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CHAPITRE 1 : INTRODUCTION GÉNÉRALE

1.7 Position du problème, objectifs et structure de la thèse

En somme, la MA et l’APPvs sont deux syndromes neurodégénératifs caractérisés par une altération précoce et centrale de la MS. Si les profils comportementaux qui en découlent ont fait l’objet de plusieurs études, les corrélats neurofonctionnels de cette altération sémantique demeurent à ce jour sous-étudiés et méritent une investigation plus approfondie. Or, la compréhension de la dynamique cérébrale associée au traitement sémantique dans un contexte de vieillissement pathologique caractérisé par une atteinte centrale en MS s’avère d’autant plus importante que le bon fonctionnement de ces habiletés cognitives est étroitement lié à la qualité de vie dans les activités de la vie quotidienne (p. ex. communication, prise de décision, etc.). Dans un premier temps, cette démarche permettrait de mieux comprendre les mécanismes cérébraux qui agissent face à l’avancée de la maladie. Dans le contexte d’une atteinte neurodégénérative comme la MA, ces changements neurofonctionnels pourraient possiblement être indicateurs de l’installation d’un processus pathologique avant même l’émergence d’altérations structurelles significatives, leur conférant un intérêt face à l’établissement d’un diagnostic précoce. Dans le cas de syndromes où l’atteinte du réseau sémantique est franche, centrale et relativement circonscrite, tel que dans l’APPvs, ces patrons d’activation fonctionnelle pourraient alors être informatifs de la potentialité du réseau sémantique à se réorganiser en déployant des mécanismes compensatoires, lesquels pourraient éventuellement être mis à profit dans un objectif de rééducation. Par surcroit, cette investigation permettrait de documenter les ressemblances et les différences qui existent entre ces deux maladies distinctes, au cœur desquelles on observe néanmoins une détérioration progressive des connaissances.

Conséquemment, les articles qui composent cette thèse ont comme objectif principal de caractériser les patrons d’activation fonctionnelle (in vivo) associés au traitement sémantique dans ces deux syndromes neurodégénératifs. Cela permettrait d’identifier les structures cérébrales impliquées dans les mécanismes de compensation dans le contexte d’une atteinte centrale de la MS. Or, l’IRMf, qui a été la méthode privilégiée dans les quelques études réalisées

à ce jour pour investiguer la dynamique cérébrale du traitement sémantique auprès de ces deux populations cliniques, présente certaines limites. Dans cette optique, notre choix s’est arrêté sur la magnétoencéphalographie (MEG) comme outil d’investigation de la MS. Cette technique d'imagerie cérébrale non invasive permet d’enregistrer les champs magnétiques générés par l'activité électrique corticale ; en plus de sa bonne résolution spatiale, sa résolution temporelle est de l’ordre de la milliseconde, ce qui la rend nettement supérieure à celle de l’IRMf qui est plutôt de l’ordre de la seconde (Hari, Levänen, & Raij, 2000). Cette excellente résolution temporelle permet d’étudier avec une grande précision le décours temporel (chronométrie) qui sous-tend certains aspects du fonctionnement cérébral. Elle constitue ainsi la méthode de neuroimagerie de choix pour investiguer la dynamique cérébrale fine associée au traitement sémantique (N400), laquelle s’échelonne en grande partie sur les quelques centaines de millisecondes qui suivent la présentation d’un stimulus. En plus de constituer une mesure directe de l’activité corticale, la MEG présente également un avantage majeur lors de l’enregistrement de l’activité des pôles temporaux (LTA), puisque contrairement à l’IRMf, le signal enregistré en MEG ne subit pas de réduction ou de distorsions liées aux cavités sinusales.

La première étude (article 1) a ainsi comme objectif de documenter les substrats cérébraux qui sous-tendent les troubles sémantiques dans le TCLa, au moyen d’une épreuve de catégorisation sémantique de visages célèbres. Bien que non-validée formellement, une étude pilote comportementale réalisée auprès d’un petit groupe de personnes âgées (n = 10) a permis de s’assurer d’un bon niveau de familiarité par rapport aux noms des personnes célèbres sélectionnées. Celles-ci avaient par ailleurs acquis leur statut de célébrité à différentes époques (entre 1930 et 2010). Cette étude permettra de mieux comprendre le fonctionnement du réseau cérébral sémantique chez cette population clinique. Plus spécifiquement, elle vise à déterminer s’il existe des modifications dans l’activation neurofonctionnelle qui se manifestent au sein de ce réseau, mais aussi au sein de réseaux cérébraux alternatifs, reflétant possiblement le déploiement de mécanismes compensatoires. Un objectif secondaire sera aussi d’étudier si les patrons d’activation fonctionnelle en lien avec le traitement sémantique sont en lien avec les patrons d’atrophie cérébrale. Cette étude dans son ensemble permettra de mieux caractériser des marqueurs neurobiologiques et neuropsychologiques du déclin de la MS dans le stade prodromal de la MA. Sur la base des données existantes dans la littérature, nous faisons l’hypothèse qu’en

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comparaison à des contrôles âgés, la MEG permettra de mettre en évidence des altérations dans l’activité cérébrale associée au traitement sémantique chez les patients TCLa. Plus précisément, nous faisons l’hypothèse d’une perturbation du traitement sémantique, reflétée par une réduction de l’effet N400 chez les patients, et accompagnée d’un dysfonctionnement dans l’activation cérébrale au sein de régions clés du réseau sémantique, telles que la région temporale antérieure (LTA), le CPI et la région temporopariétale. Ce patron pourrait ainsi refléter une atteinte qui touche à la fois le système représentationnel (« hub ») et les processus contrôlés en MS. Sur le plan comportemental, nous faisons l’hypothèse que les troubles sémantiques observés chez les patients TCLa se traduiront par une performance plus faible et une augmentation significative des temps de réponse à la tâche de catégorisation en comparaison aux contrôles.

La seconde étude (article 2), vise quant à elle à mieux comprendre les bases cérébrales du traitement sémantique résiduel, dans le contexte d’une atteinte significative mais sélective de la MS, à travers l’étude de cas d’une patiente atteinte d’APPvs. Plus spécifiquement, au moyen d’une épreuve de catégorisation d’objets (biologiques et manufacturés), cette étude permettra de mettre en lumière les structures cérébrales du réseau sémantique i) qui permettent un traitement sémantique général, au détriment d’un traitement plus spécifique, et ii) qui sont recrutées afin de compenser l’atrophie bilatérale des lobes temporaux antérieurs caractéristique de cette maladie. La tâche comportementale employée n’ayant pas fait l’objet d’une étude de validation, certains critères ont néanmoins guidé la sélection des stimuli. Ceux-ci ont ainsi été choisis et appariés en fonction de la fréquence lexicale du mot correspondant à l'image, ce qui a permis de s’assurer que chacune des catégories était composée d’items de fréquences variées, et avait la même fréquence lexicale moyenne. Cette étude permettra de mieux comprendre les régions au sein du réseau sémantique, ou au sein de réseaux cérébraux alternatifs, qui permettent d’assurer un traitement sémantique résiduel dans l’APPvs. Nous faisons ainsi l’hypothèse d’une performance amoindrie chez la patiente APPvs en comparaison aux contrôles sains, laquelle se manifesterait par un taux d’exactitude diminué et des temps de réaction augmentés lors de l’épreuve de catégorisation. En lien avec cette performance altérée, nous faisons également l’hypothèse d’une perturbation dans la composante N400, reflétée par une réduction de l’effet N400 chez la patiente et par des patrons anormaux d’activité fonctionnelle dans les régions-clé du réseau sémantique (y compris le LTA, le CPI et la région temporopariétale). Notamment, étant donné l'atrophie marquée des LTA dans l’APPvs, nous faisons l'hypothèse que d'autres

régions du réseau sémantique seront davantage activées chez la patiente, reflétant une tentative de compensation fonctionnelle afin d’assurer un traitement sémantique résiduel.

En outre, au-delà des nombreuses différences relatives à la nature de l’atteinte sémantique dans la MA et l’APPvs, l’objectif de cette thèse est d’étudier s’il existe des processus cérébraux compensatoires et de réorganisation cérébrale communs à ces deux maladies. Grâce à des paradigmes semblables, et en utilisant une même méthodologie, cette thèse permettra de déterminer s’il existe des mécanismes de plasticité cérébrale communs dans ces deux maladies neurodégénératives du cerveau en lien avec la détérioration sémantique.