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Chapitre 1 ‒ Bibliographie

1.4 Les latex sans tensioactif moléculaire

1.4.2 La polymérisation radicalaire contrôlée

La polymérisation radicalaire classique est largement utilisée au niveau industriel. Le procédé est tolérant vis-à-vis des impuretés, compatible avec l’eau, relativement simple à mettre en œuvre à grande échelle, et fonctionne avec un nombre important de monomères.[92] Cependant, il ne permet généralement pas d’accéder à des macromolécules d’architecture contrôlée. Le développement de la polymérisation radicalaire contrôlée (PRC) au cours des deux dernières décennies permet aujourd’hui de pallier cette limitation en accédant à une maitrise importante de la structure et de la composition des polymères.[93]

Nous allons donc décrire les caractéristiques générales de la PRC pour comprendre comment cette dernière permet de synthétiser des polymères bien définis en termes de masse molaire, de distribution de masses molaires, de composition chimique et d'architecture.

1.4.2.2 Principe

Le principe de la PRC repose sur l’ajout d’un agent de contrôle permettant d’établir un équilibre entre la forme propageante du polymère (les radicaux qui sont les espèces actives) et leur forme désactivée (espèce dormante) (Figure 1.13). L’équilibre est fortement déplacé vers les espèces dormantes ce qui permet de diminuer la concentration instantanée en radicaux et ainsi de limiter les réactions de terminaison et de transfert irréversibles.[20] Les critères attendus et les différentes techniques de PRC ont été à maintes reprises décrits dans la littérature ; pour en comprendre les principes et les enjeux, les revues suivantes peuvent être consultées : [20, 94-99].

Figure 1.13 ‒ Schématisation de l’équilibre d’activation-désactivation en polymérisation radicalaire contrôlée.

1.4.2.3 La polymérisation RAFT

Le concept de polymérisation par transfert de chaîne réversible par addition-fragmentation (RAFT pour Reversible Addition-Fragmentation chain Transfer) a été découvert en 1998 par une équipe du CSIRO (l’équivalent australien du CNRS - Commonwealth Scientific and Industrial Research

Organisation) dirigée par Ezio Rizzardo.[100] Le procédé de la polymérisation par RAFT repose sur

l’introduction d’un composé thiocarbonylthio (agent de transfert, Figure 1.14) dans un système de

+

+ M

espèce active agent de contrôle

polymérisation radicalaire conventionnel (amorceur + monomère). C’est cette molécule qui permet d’établir la réaction de transfert réversible par addition-fragmentation entre les espèces actives (radicaux en croissance) et dormantes. Le procédé connu sous le nom de MADIX (pour MAcromolecular Design via the Interchange of Xanthates) ayant un mécanisme strictement équivalent à celui de la RAFT a été découvert par Rhodia au même moment et utilise un xanthate (Z = O-alkyle) comme composé thiocarbonylthio.[101]

Figure 1.14 – Structure des composés thiocarbonylthio.

Mécanisme

Le mécanisme général d’une polymérisation par RAFT présenté à la Figure 1.15 reprend les étapes d’une polymérisation radicalaire conventionnelle (amorçage, propagation, terminaison) auxquelles viennent s’ajouter les réactions de transfert réversible induisant un équilibre entre les chaînes actives et dormantes.

Les radicaux (Ay) issus de la décomposition de l’amorceur vont propager en présence de monomères M pour créer des oligoradicaux. Ces derniers vont venir s’additionner sur la liaison réactive C=S de l’agent de transfert (1) pour former un radical intermédiaire (2). La fragmentation de la liaison S-R conduit ensuite à l’obtention d’un macro-agent de transfert (3) et à la libération d’un radical Ry qui peut lui aussi propager et s’additionner sur le macro-agent de transfert. Lorsque la totalité de l’agent de transfert a été consommée, l’équilibre principal qui consiste en un échange rapide et réversible entre les espèces propageantes et dormantes (porteuses du motif thiocarbonylthio) s’établit. Cette étape d’équilibre est la clé de la polymérisation par RAFT. Elle permet aux chaînes du polymère de croître à la même vitesse et d’obtenir une distribution étroite des masses molaires.

La concentration en agent RAFT est généralement très supérieure à la concentration en amorceur pour que la proportion de chaînes issues de ce dernier (et par conséquent non contrôlées) soit négligeable.[21] Ainsi, les réactions de terminaison irréversible sont négligeables et la plupart des chaînes se trouvent sous la forme dormante avec le groupement R à une extrémité et la fonction thiocarbonylthio à l’autre.

Figure 1.15 – Réactions impliquées dans une polymérisation de type RAFT.[99]

La réactivité d’un couple agent RAFT / monomère peut être discutée en fonction de deux constantes de transfert définies à la Figure 1.16 : la constante Ctr1 associée au pré-équilibre (couple agent RAFT / monomère ; ܥ–”ͳൌ ݇–”ͳΤ ) et la constante C݇’ tr2 associée à l’équilibre principal (couple macro-agent RAFT / monomère ; ܥ–”ʹൌ ݇–”ʹΤ ).݇’ [102] Ctr1 influe sur l’évolution linéaire du degré de polymérisation moyen en nombre (DPn) avec la conversion. Si cette constante est suffisamment grande, les masses molaires moyennes en nombre (Mn) sont calculables par la formule théorique développée à l’Equation 1.4. Ctr2 conditionne la vitesse d’échange entre espèces actives et dormantes et par conséquent la distribution (la dispersité, Đ) des masses molaires. Un bon contrôle de la polymérisation est obtenu lorsque ces deux constantes sont élevées.

Figure 1.16 ‒ Définition des constantes de transfert Ctr1 et Ctr2.

ܯ

–Š

ൌ ሾሿ

Ͳ

ሾ ሿ

Ͳ

ൈ…‘˜ൈሺሻ൅ሺ ሻ

Equation 1.4

Avec

ܯ

–Š La masse molaire moyenne en nombre théorique (g mol-1) [M]0 La concentration initiale en monomère M (mol L-1)

[RAFT]0 La concentration initiale en agent RAFT (1) (mol L-1)

conv La conversion en monomères (sans dimension)

MW La masse molaire (g mol-1)

L’agent de transfert

Le choix de l’agent de transfert par rapport au(x) monomère(s) à polymériser est également important. La nature des groupements R partant et Z activateur est déterminante pour le succès du contrôle de la polymérisation.[102, 103] En effet, ils peuvent être choisis de façon à moduler la réactivité de la double liaison carbonylthio (C=S) et la stabilité du radical intermédiaire. Selon la nature du groupement Z, on distingue plusieurs classes d’agents RAFT : les dithioesters (Z = R’), les dithiocarbamates (Z = N(R’)R’’), les dithiocarbonates (xanthates) (Z = OR’) et les trithiocarbonates (Z = SR’).

Le groupement R influence l’étape de fragmentation du radical intermédiaire. Il doit être un bon groupe partant par rapport à la chaîne polymère en croissance qui vient s’additionner sur la liaison C=S. Cependant, le radical Ry ne doit pas être trop stable afin de pouvoir réamorcer de nouvelles chaînes de polymères. L’efficacité des groupes R suit l’ordre tertiaire > secondaire > primaire.

Le groupement Z influence la stabilité du radical intermédiaire (2 et 4) (Figure 1.15) et est choisi comme activateur de la liaison C=S. Ainsi, un groupe électro-attracteur ou permettant la délocalisation des électrons π de la liaison C=S facilite l’addition de radicaux sur cette dernière. Enfin le radical intermédiaire formé doit avoir une stabilité adaptée pour permettre la libération de Ry par fragmentation. Il faut noter que l’augmentation du caractère électro-attracteur du groupe Z accroit la sensibilité de l’agent RAFT aux réactions d’hydrolyse par exemple.[104]

Enfin, il est nécessaire de considérer les effets combinés des groupements R et Z de l’agent RAFT en fonction du monomère employé dans la polymérisation.

Les monomères peuvent être classés en deux catégories selon leur capacité à réagir dans un procédé radicalaire.[102] Les MAM (pour More Activated Monomers en anglais) comme le styrène, la vinyl-pyridine, les acrylates, l’AN et les méthacrylates sont des monomères qui réagissent plus rapidement avec des radicaux que les LAM (pour Less Activated Monomers en anglais) comme l’acétate de vinyle (AcV), la N-vinylpyrrolidone (NVP) et le N-vinylcarbazole (NVC). La réactivité des macroradicaux correspondants est opposée à la classification des monomères. En effet les macroradicaux ayant une unité terminale MAM comme le MAMe (Figure 1.17 – a) sont plus stabilisés et donc moins réactifs que les macroradicaux ayant une unité terminale LAM comme l’AcV (Figure 1.17 – b).

(a) (b)

Figure 1.17 ‒ Macroradicaux ayant une unité terminale MAMe (a) et AcV (b).

La polymérisation des MAMs est généralement bien contrôlée par des agents RAFT activés (c’est-à-dire ayant une Ctr importante) comme les dithioesters, les dithiobenzoates ou les S-alkyl trithiocarbonates car ils permettent d’établir un équilibre d’addition-fragmentation rapide par rapport à la propagation. Dans le cas des LAMs, des agents RAFT moins réactifs tels que les O-alkyl xanthates ou les N-alkyl-N-aryle dithiocarbamates sont plus indiqués. En effet avec l’utilisation d’agents RAFT très réactifs, une complète inhibition de la polymérisation peut avoir lieu, la vitesse de propagation étant largement inférieure à celle de l’équilibre d’addition-fragmentation.

En synthétisant les données de la littérature, Moad et coll. ont réalisé un excellent tableau permettant de sélectionner le bon agent RAFT (groupements R, Z) en fonction du monomère à polymériser.[99] De même Keddie et coll. ont classifié l’efficacité des agents RAFT suivants leur groupement R et Z (Figure 1.18).[102]

Figure 1.18 ‒ Efficacité des agents RAFT selon le type de groupements Z et R. Adapté à partir de D.

J. Keddie, G. Moad, E. Rizzardo, S. H. Thang, Macromolecules 2012, 45, 5321.[102]

Ces considérations rendent la recherche d’agents RAFT universels pouvant contrôler les polymérisations de tous les monomères très attractive. L’idée proposée par Coote et coll. repose sur l'introduction d'un atome de fluor comme groupement Z.[105, 106] Le pouvoir électroattracteur du fluor déstabilise les radicaux intermédiaires (2 et 4 Figure 1.15) favorisant leur fragmentation. Il permet aussi d’accroitre la réactivité de la double liaison C=S envers les additions radicalaires. Cependant ce type d’agent RAFT n’a été utilisé que pour tenter de contrôler la polymérisation du styrène[107] et de l’éthylène,[108] probablement car leur synthèse n’est pas aisée.

Depuis 2011, une nouvelle classe d’agents RAFT modulables, sensibles au pH, a émergé avec l’objectif de pouvoir contrôler à la fois la polymérisation des MAM et des LAM.[109] Ces composés (Figure 1.19) ont été proposés par l’équipe australienne de Moad, Rizzardo, Thang, Keddie et coll. et ont permis de contrôler la polymérisation du styrène, de l’AcV, du NVC, de la NVP, de l’AMe, de l’ABu et du MAMe avec succès.[110-114]

Dithioesters Trithiocarbonates Dithiocarbamates Xanthates Méthacrylates Méthacrylamides Acrylates α-substitués Styréniques Acrylates

Acrylamides vinyliquesEsters

ac niq ryla ste

Dithiobenzoates

Z

Stabilisation/encombrement du radical propageant

Fragment radical Rytertiaire

Fragment radical Ryprimaire

Avec substituant(s) stabilisant(s)

Fragment radical Rysecondaire Styréniques Acrylates Acrylamides Esters vinyliques

niq ryla ste

R

Stabilisation/encombrement du radical propageant Méthacrylates

Méthacrylamides Acrylates α-substitués

Avec substituant(s) stabilisant(s)

Figure 1.19 ‒ Agent RAFT de type dithiocarbamate de réactivité modulable selon le pH.

Adapté à partir D. J. Keddie, Chem. Soc. Rev. 2013, 43, 496[109] avec la permission de la Royal Society of Chemistry.

La forme pyridinium de l’agent RAFT étant moins réactive, elle permet de contrôler la polymérisation des MAMs, puis en se déplaçant vers la forme pyridine activée avec l’ajout d’une base, c’est le contrôle de la polymérisation des LAMs devient efficace. Ces agents RAFT permettent par ce biais de synthétiser de manière contrôlée des copolymères à blocs poly(MAM)-b-poly(LAM) suivant le schéma de la Figure 1.20. Il faut cependant souligner la limitation de cette technique. En effet les macroradicaux dérivés des blocs poly(LAM) sont de mauvais groupe partant R vis-à-vis de la polymérisation des MAM. Par conséquent, le bloc poly(MAM) doit être polymérisé en premier et un nouveau changement de l’agent RAFT avec le groupe Z sous sa forme pyridinium ne permettra pas d’ajouter un troisième bloc poly(MAM) à la suite du bloc poly(LAM). De plus, la nécessité de modifier le pH pour obtenir l’agent RAFT avec une réactivité adaptée limite le choix des solvants et peut poser problème pour les monomères acides, basiques ou sensibles au pH.

Figure 1.20 ‒ Synthèse de copolymères diblocs poly(MAM)-b-poly(LAM) via un agent RAFT de type dithiocarbamate de réactivité modulable selon le pH.

Adapté à partir D. J. Keddie, Chem. Soc. Rev. 2013, 43, 496[109] avec la permission de la Royal Society of Chemistry.

Nous avons vu dans ce qui précède que la polymérisation RAFT est une technique de polymérisation radicalaire contrôlée extrêmement polyvalente. Le paragraphe suivant s’attache à présenter de quelle façon la RAFT et les autres techniques de PRC ont pu être adaptées en polymérisation en émulsion et comment elles ont permis la synthèse de latex auto-stabilisés sans tensioactif classique.

1.4.3 La polymérisation radicalaire contrôlée en émulsion

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