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Aissa Kadri note qu’avant la seconde guerre mondiale, la position des syndicats français de l’éducation1 vis –à vis de la situation coloniale en Algérie est loin d’être prononcée ; il n’ya pas eu de soutien, notamment à l’Etoile nord-africaine entre 1925-1933 ou de contestation contre les événements du 08 mai 1945. Cependant, les enseignants français d’Algérie, du fait de leur métier, étaient témoins au quotidien de la situation précaire dans laquelle vivait toute une population2. En effet, les enseignants français ont vite pris conscience de la nécessité d’un changement 3car eux même n’ont pas été épargnés lors de la Guerre de libération ; ils ont été l’objet de menaces et intimidations tel que le démontre ces quelques témoignages.

Louis Rigaud rappelle que les enseignants français affiliés au SNI étaient sans cesse l’objet de menaces4, sans doute par rapport à leur position vis-à-vis de la Guerre d’Algérie sur laquelle cette étude va revenir. Lui-même et deux de ses collègues Maurice Gantchoula et Marcel Dubois responsables au sein du SNI d’Alger, le lendemain de l’assassinat d’un

1 Les formations syndicales dans le secteur de l’éducation en France sont représentés par la FEN, qui est majoritaire et le SNI et le SNES affiliés d’ailleurs à la FEN, il y’a aussi la SGEN minoritaire affiliée à la CFTC. Le SNI est né le 24 septembre 1920, la FGE (Fédération générale de l’éducation) a été créée le 23 décembre 1928, lors de son congrès du 04 mars 1946, il fut décidé qu’elle portera désormais le nom de FEN. La FEN, affiliée à la CGT auparavant, va la quitter avec la scission confédérale du 19 décembre 1947 au moment même de la création de la CGT-FO « séparée du syndicalisme interprofessionnel se recentre sur le champ clos de l’éducation » la tendance générale de ses formations était penchée sur la SFIO, les cégétistes étaient à la fois affiliés à la FEN et à la CGT.

2 Voir Aissa Kadri (en collaboration avec Ahmed Ghouati), Instituteurs et enseignants en Algérie coloniale Engagements, Rapport pour l’UNSA Éducation, centre Henri Aiguepersse à l’institut Maghreb Europe EA-ERASME site de l’UNSA Éducation, in

http://www.himase.fr/IMG/pdf/Instituteurs_et_enseignants_en_Algerie_coloniale.pdf

3 Voir à titre d’exemple les témoignages de louis Rigaud dans « Instituteurs et enseignants en Algérie coloniale : Engagements », mais aussi celui de Yves Roux et de Guy Molières auxquelles se réfère Aissa Kadri dans le rapport op. cit et Ahmed Ghouti dans École et imaginaire en Algérie coloniale, parcours et témoignages, op. cit., p. 20-28 d’ailleurs l’ouvrage d’Ahmed Ghouati, op. cit., comme l’indique son titre est une série de témoignages réalisés par entretien auprès d’enseignants .

4 Centre Henri Aigueperse, Les cahiers du centre fédéral, n° 40, l’école en Algérie coloniale, conformer ou émanciper, Paris éd Sudel, Unsa éducation, 2004, p. 53-54.

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jeune instituteur français du nom de Monnerot par le FLN, étaient l’objet de menaces, accusés par des tracts d’être des traitres. Le local du SNI d’Alger sera plastiqué à deux reprises, quelque uns d’entre eux furent assassinés William Hassan d’Oran, André Linares d’Alger et Robert Bacri de Bône. Les enfants de Louis Rigaud furent tous deux attaqués et insultés. Sa fille au lycée Fromentin, par l’un de ses professeurs et le garçon au lycée Bugeaud, par ses camarades durant le dernier trimestre de l’année 1961-1962. Il les renvoie à Nice pour terminer l’année scolaire.

Roger Mas1 rappelle que la première victime du 1er novembre n’est autre qu’un instituteur, Guy Monnerot, et qu’après cette date les enseignants devaient sortir groupés pout leur sécurité, qu’ils recevaient sans cesse des lettres de menace de mort, lui et ses camarades. Sa voiture a été plastiquée, il participera à la grève de huit jours de 1955. Cette même année, il sera nommé inspecteur académique à Oran. Il participera aussi à la grève contre la tentative de coup d’État du « Quarteron de généraux » le 22 avril 1961.

En 1956 lors de la visite de Denis forestier, secrétaire national du SNI en Algérie, il constatera que dans les trois départements, 575 écoles ont été fermées, 121 ont été brulées, 799 instituteurs repliés en Algérie ou en métropole, 472 sont mobilisés 1.002 sont mobilisés dans les unités territoriales militaires et 17 victimes de la loi d’urgence (interdits de séjour, en prison, ou en résidence assignée)2. Comme le montre ce constat, les enseignants et instituteurs en général, et en particulier les responsables syndicaux, ne s’occupaient pas seulement des affaires corporatives mais aussi des affaires sociales et politiques.

À chaque voyage en Algérie les représentants du Bureau national du SNI rédigeaient des rapports et des comptes rendus sur la situation scolaire, sociale et démographique en Algérie. Ces rapports étaient régulièrement publiés dans l’école libératrice. La visite de Guy Mollet le 06 février 1956 et le vote des pouvoirs spéciaux en mars conduira à des affrontements et un climat d’insécurité. Le 24 février 1956, Forestier écrit dans l’école libératrice que l’école laïque au cœur du drame algérien où il manifeste sa peur que l’école ne devienne otage des violences.

La position du SNI concernant la situation coloniale en Algérie commence à se préciser vers 1946

1 Ibid., p. 62-63.

2Ahmed Ghouati, École et imaginaire dans l’Algérie coloniale parcours et témoignages, Paris, l’Harmattan, 2009, p.19.

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La position du SNI1 pendant la Guerre d’Algérie était favorable en général à « une solution algérienne » qui évoluera jusqu’à 1961 aux congrès de Paris à une motion qui « affirme sa préférence pour la solution institutionnelle d’une Algérie indépendante associée à la France, étant bien entendu que cette association ne saurait être préalable à l’indépendance alors qu’elle peut en être une garantie ». Cependant, même si cette dite « solution algérienne » faisait l’unanimité au sein du bureau national du SNI et de la FEN cela n’empêche pas qu’elle fut représentée par plusieurs tendances et donc fut exprimé par différentes manières. La première tendance, est celle du SNI qui au départ exprimé au cour de son congrès de 1946 était pour « l’élargissement des droits économiques, politiques et sociaux des masses musulmanes » et aussi « conscient de l’originalité algérienne et du sens de son évolution historique, le congrès du syndicat national demande l’étude obligatoire de l’arabe et les moyens de réaliser une véritable culture mixte arabe et française ». La deuxième tendance fut exprimée par la motion du SNES dite Guibert2, laquelle met l’accent au congrès de 1955 de la FEN sur le fait « que la lutte des peuples pour la démocratie contre les trusts internationaux passe par la liquidation des vestiges du fascisme dans tous les pays »… « C’est au mouvement ouvrier qui est le plus puissant facteur de paix de soutenir la lutte des démocrates dans le monde entier et en particulier celles des peuples coloniaux pour la liberté et de s’opposer efficacement à la politique des blocs qui serait fatale à la paix mondiale3. Enfin, la troisième tendance est celle du « syndicat des pieds noirs » qui s’exprimera surtout au sein des sections algériennes du SNI et aboutira sur la scission de ce dernier et sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Avec le déclenchement de la guerre de libération en 1954, ces trois tendances vont évoluer. Après 1954, la tendance Guibert met l’accent sur « le fait national algérien » et le « droit à l’indépendance ». Les représentants de l’école émancipée, Gaston Diot et Henri Sarda prônent le fait « d’élire une assemblée constituante souveraine qui décidera du sort et du régime algérien4 ». Lors du congrès de la FEN en novembre 1955, un représentant de l’école émancipée, du nom de Chéramy, exige « une élection au suffrage universel sans distinction de race et de religion d’une assemblée constituante souveraine » qui sera à l’image d’ « une nouvelle république algérienne qui décidera de ses liens avec la France ». Les sections algériennes du SNI, quant à elles, selon Aissa Kadri ont récusé « le caractère

1 Louis Rigaud, Centre Henri Aigueperse, Les cahiers du centre fédéral, op. cit., p. 50-51.

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Guibert fait référence aux partisans de l’adhésion à la CGT depuis 1954.

3 François Blanchard, « Les tendances devant l décolonisation », Série histoire de la décolonisation », dossier n°03, Avril 2000, FSU-IRHESC, cité par Kadri, op.cit.

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local de l’insurrection et le renvoie à des influences internationales ». Dans une motion de la section d’Alger, on insiste sur le fait que « l’évolution des peuples nord africains peut et doit se faire sans mettre en cause le cadre des institutions politiques et de la démocratie française1 ».

La tendance non unanime mais majoritaire du SNI sera « la politique de la table ronde ». Denis Forestier, secrétaire général du SNI au congrès de Bordeaux en juillet 1955 appelle « à l’ouverture d’une conférence de la table ronde groupant les représentants authentiques de toutes les populations sans distinction aucune2 ». Cette motion obtiendra 4121 mandats, celle de Guibert 1736, et celle de l’école émancipée 5763. Durant ce même congrès, Pierre Devallois appelle à un cessez le feu définitif4.

Messali envoie même un télégramme à Forestier de Chantilly pour saluer le congrès qui débuta le 04 septembre 1959 et la position du SNI par rapport à la question algérienne. Lors de ce même congrès qui ne continua qu’avec 1956 à Grenoble, on apprend que le FLN distribuait des tracts à la porte5.

Cette politique fut refusée, non seulement par les partisans de l’Algérie française, mais aussi par le FLN qui voulait être le seul interlocuteur et le seul à négocier en excluant les autres composantes du Mouvement national notamment le MNA. « La politique de la table ronde » fera perdre au SNI la moitié de ses effectifs français. D’autre part, l’évolution des événements notamment la visite de Guy Mollet le 06 février 1956 en Algérie et les manifestations des ultras colonialistes qui l’ont accompagné, a fait que la majorité des instituteurs algériens ont quitté le SNI pour l’UGTA. Du côté français, les sections algériennes du SNI furent les premières à dénoncer ces manifestations. Les sections algériennes du SNI « dénoncent avec force le caractère inadmissible des manifestations d’Alger à l’encontre du président du conseil du gouvernement de la République française, manifestations qui en dernier ressort, peuvent prendre l’allure d’un véritable acte de sécession. Elles soulignent qu’elles se sont toujours efforcées de faire appel dans les graves

1 L’école libératrice, n°25, le 11 mars 1955.

2 Centre Henri Aigueperse, Les cahiers du centre fédéral, n°40, l’école en Algérie coloniale, conformer ou émanciper, op,cit, p. 49

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Guy Brucy, Histoire de la FEN, cité par Aissa Kadri (en collaboration avec Ahmed Ghouati), Instituteurs et enseignants en Algérie coloniale Engagements, op. cit., p. 189-281.

4 L’école libératrice, 28 octobre 1956.

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circonstances que traversent l’Algérie, au sang-froid, à la raison, à la compréhension et à la justice1 ».

La section d’Alger dénonce 2le fait que des écoles furent incendiés pendant la grève de 1956 et rappelle « que par leur action, l’école lieu d’asile, de fraternité, de liberté, d’égalité et ses maîtres se sont efforcés jusque dans le plus humble bled, de faire connaitre l’aspect fondamental de la République et tout en les émancipant, éveiller l’esprit des petits Algériens2».

Les manifestations des lycéennes et étudiantes européennes susciteront la colère des sections algériennes du SNI, une décision qui « s’élève contre l’utilisation par certains universitaires de l’enthousiasme que porte en elle la jeunesse et dénonce l’utilisation d’une adolescence à peine sortie de l’enfance dans des manifestations de rue. Ceux qui agissent sur cette jeunesse portent une lourde et criminelle responsabilité ».

Les sections algériennes du SNI réclameront au ministre résident Robert Lacoste de dispenser les instituteurs de servir dans les unités territoriales (UT) créées par ce dernier pour le contrôle d’identité par les civils français dans le but d’alléger les fonctions de l’armée. Pour préserver leur neutralité, le SNI évoquera le fait que les individus qui seront contrôlés ne sont autres que les parents de leurs élèves.

Certains membres du SNI n’ont pas approuvé les positions du syndicat par rapport à la question algérienne, ils décideront de le quitter et de fonder le Syndicat indépendant des instituteurs(SII) qui maintenait sa position pour l’Algérie française et ce en 1956 à Oran et Constantine un an après. Cela représentait tout de même la moitié des effectifs du SNI algérien qui préserva sa majorité. En dépit de tout cela, Louis Rigaud précise qu’en 1956 malgré la scission du SNI à propos de la fameuse proposition de la table ronde, le SNI préservera sa majorité dans les trois départements aux élections de la commission administrative paritaire départementale (CAPD).

La grève des huit jours des maîtres Algériens décidés par la FLN précipita le départ de beaucoup de membres algériens vers l’UGTA.

Lors de son congrès de Toulouse en 1962, le SNI accueillera les représentants syndicaux des enseignants de l’UGTA et félicitera une nation qui vient de naître.

1Centre Henri Aigueperse, les cahiers du centre fédéral, op. cit, p. 52.

2 Sur les réactions des sections algériennes du SNI à propos de divers événements durant la guerre d’Algérie voir ibid, p. 52.

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En 1962, une décision du SNI, aura pour effet l’exclusion effective d’un instituteur devenu officier (OAS), nommé Sanchez, pour avoir pratiqué la torture en Algérie (décision du bureau national et la section des Pyrénées Orientales1.

En résumé, et comme l’explique Aissa Kadri2, la tendance générale du SNI était la politique de la table ronde qui, à l’origine était la proposition de Messali à Bandoeng. Cette politique se maintient jusqu’aux années 1960. Il y’avait également deux autres tendances, celle de Guibert, une tendance cégétiste qui regroupait des Algériens syndiqués ou non (Boualem Khalfa, Guerroudj Abdelkader, Gaid Mouloud, Aissa Baiod… qui étaient pour la négociation avec les représentants du mouvement national). En 1957, une motion dite Guibert Petite est votée pour le droit à l’indépendance des Algériens. La seconde tendance est celle de l’école émancipée (anarcho-syndicaliste et trotskiste3) qui était pour le droit à l’auto-détermination dès 1955 et pour l’indépendance comme droit imprescriptible au congrès de Paris en 1957. Enfin la scission de 1957, qui aboutira sur la création du SII, syndicat des Pieds noirs qui éditera L’École Française, dont beaucoup de ses membres se fasciseront et deviendront membres de l’OAS.

La position du SNI vis-à-vis du FLN : Selon le témoignage de Louis Rigaud, le SNI

considérait que le FLN était radical dans ses positions. Cependant, il n’y avait jamais eu de dépassement de la part de ce dernier vis-à-vis du SNI, ni « d’exaction » ; l’affaire Paul Dupuy4 en est une preuve. Ce dernier directeur, à Souk el Khemis a été détenu pendant sept jours par le FLN pour avoir été accusé d’être un agent de renseignement de la police et de l’armée. Durant septembre 1955, la buanderie de son école a été le lieu d’interrogations effectuées par les services de la sureté française, dont il n’a pas informé le public (n° 21 de l’école libératrice, le 24 févriers 1956 « L’école laïque au cœur du drame algérien »). Au cour de sa détention, il n’a jamais été persécuté, le SNI parle de relations de respect et de considération avec le FLN. Mais au cour de cette affaire le SNI déclare qu’il conteste aussi bien contre « les méthodes que nous reprochions à la Gestapo que les méthodes employées par les Fellaghas. » Suite à l’affaire Dupuy 42 écoles furent incendiées en dix jours et le repliement de 150 instituteurs de Kabylie ainsi que la fermeture d’un grand nombre

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Centre Henri Aigueperse, les cahiers du centre fédéral, op,cit., p. 49.

2 Entretien avec El Watan, publié le 15 mars 2008.

3 Anarcho- syndicaliste fait référence au sein du mouvement ouvrier courant à l’hostilité aux partis politiques et à l’Etat, voulant préserver la pureté révolutionnaire du prolétariat par le recours à la grève générale (George Sorel) ou à d’autres formes d’actions violentes, les rédacteurs de la charte d’Amiens (1901) s’inspirèrent de ces principes. Gilles Ferréol, Dictionnaire de Sociologie, Paris, Armand Colin, 2ème éd 2004, p. 03.

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d’écoles. Dennis Forrestier contactera le FLN à propos de l’enlèvement d’enseignants français entre autre de Maxime Picard, qui le fut par erreur et sera relâché par la suite. Le « syndicat des Pieds noirs »usera de cet événement comme preuve que les responsables du SNI sont des anti-Français parce qu’ils ont des contacts avec le FLN.

II.7. La section du SNI d’Oran et sa position vis-à-vis de la Guerre de