprise agri-cole à travers la définition d'un jeu de modèles pertinent

• aider à mieux gérer la complexité des modèles à travers la définition d'un cadre de modélisation, construit autour de vues et de phases de modélisation et s'appuyant sur une re-présentation systémique stable de l'entreprise agricole

• aider à recenser les informations auprès des acteurs, à tra-vers la définition d'une ou plusieurs démarches structurées en fonction des objectifs précis de modélisation

2. Notre approche méthodologique : pluridisciplinaire et multisectorielle

2.1. Présentation générale de notre approche

Afin de proposer un cadre méthodologique adapté aux entreprises agricoles et de répondre à la question de l'apport de la Modélisation d'Entreprise pour la représentation métier et l'aide à l'expression des besoins de gestion des entreprises agricoles dans une perspective d'ingénierie d'entreprise et de système d'information, nous proposons une approche méthodologique à la fois pluridisciplinaire, en mobilisant le Génie Industriel (dont est issue la Modélisation d'Entreprise), les Sciences de Gestion et les Sciences Bio-techniques, et multisectorielle, en rapprochant les secteurs agricole et in-dustriel.

Soucieux de garantir la pertinence du cadre méthodologique, nous nous at-tacherons à étudier les entreprises agricoles à caractère professionnel s'ins-crivant dans une dynamique de production de biens et de services. Dans le cadre de ces travaux, nous nous concentrerons sur les productions diversi-fiées de type grandes cultures et élevage de polygastriques (herbivores). En nous appuyant sur les travaux menés en Modélisation d'Entreprise, nous construirons un cadre méthodologique enrichi de l'intégration des cadres existants dans le secteur agricole et d'emprunts conceptuels notamment aux Sciences de Gestion et aux Sciences Biotechniques.

Pour l'adaptation du cadre méthodologique aux entreprises agricoles, nous nous appuierons sur notre connaissance des systèmes de production agri-cole tout en l'enrichissant d'une lecture d'articles scientifiques et techniques et d'une proximité avec le "terrain" à travers le suivi régulier de plusieurs exploitations agricoles. Nous illustrerons enfin l'utilisation du cadre métho-dologique à travers l'élaboration de modèles sur une exploitation agricole de polyculture élevage.

2.2. L'entreprise agricole de production de biens et de services comme objet

d'étude

Nous choisissons l’exploitation agricole comme objet d’étude. L'exploita-tion agricole est ainsi vue comme une "unité économique de producL'exploita-tion qui participe à la production agricole, dispose d'une gestion courante indépen-dante et atteint un certain seuil en superficie, en production ou en nombre d'animaux" (Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, 2006a). Tous les ac-teurs en lien avec l'exploitation (administration, filière, sous-traitant, autres exploitations) seront considérés comme extérieurs au système étudié, mais devront être identifiés comme participant à l'activité des exploitations agri-coles.

Nous nous intéresserons plus particulièrement aux exploitations agricoles professionnelles4, représentatives de l'activité agricole en France : plus de 326 000 exploitations (Agreste, 2008) sont ainsi dénombrées en 2007, ce qui représente 64% du nombre total d'exploitations et couvrent plus de 92% de la Surface Agricole Utile (SAU) en France métropolitaine, en représen-tant la très grande majorité de l'activité économique du secteur5.

Parmi ces exploitations professionnelles, nous nous intéresserons à la di-versité des productions de biens et de services. Nous nous concentrerons cependant, dans le cadre de ces travaux, sur les exploitations ayant des pro-ductions diversifiées de type grandes cultures et élevage de poly-gastriques (herbivores), pour les raisons suivantes :

• la durée longue, de l'ordre de l'année, des cycles de produc-tion qu'elles pilotent ;

• la diversité et la complexité des modes de gestion qu'elles mobilisent ;

• l'interaction existante entre ateliers de production animale et végétale ;

• leur prise avec le milieu naturel (sol, climat) (Figure 2.16) ;

• le couplage d'activités agricoles avec des activités non-agricoles directement liées à l'exploitation dans ce type de systèmes de production ;

• la représentativité statistique des systèmes de production ainsi considérés qui représentent plus de 75% des exploita-tions agricoles professionnelles (Figure 2.17).

• la difficulté de construire, a priori, un cadre méthodologique générique à l'ensemble des productions agricoles

Dans le cadre de ces travaux, nous ne nous intéresserons donc pas aux pro-ductions végétales pluriannuelles (arboriculture fruitière, viticulture). Nous ne nous intéresserons pas non plus aux cultures maraîchères, à l'horticulture et à l'élevage de monogastriques (porcs, volailles, poissons), souvent "hors-sol", dont les cycles de production sont plus courts, de quelques mois à un jour. L’organisation et le fonctionnement des exploitations hors-sol (serres, élevages hors-sol) s’apparentant davantage aux entreprises industrielles : nous préférons ainsi concentrer nos réflexions sur les productions de gran-des cultures et d'élevage de poly-gastriques.

4

Une exploitation agricole professionnelle disposed'une "unité économique supérieure à 8 Unités de Dimension Economique Européenne (UDE), soit l'équivalent de 12 ha de blé et utilise un minimum de 75% de travail fourni par une personne occupée à plein temps pendant une année" (Source INSEE – Agreste, arrêté du 24 janvier 2000)

5

Répartition du nombre d'entreprises en fonction des classes de SAU

18% 24% 31% 21% 6% Moins de 20 ha 20 à moins de 50 ha 50 à moins de 100 ha 100 à moins de 200 ha 200 ha et plus

Répartition de la SAU en France métropolitaine en fonction des classes de SAU des entreprises

2% 11%

29%

37% 21%

58% des exploitations professionnelles disposent de plus de 50 ha de SAU

87 % de la SAU des exploitations professionnelles est couverte par des exploitations de plus de 50 ha

326 225 exploitations agricoles professionnelles en 2007 couvrent 25,2 millions d’hectares soit une surface moyenne de 77 ha

Figure 2.16 : Surface Agricole Utile (SAU) des exploitations agricoles professionnelles (Données Agreste 2007) Grandes cultures 23% Maraîchage, horticulture 3% Viticulture 13% Fruits 3% Bovins lait 17% Bovins viande 12% Autres herbivores 8% Porcins, volailles 4% Autres (mixtes) 17%

Figure 2.17 : Répartition des exploitations agricoles professionnelles par type de production (Données Agreste 2007)

Pour construire un cadre méthodologique adapté aux besoins des exploita-tions agricoles correspondant aux systèmes de production identifiés, nous nous appuierons sur notre connaissance de ces systèmes de production tout en l'enrichissant d'une lecture d'articles scientifiques et techniques et d'une proximité avec le "terrain" à travers le suivi régulier de plusieurs exploita-tions agricoles. Cette proximité avec le "terrain" permet d'apprécier la di-versité des situations et d'enrichir les réflexions conceptuelles afin

d'attein-dre un certain niveau de généricité dans les propositions formulées. Plu-sieurs exploitations de grandes cultures, de polyculture et d'élevage de poly-gastriques ont ainsi été suivies dans le cadre de ces travaux et permet-tent aujourd'hui d'enrichir notre connaissance de ces systèmes de produc-tions agricoles (Figure 2.18).

Polyculture Elevage

EPLEFPA Moulins Neuvy Moulins (03)

Grandes Cultures - Elevage

EPLEFPA Marmilhat Lempdes (63) Polyculture Elevage EPLEFPA Brioude-Bonnefont Fontannes (43) Polyculture Elevage

Cemagref – Site de Montoldre Montoldre (03)

Grandes Cultures

CRAB – Site de Kerguehennec Bignan (56)

Polyculture Elevage

EARL Rivedor Betaille (46)

CRAB : Chambre Régionale d’Agriculture de Bretagne

EPLEFPA : Etablissements Publics Locaux d'Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole

Figure 2.18 : Exploitations agricoles suivies dans le cadre de nos travaux

2.3. Le cadre CEMAgriM comme proposition de cadre méthodologique issu du Génie

Industriel, des Sciences de Gestion et des Sciences Biotechniques

En nous appuyant sur les travaux menés en Modélisation d'Entreprise, nous visons la proposition d'un cadre méthodologique pour la représentation mé-tier de l'entreprise agricole dans une démarche d'ingénierie d'entreprise et de système d'information. Nous visons la définition d'un cadre

méthodo-logique, cohérent et capable de décrire le maximum d'aspects de l'en-treprise agricole. Nous baptiserons ce cadre CEMAgriM pour "Cemagref

Entreprise Modeling in Agriculture Integrated Methodology" (Figure 2.19). En nous inscrivant dans une dynamique d'ingénierie méthodologique, à par-tir d'une bibliographie issue des travaux menés en Modélisation d'Entre-prise sur les cadres méthodologiques (Annexes I.1 à I.7), les cadres de mo-délisation (Annexe I.8), l'interopérabilité des modèles et des langages (Annexe I.9 §1), complétée des travaux sur les cadres méthodologiques is-sus du secteur agricole (Chapitre 4) et d'une bibliographie en Sciences de Gestion (Annexe I.9 §2 notamment) et en Sciences Biotechniques