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PARTIE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET OBJECTIFS DE RECHERCHE

2. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE

Notre thèse de doctorat s’inscrit dans une perspective capacitante qui vise à soutenir l’empowerment et la participation sociale des adolescents ayant un TSA au sein de leurs communautés. Notre posture est une posture résolument non déficitaire du spectre autistique, abordé sous le paradigme de la neurodiversité (Barnes et McCabe, 2012 ; Cascio, 2012 ; Fenton et Krahn, 2007, Jaarsma et Welin, 2012). La paternité de ce terme, qui se répand rapidement sur Internet via les groupes en ligne d’adultes autistes, est souvent attribuée à Judy Singer, une sociologue diagnostiquée avec le syndrome d’Asperger (Ortega, 2009 ; Singer, 1999). Depuis, le terme est souvent employé de manière confuse et indistincte pour désigner un fait biologique, un mouvement (groupement d’individus) de justice sociale ou un paradigme (Bascom, 2012). La neurodiversité, en tant que fait biologique, est une reconnaissance du développement neurologique atypique comme une variation naturelle du fonctionnement humain (Jaarsma et Welin, 2012). Le paradigme de la neurodiversité est alors défini comme une perspective reposant sur trois principes :

(1) La neurodiversité, en tant que fait biologique, est une variation naturelle et précieuse de la diversité humaine ;

(2) L’idée qu’il existe un unique type de fonctionnement neurologique « normal » ou « sain » est une construction culturelle non valide ;

(3) Les dynamiques sociales qui se développent en faveur de la neurodiversité sont similaires à celles en faveur d’autres formes de diversité humaine (p. ex. diversité de genre, d’ethnicité ou de culture). Elles incluent notamment la lutte contre les inégalités sociales et la reconnaissance de la diversité comme source de potentiel créatif.

Ces dernières années ont vu l’émergence d’un mouvement de revendication pour les droits civils de toute personne présentant un trouble neurologique ou neurodéveloppemental dont : les TSA, les « troubles dys », le trouble du déficit de

l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), le trouble bipolaire, ou encore le syndrome Gilles de la Tourette.

Concernant les troubles du spectre de l’autisme plus spécifiquement, le paradigme de la neurodiversité conteste l’hégémonie du modèle médical dans lequel les TSA ne sont définis que sous l’angle du handicap, inhérent à l’individu et devant être traité et normalisé. Ses défenseurs – chercheurs et personnes avec TSA – souhaitent mettre l’accent sur les aspects positifs de cette condition et revendiquent le droit à la différence et à l’acceptation sociale (Gillespie-Lynch & al., 2017). Dans cette approche capacitante, le terme condition(s) est généralement préféré à celui de trouble(s). Notons que du fait de l’importante diversité des tableaux cliniques au sein du spectre, la neurodiversité a davantage été revendiquée pour les individus présentant un autisme dit de haut-niveau, c'est-à-dire sans déficience intellectuelle associée.

Cette conception positive de la diversité rejoint celle défendue par les psychologues communautaires qui militent en faveur d’un changement de positionnement dans le domaine de la santé mentale (Trickett, Watts, & Birman, 1993) : dans leur pratique, le terme diversité remplace progressivement ceux de minorité ou groupe désavantagé, témoin d’un regard positif sur la diversité humaine, sans distinction de genre, d’âge, ou de santé. C’est ce que Jones (1990) appelle la diversité affirmative, qu’il définit comme « l’affirmation de la valeur fondamentale de la diversité humaine dans la société » (p. 18, 1990), précisant que favoriser la diversité augmente plutôt que diminue la qualité d’une société.

Bien que partageant cette conception positive de la (neuro-)diversité, nous ne nions pas pour autant les difficultés auxquelles les familles et les jeunes sont confrontés : au contraire. Nous dénonçons l’absence d’un système d’accompagnements coordonné, individualisé et réellement centré sur les besoins exprimés par les adolescents, tant pour eux que pour leurs familles. Ce manque d’engagement et d’une volonté gouvernementale forte compromet l’avenir de ces adultes en devenir, non seulement

au plan scolaire mais également au plan personnel et social. Sans volonté politique solide, leurs possibilités de s’affirmer en tant qu’individu, de développer une estime de soi satisfaisante et de tisser des relations sociales harmonieuses s’en trouvent diminuées. Ceci peut s’avérer d’autant plus dommageable à l’adolescence, période durant laquelle le jeune va affirmer et affiner sa construction identitaire, en fonction de ses expériences et opportunités au sein des communautés qu’il fréquente.

Dans une telle situation, comment prendre sa place de citoyen, acteur clé de sa propre vie, responsable de ses choix et impliqué dans la vie de la Cité ? Nous touchons ici, au-delà du cas particulier des troubles du spectre de l’autisme, à la notion d’équité et de justice sociale. La problématique générale de ce travail est en effet commune à bon nombre d’autres minorités, qu’ils s’agissent de jeunes présentant des handicaps (cognitifs, moteurs) ou marginalisés du fait de conditions sociales particulières (pauvreté, immigration, racisme, etc.).

Dans un récent article portant sur les méthodologies utilisées pour saisir le point de vue de l’adolescent, Armagnague et Rigoni (2016) offrent un éclairage particulièrement utile concernant les enjeux épistémologiques des recherches visant à recueillir le témoignage des jeunes. Les auteurs mettent en garde contre l’asymétrie des relations qui s’instaure généralement lorsqu’un chercheur interroge un adolescent, et dont ce dernier est souvent tributaire : asymétrie chercheur vs enquêté, adulte vs jeune, expert vs apprenant. Cette posture adultocentrée est peu favorable aux témoignages intimes et à l’instauration d’une confiance entre les deux interlocuteurs. En effet, les jeunes sont fréquemment soumis à cette asymétrie dans leur quotidien, que ce soit à l’école avec leurs enseignants, à la maison avec leurs parents ou lors d’accompagnements, avec les thérapeutes. Ce rapport de « domination » adulte- jeune qui se dessine « joue un rôle inhibant ou promeut quelquefois une attitude de faux semblant peu propice à comprendre l’expérience et le vécu intime de ces jeunes » (Armagnague et Rigoni, p. 314, 2016). La désirabilité sociale, l’envie d’apparaître « normal », la supposition des réponses attendues par l’adulte sont les principaux écueils de ce rapport inégalitaire. Le défi pour le chercheur est donc

double : se défaire de la posture adultocentrée tout en conservant la rigueur scientifique nécessaire. Pour naviguer à travers cette démarche instable, nécessitant réflexivité, souplesse et humilité, les auteurs proposent deux principes :

1. Poser comme centrale la subjectivité de l’adolescent (Dubet, 1994) ;

2. Considérer comme un fait sa capacité de mobilisation politique et d’analyse du monde social.

Une fois ces deux principes pris en compte, il est possible d’entreprendre un travail qui place les adolescents dans une posture d’acteurs clés de la problématique étudiée et leur permet d’être davantage à l’initiative du recueil des données les concernant (Touraine, 1978). Leurs paroles, loin d’être considérées comme de simples « éléments de matériau » sont au contraire envisagées « comme des illustrations d’une capacité politique et citoyenne à part entière » (Armagnague et Rigoni, 2016 ; Cousin et Rui, 2011). C’est avec cette posture épistémologique qu’a été élaborée la méthodologie détaillée dans la partie 3. Elle vise avant tout à favoriser l’expression la plus authentique possible des adolescents ayant un TSA, dans le respect de leur fonctionnement, et en vue de permettre une coproduction de la connaissance. Les limites de la méthodologie utilisée seront examinées dans la discussion (cf. 2.14 Limites).

3. OBJECTIFS ET RETOMBÉES ATTENDUES