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Chapitre II : Approche méthodologique et réflexive

II.3. Politique du terrain

Toute enquête de terrain nécessite de la part du chercheur d’opérer des choix. Entre les exigences méthodologiques et les exigences du terrain, le chercheur doit pouvoir trouver le juste milieu. Comme le dit bien Patrick Cohen, « le terrain commence à domicile et il accompagne l’anthropologue dans ses déplacements. Cela peut être envisagé comme une véritable manne pour le chercheur soucieux d’engranger des témoignages, des regards différents sur la question » (2004 : 77). Mon terrain a commencé à partir de mon réseau de connaissances. J’ai commencé par rencontrer des femmes dans mon entourage. Auprès de ces dernières, j’ai demandé à rencontrer d’autres femmes de leur cercle de sociabilité. Cette méthode dite « boule de neige » m’a permis de rencontrer l’ensemble des femmes qui constituent mon échantillon. Ce choix avait pour but de limiter l’artificialité des moments d’entretiens, mais aussi de rassurer les femmes sur le fait que je n’étais pas une grande inconnue et que nous avions en commun une connaissance. L’ami(e) de mon ami(e) est mon ami(e) et être connue d’un tiers signifie déjà l’existence d’un lien. L’accès à ces femmes passait par la négociation préalable d’un contrat tacite (Abélès, 2004). Leur adhésion à mon projet de recherche passait d’abord par une confiance en la personne intermédiaire qui m’avait elle-même accordé sa confiance. Cette adhésion était perçue, en mon sens, comme un

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Il est important de noter qu’une grande majorité des personnes vivant à Ouagadougou s’expriment en français qui est en passe de devenir une langue de commerce.

service rendu tantôt à une amie, tantôt à un collègue ou à un parent qui ne leur enverrait pas une personne en qui ils n’ont pas confiance. Le fait d’être là par recommandation m’a aidé à rencontrer diverses catégories de femmes et à partager certains des secrets de vie de couple qui m’aurait été très difficile d’accès, si j’avais abordé les femmes dans la rue.

En fonction du statut de chaque femme, j’ai dû m’adapter à ses exigences. Certaines femmes ont tout de suite accepté de discuter avec moi dès la première rencontre, et pour d’autres, il a fallu fixer un autre rendez-vous. Pour les femmes qui travaillaient dans le secteur formel, elles me donnaient rendez-vous à la fin de la journée après le service. D’autres préféraient me recevoir les week-ends où elles étaient libres de toutes contraintes professionnelles. Pour celles exerçant dans le secteur informel, la plupart de nos rencontres ont eu lieu sur leurs lieux de commerce ou à leur domicile si les deux sont à proximité. Les femmes rencontrées sur leurs lieux de travail ont aussi été vues à leur domicile pour connaître leurs conditions matérielles d’existence et éclairer les données recueillies. Certaines femmes choisissaient de s’entretenir avec moi dans leur salon, pièce à vivre par excellence où peuvent se retrouver d’autres personnes dont la présence n’était pas sans effet sur le déroulement et la qualité de l’entretien. D’autres femmes préféraient qu’on s’installe sur la terrasse, à l’extérieur, pour mener l’entretien quand des personnes étaient présentes au salon.

3.1. Méthodologie développée et mise en acte

L’enquête de terrain en anthropologie ou ethnologie repose sur quatre formes de productions de données que sont : l’observation participante (l’insertion prolongée de l’enquêteur dans le milieu de vie des enquêtés), l’entretien (les interactions discursives délibérément suscitées par le chercheur), les procédés de recension (le recours à des dispositifs construits d’investigation systématique) et la collecte de sources écrites (Olivier de Sardan, 1995, 2005).

A. L’observation

J’ai mis à profit mon vécu quotidien dans cette ville (depuis plus de dix ans) pour observer et interagir avec des femmes dans leur ménage. J’ai rendu visite à toutes les femmes qui ont été rencontrées dans le cadre de cette étude pour non seulement observer leur cadre de vie, mais aussi voir leurs charges de travail. J’espérais pouvoir assister à la présence d’autres personnes de la famille comme les sœurs de la femme ou/et du conjoint et les servantes (les bonnes). Cependant, lorsque j’appelais les femmes pour les prévenir de mon arrivée dans leur ménage,

elles interrompaient leurs activités pour me recevoir et par moment il m’était difficile de voir les servantes ou encore les « petites bonnes » comme les nomme Mélanie Jacquemin (2009), parce que très souvent elles étaient dans la cuisine ou hors de la pièce où avait lieu l’entretien. Dans plusieurs familles, j’ai noté la présence d’une ou de deux filles qui jouaient ce rôle. Il m’a été aussi difficile de trouver tous les membres de la famille à la maison pour observer les rapports de la femme avec ces derniers. Dans les cas où d’autres membres de la famille étaient présents, j’ai pu seulement voir que ce qui m’a été donné à voir : des familles soudées avec une bonne ambiance.

Lors des visites à domicile, j’ai pu observer que la quasi-totalité des femmes (16 sur 21) ne vivait pas dans de grandes familles. La majorité d’entre elles soit quinze vivaient avec leurs conjoints et leurs enfants et hébergeaient une sœur ou un frère venu pour des études universitaires. Deux femmes mariées vivaient avec la belle famille, le mari, les frères du mari et les belles sœurs. J’ai rencontré une seule femme sur les vingt et une qui se déclarait être célibataire. Elle vivait avec sa mère, son petit frère, ses deux fils et une « petite bonne ». Trois autres femmes se disent mariées, mais vivaient uniquement avec leurs enfants et une servante, leurs conjoints étant à l’étranger ou dans une autre ville du pays. Une d’entre elles vivait uniquement avec ses deux enfants. Une femme travaillait à Abidjan (Côte-d’Ivoire) et revenait pendant ses congés à Ouagadougou où vivent son mari, ses deux enfants et sa petite sœur qui assure les travaux ménagers.

Pour les modalités de résidence, j’ai pu observer que sur les vingt-deux personnes rencontrées à leur domicile, seize vivent dans des « cours uniques »18 avec leurs familles et six femmes partagent leur foyer avec d’autres locataires dans des « cours communes »19. Ces dernières conditions de résidence sont particulières, car en dehors des membres de la famille, les femmes sont appelées à interagir avec d’autres personnes qui sont leurs voisins immédiats de cours. On verra plus loin que ces derniers sont aussi des acteurs non négligeables dans le parcours de vie de certaines femmes. Les quatre autres personnes ont été rencontrées sur leur lieu de travail. Sur les seize personnes qui vivent dans des cours uniques, neuf sont propriétaires de leurs domiciles. Lesquels sont très souvent situés dans des quartiers périphériques où vivent la plupart des nouveaux propriétaires immobiliers.

18 Une cour unique est un bâtiment d’habitation occupé par un ménage.

19 Les cours communes sont des maisons mitoyennes louées par différents ménages à des fins d’habitation. Les

Les neuf femmes qui vivent dans les quartiers centraux ont une « petite bonne » qui peut être une parente venue du village pour aider dans les travaux ménagers. Celles qui sont dans les zones non loties et les quartiers périphériques soit six femmes sur douze assument leurs activités lucratives et les tâches domestiques. Disposer d’une « petite bonne » n’est pas toujours lié à la charge de travail des femmes, mais c’est très souvent une question de moyens financiers ou de la capacité de la femme à entretenir son réseau social (rural et urbain). Une femme peut avoir une charge de travail élevé dû au nombre de personnes qui composent son ménage et ne pas pouvoir embaucher de servante, alors que la plupart des femmes qui ont une situation financière acceptable, qu’elles travaillent ou pas, ont tendance à embaucher des servantes ou à faire venir des filles des villages pour les travaux ménagers.

Si au départ je souhaitais faire des observations sur la répartition du temps de travail journalier des femmes, dans la pratique les femmes acceptaient difficilement de me recevoir toute la journée chez elles et de continuer à vaquer à leurs occupations habituelles. J’ai même compris que ma présence leur faisait perdre du temps dans la mesure où elles abandonnaient leurs travaux pour me recevoir. Je devais donc écourter mes visites dans certains cas pour leur permettre de continuer leurs activités.

B. Récits de vie

L’observation est importante pour le chercheur, en ce sens qu’elle lui permet de s’imprégner de la réalité sociale qu’il étudie. Elle demeure cependant insuffisante dans la pratique de terrain parce qu’elle ne me permettait pas de recueillir le discours des femmes sur leur travail. Alors que « rendre compte du point de vue de l’acteur est la grande ambition de l’anthropologie » (Olivier de Sardan, 1995 : 76).

J’ai fait le choix des récits de vie parce qu’ils me permettaient de demander aux femmes de me raconter l’histoire de leur entrée dans la vie professionnelle. J’étais consciente que « collecter des histoires de vie, c’est retracer des scénarios où parfois certaines séquences s’enchainent trop vite ou bien semblent confuses dans leur ordonnancement » (Antoine et Lelievre 2006 : 25). Mais le récit de vie ou l’histoire de vie restait le meilleur moyen pour moi d’accéder aux différents acteurs qui ont participé à la construction des trajectoires sociales féminines à travers des entretiens formels et des discussions informelles. Je souscris à l’analyse de Daniel Bertaux et François de Singly pour qui les récits de vie comportent « une très grande richesse d’informations factuelles exactes et de descriptions fiables — bien qu’incomplètes — d’enchainement de situation, d’interactions et d’actions. Ce sont ces

informations et descriptions que le sociologue peut faire son miel pour la connaissance des enjeux et des règles des jeux sociaux qu’il cherche à identifier » (2003 : 21).