• Aucun résultat trouvé

Le portrait de la femme de Calvin

{Planche XV, b.)

EPUIS longtemps on cherche un portrait de la femme de Calvin, Idelette de Bure, et dans notre troisième volume de Jean Calvin d, nous avons donné le résultat négatif de nos efforts pour retrouver le portrait signalé par l'historien Henry (Das Leben Johann Calvins, ein Zeugniss für die

Wahrheit, 1846), et qui se trouvait, disait-il, dans une église sur les bords du Rhin.

En 1907, l'existence, au Musée de Douai, d'un portrait d'ïdelette de Bure fut signalée à M. N. Weiss, qui en publia dans le Bulletin une reproduction, avec une étude très erudite 2.

Il s'agit d'une peinture sur bois du seizième siècle (L. 0,27, H. 0,34), avec deux inscriptions contemporaines de la peinture, l'une sur la peinture même, l'autre au dos : femme de Jan Calvein.

Le tableau fait partie d'un legs laissé par le Dr Escallier au Musée de Douai, en 1857. Cette pein-ture « n'est pas très remarquable », au dire de l'ancien directeur du Musée, M. Gosselin, et a été faussement attribuée à Cranach.

La question est celle-ci : Cette image est-elle l'image d'ïdelette ? M. N. Weiss répond : « Il est évidemment impossible de répondre catégoriquement à cette question. Tout ce qu'actuelle-ment on peut demander à ce docuqu'actuelle-ment, — car c'en est un, — c'est que rien ne s'oppose à ce qu'il prétend être. »

Et voici les explications de notre auteur :

Le vêtement de velours brodé de boutons dorés, la coiffure, le demi-cercle en argent retenant le voile noir, la collerette, le collier composé de perles en argent réunies par des ornements dorés, la chaîne dorée, les manchettes de soie blanche recouvertes de gaze retenue au poignet par des bracelets d'or, indiquent « incontestablement » une femme « de la bonne bourgeoisie ou même de la noblesse. » — M. Max Rooses, conservateur du Musée Plantin, à Anvers, précise :

« C'est bien la toilette des femmes belges ou liégeoises de la seconde moitié du seizième siècle. Les manches en tulle forment un détail exceptionnel, mais tout le reste se rétrouve dans le costume

1. Jean Calvin, III, p. 740, 741.

2. N. Weiss, Un portrait de la femme de Calvin, 1907. (Extrait du Bulletin de la Société de thistoire du protestantisme français, mai-juin 1907.)

ICON. CALV. 12

9 0 APPENDICES

des femmes de notre pays à cette époque. Le rang de la jeune dame est bien celui de la haute bourgeoisie ou de la petite noblesse. »

Idelette de Bure fut épousée par Calvin à Strasbourg en 1540 : elle était veuve de Jean Stor-deur, « natif du Liège », disent Bèze et Colladon. Et comme à Liège il y avait des Bure depuis le seizième siècle, on pense qu'Idelette était de la même ville que son mari.

Or on a produit quelques documents parlant d'une sorte d'insurrection à Liège, insurrection sociale dite « des Rivageois », 1531, et dans laquelle des Stordeur avaient joué un rôle actif. C'était un mouvement anabaptiste. Trois fils d'un Jean de Stordeur furent condamnés à faire amende honorable : un quatrième fils, Jean, et une fille « avaient sans doute pu s'enfuir à temps. C'est ce Jean qui semble avoir été le premier mari d'Idelette de Bure. » — D'un autre côté, on peut supposer, mais non affirmer qu'Idelette était fille ou parente d'un Lambert de Bure, banni égale-ment pour hérésie, 1533.

Cette série de suppositions est en effet plausible.

Enfin nous rencontrons en 1537, à Genève, un anabaptiste : « Jean Tordeur, du Liège, » qui discuta avec Calvin, et qu'on identifie avec le Jean Stordeur dont nous venons de parler. — Et encore une fois si rien de tout cela n'est certain, rien n'est impossible. On peut admettre cette série de suppositions.

Mais il y a deux difficultés :

i° Ces anabaptistes appartenaient-ils à la haute bourgeoisie, ou même à la noblesse ? Etaient-ils dans une situation qui leur permît de se faire portraiturer dans un costume si opulent ? Nous apprenons que les Stordeur, dont il est question, n'étaient pas les premiers venus, puisqu'ils avaient une maison donnée en préciput à un enfant. Mais c'est tout. — Quant aux anabap-tistes bannis avec Lambert de Bure, ils étaient, l'un verrier, l'autre cordonnier (?), un troisième menuisier.

Et enfin nous savons positivement que « Jean Tordeur », l'anabaptiste qui discuta à Genève en 1537, était « tornier, du lyège », c'est-à-dire tourneur. — Que ces anabaptistes fussent des arti-sans ayant plus ou moins de bien, c'est possible : mais rien n'autorise à supposer qu'ils apparte-naient à la haute bourgeoisie, voire à la noblesse.

Du reste, M. N. Weiss lui-même dit que le mouvement dit « des Rivageois », auquel des Stordeur et des de Bure furent mêlés, était « assez analogue à celui des paysans. » — Il n'est vraiment pas très vraisemblable que parmi ces paysans il y eût de hauts bourgeois et des nobles.

2° La seconde difficulté est plus grande encore. — Il s'agirait d'un portrait d'Idelette fait alors qu'elle était à Liège, au sein de l'opulence, avant qu'elle s'enfuit, dépouillée de ses biens, soit avec ses parents, soit avec son mari, vers 1531 ou 1533 (le tout par supposition, naturelle-ment) : « On peut supposer, par exemple, que le portrait a été peint lorsque la personne qu'il représente quitta ses parents et que l'inscription y fut ajoutée lorsqu'on apprit qu'en secondes noces elle avait épousé le Réformateur. » — L'inscription ne serait donc pas de l'auteur du portrait : et aurait été ajoutée on ne peut savoir quand ni par qui, mais peut-être à une époque plus ou moins rapprochée qu'on appelle « contemporaine » i.

I. C'est sans doute dans ce sens qu'il faut entendre l'affirmation précédente : « L'indication du sujet

LE PORTRAIT DE LA FEMME DE CALVIN 9 1

Or, en 1531 ou 1533, on était dans la première moitié du seizième siècle, presque dans le premier quart, et le costume date de la seconde moitié du seizième siècle, du troisième quart.

Déjà M. Max Rooses (voir plus haut) dit « toilette de la seconde moitié du seizième siècle. » Pour nous renseigner exactement, nous avons consulté les autorités les plus compétentes. Aux Estampes (Bibliothèque nationale de Paris), M. le conservateur et deux autres spécialistes, en voyant le portrait, et ne sachant de quoi il s'agissait, nous ont dit sans hésiter : Costume de la fin du règne de Henri II, — vers 1560.

Je me suis adressé à Amsterdam à mon honorable ami, M. le professeur Rutgers, le profes-seur d'histoire ecclésiastique si compétent pour tout ce qui touche aux questions huguenotes. Voici sa réponse (12 nov. 1908) :

« J'ai eu tout d'abord l'impression que l'inscription « femme de Jan Calvein » ne peut pas être exacte. » Et dans le même sens s'est exprimé M. E. W. Moes, directeur du Musée des Estampes. Pourtant il a voulu encore étudier le costume plus minutieusement, et faire des recher-ches dans ses collections. J'ai reçu de lui, la semaine passée, une lettre que je traduis littérale-ment : « Je viens vous confirmer ce que vous avez déjà présumé, c'est-à-dire que la dame dont vous m'avez montré le portrait photographié ne peut aucunement représenter la femme de Calvin.

Il serait déjà singulier de la voir dans un tel habillement ; mais il est tout à fait inadmissible qu'une femme se soit parée d'un costume qui ne devait être en usage que plus tard. Or Idelette de Bure est décédée le 31 mars 1549, et le portrait en question présente une dame passablement jeune, de la haute société, d'environ 1560 à 1565. La mode des manches inférieures, transpa-rentes sur les avant-bras nus, ne permet pas de s'éloigner beaucoup de la période nommée. On peut se servir pour type de comparaison d'un portrait d'Emilie Walburg, comtesse de Maurs, la femme du comte de Hoorne, décapité en 1568, portrait dont l'original se trouve à Chantilly, et dont une photographie est au Musée d'Amsterdam. »

Il nous est donc difficile d'accepter comme vraiment authentique le portrait d'Idelette.

Mais nous ajoutons que le portrait est intéressant, et que (sauf le costume) on peut, si l'on veut, se représenter avec une physionomie de ce genre la femme de Calvin, la femme distinguée, d'élite {lectissima femina), probe, honnête, et même belle (adde eliatn formosa), qui fut si simple, si douce, si fidèle et si constante.

Déjà Le Huguenot, du Ier novembre 1907, a reproduit ce portrait et l'a mis sous les yeux de ses lecteurs. — En ce moment, le comité de la Société d'histoire du protestantisme belge, à l'occasion du quatrième centenaire de Calvin, fait exécuter une copie, qui sera offerte à la ville de Liège. — On a créé des légendes moins inoffensives.

est contemporaine de la peinture et consiste en deux inscriptions de couleur jaunâtre, qui paraissent de la même main. » Dans une lettre particulière, M. N. Weiss a bien voulu ajouter : « L'inscription peut fort bien avoir été mise par un membre des familles Stordeur ou de Bure, auquel appartenait ce portrait. »

Documents relatifs