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La politique étatique d’industrialisation du littoral : les fondements d’un système spatial et

CHAPITRE 2. Les Trente Glorieuses : instauration d’un modèle fordiste de production et de gestion

5. La politique étatique d’industrialisation du littoral : les fondements d’un système spatial et

L’action aménagiste de l’État dans l’espace portuaire au cours des Trente Glorieuses s’appuie donc sur un ensemble puissant d’instruments. Elle donne lieu à des réalisations de grande ampleur qui façonnent le littoral pour une longue durée, sur un plan morphologique mais aussi économique et fonctionnel. Nous revenons brièvement sur le contenu de ces opérations puis sur leurs effets sur la structure de l’économie portuaire.

5.1. La création des zones industrialo-portuaires, des «majors» aux ports atlantiques

Les travaux liés aux ZIP sont lancés au début des années 1960 sous le IVème Plan et se poursuivent

jusqu’à la fin des années 1970. Les «majors» - Dunkerque, Fos-sur-Mer et Le Havre – sont les premiers ports à bénéficier de la stratégie industrialo-portuaire de l’État, qui se diffuse ensuite aux ports atlantiques de Nantes-Saint-Nazaire et Bordeaux.

À Dunkerque, les principales réalisations sont la construction d’un bassin maritime pour les navires de 100 000 Tpl permettant de relier le port ancien et le bassin minéralier d’USINOR par une écluse de même gabarit. Comme le montre la figure 2.11, s’en suit la création d’un port situé à douze kilomètres à l’Ouest du précédent, permettant d’accueillir des navires de 300 000 Tpl. L’extension du bassin maritime permet de relier les ports Est et Ouest. Un canal à grand gabarit est par ailleurs construit entre Dunkerque et Valenciennes, reliant différents sites d’Usinor [Vigarié, 1984 ; Lavaud-Letilleul, 2002].

Sur le plan industriel, le site est à l’origine quasi entièrement dédié à la sidérurgie. Toutefois les activités se diversifient à partir du début des années 1970. Entre 1964 et 1970 les capacités de production de la raffinerie de Dunkerque, exploitée par British Petroleum, sont doublées. En 1974 est mise en service la raffinerie des Flandres à Gravelines par la Compagnie Française de Raffinage. Un parc de stockage, relié aux deux raffineries par pipelines, est construit dans le port Ouest et ouvert en 1976. Par ailleurs, en 1974 commencent les travaux de la centrale nucléaire de Gravelines, qui deviendra une des plus grandes en Europe. Parallèlement, des installations portuaires spécialisées sont aménagées, permettant la croissance rapide de trafics de vrac divers (céréales, sucre, produits métallurgiques, vracs liquides) dans lesquels le port de Dunkerque se spécialise.

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Figure 2.11. Schéma d’aménagement de l’avant-port Ouest de Dunkerque

Source : Le Marin, 19/04/1974, n°1399, p.3

Figure 2.12. Schéma d’aménagement de la ZIP de Fos-sur-Mer

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commission auprès du Ministre des Travaux Publics est créée dans la seconde moitié des années 1960 pour étudier les modalités de mise en œuvre de cette possibilité [Loi n°65-1001, JORF]. Le projet échoue mais le port bénéficie d’un approfondissement régulier de son chenal d’accès. Cela lui permet de s’étendre à un rythme rapide, notamment vers l’aval de l’estuaire et sur la rive gauche de la Seine, sous l’effet du développement de l’industrie (céréales, farines, sucres, pétrochimie). Rouen devient rapidement l’un des principaux ports céréaliers de France et d’Europe.

La seconde étape de la littoralisation de l’industrie correspond à la diffusion du modèle de la ZIP aux ports de la façade atlantique, en particulier Bordeaux et Nantes-Saint-Nazaire. Comme précisé plus haut, l’objectif est de rééquilibrer le territoire national :en favorisant l’industrialisation de l’Ouest français par le développement de pôles de croissance. Il est décidé concernant le port de Bordeaux d’améliorer et d’approfondir les accès du port ainsi que de créer un avant-port au Verdon [Charrié, 1999] afin d’y permettre l’accueil de navires jusqu’à 85 000 tonneaux. Plusieurs dépôts d’hydrocarbures y sont par ailleurs implantés pour approvisionner les raffineries d’Ambès et Pauillac. Cet avant-port est conçu comme la première phase d’une zone industrialo-portuaire bien plus vaste. De nombreuses acquisitions sont menées en vue de futures extensions.

Concernant le port de Nantes-Saint-Nazaire, il s’étend vers l’aval (figure 2.14) et les travaux d’approfondissement du chenal permettent bientôt la réception de navires pétroliers de 250 000Tpl. En 1970 le principe de création d’un port poly-industriel ayant été retenu suite au schéma d’aménagement élaboré par l’OREAM, un premier projet de poste à quai profond est lancé à Montoir, suite à la décision d’implantation de l’usine d’engrais Gardiloire (devenue Yara). Suite au choc pétrolier de 1973, le projet d’une grande plateforme dédiée à l’industrie pétrochimique à Donges est abandonné. Le projet de ZIP est relancé en 1976 avec l’annonce par le chef d’État de la construction d’un terminal méthanier à Montoir-de-Bretagne [Vigarié, 1989].

Figure 2.14. Schéma d’aménagement industrialo-portuaire de l’estuaire de la Loire

Source : Le Marin, 22/03/1974, n°1395, p.12 L’ensemble de ces opérations entraîne une transformation en profondeur de l’espace portuaire dans ses composantes bord-à-quai et rétro-portuaires, dont le domaine portuaire actuel est encore largement héritier. Outre le glissement des ports en dehors des villes et vers l’aval de l’estuaire pour les sites

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concernés, l’espace bord-à-quai est agrandi et modernisé. À ce titre, A. Vigarié [1984] note : «les équipements mis en place sont de haute qualité, performants, répondant aux besoins du commerce extérieur de la France et aux exigences de son rôle à l'ouest du Vieux Continent. Une preuve de la qualité : ils sont redoutés par les compétiteurs étrangers.». Par ailleurs, de vastes espaces rétro- portuaires dédiés à l’industrie sont constitués. Ils ne sont qu’en partie occupés par les implantations mentionnées plus haut. La théorie des pôles de croissance de F. Perroux veut cependant que les secteurs de base qui sont au cœur de la littoralisation de l’industrie induisent et attirent de nouvelles activités productives, d’où l’ampleur des réserves foncières réalisées.

5.2. Hiérarchie portuaire et structures des trafics

En raison de la perspective de long terme dans laquelle s’ancrent les réalisations décrites, chercher à en dresser un bilan économique à la fin de la période des Trente Glorieuses constituerait un exercice périlleux. Quelques éléments méritent néanmoins d’être rappelés. Sur les dix ans qui suivent la mise en place de la réforme portuaire, les trafics français connaissent une croissance constante. Ils doublent entre 1965 et 1973, date à laquelle ils atteignent 295 millions de tonnes. Si les investissements réalisés par l’État ne sont certainement pas étrangers à ces résultats, ceux-ci découlent par ailleurs amplement de la croissance économique généralisée et de l’augmentation sans précédent des flux maritimes mondiaux qui caractérisent cette période. A. Vigarié souligne à ce sujet que le volume mondial des échanges maritimes de vracs et pondéreux croît de 90% sur la seule période allant de 1965 à 1973 [Vigarié, 1984].

La période des Trente Glorieuses scelle par ailleurs la hiérarchie des principaux ports français. Si Le Havre et Marseille étaient déjà en tête du classement avant le second conflit mondial, les lourds investissements réalisés par l’État dans l’estuaire de la Seine et dans le golfe de Fos contribuent à les y maintenir. Ces deux ports concentrent plus de 70% des trafics des six ports autonomes, comme le montre le tableau 2.4 ci-dessous. Dunkerque vient en troisième position. Les deux ports de l’Atlantique et Rouen se caractérisent par des volumes de marchandises plus faibles. Leur localisation estuarienne – peu propice à l’accueil de très grands navires - et leur place secondaire dans la politique d’investissement de l’État peuvent l’expliquer.

Tableau 2.4. Trafics des six ports autonomes en 1973 (en millions de tonnes et parts des tonnages nationaux totaux)

Trafics totaux Marchandises sèches Marchandises diverses

Tonnage % Rang Tonnage % Rang Tonnage % Rang

Marseille 100,5 34,04 1 8,8 11,69 2 5,5 18,25 2 Le Havre 86,7 29,37 2 8,1 10,65 4 5,6 18,43 1 Dunkerque 31,4 10,62 3 21,1 27,90 1 4,3 14,35 3 Nantes-St- Nazaire 14,7 4,96 4 3,1 4,11 5 1,9 6,22 6 Rouen 14,2 4,80 5 8,4 11,09 3 2,6 8,50 4 Bordeaux 13,5 4,58 6 3,0 4,02 6 1,3 4,14 7 Total 261 88,17 - 52,5 69,46 - 21,2 69,89 - Source : Vigarié, 1984 Au-delà des volumes, il est nécessaire de se pencher sur la composition des trafics. La comparaison des ports français avec leurs principaux concurrents révèle que leurs trafics ont pour particularité

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d’être très largement adossés aux produits pétroliers. Ceux-ci représentent 65% des volumes traités en 1967 comme le montre le tableau 2.5, alors qu’ils constituent moins de la moitié des trafics des ports rhénans. À l’inverse de ces derniers, les ports français n’ont connu par ailleurs qu’un faible développement dans le segment des marchandises diverses. L’objet de notre travail n’est pas de déterminer si ces différentiels de structures de trafics sont attribuables au contenu des politiques portuaires ou aux caractéristiques du marché économique de chacun de ces pays. Il convient en revanche de souligner que cette structure perdure dans le temps. Il en découle une forme de dépendance économique des ports français aux trafics pétroliers. Du fait de l’instabilité de ces derniers cette situation est jugée problématique par les commentateurs d’alors et d’aujourd’hui, nous y reviendrons (chapitre 3).

Tableau 2.5. Poids des produits pétroliers et des marchandises diverses sur les trafics maritimes internationaux des pays de la CEE en 1967

Total des trafics (Mt*) Produits pétroliers (Mt) Produits pétroliers (%) Marchandises diverses (Mt) Marchandises diverses (%) France 133,79 91,9 68,69 2,83 2,12 Belgique 67,71 25,28 37,34 3,38 4,99 Pays-Bas 168,57 77,83 46,17 3,4 2,02

Source : Commission des communautés européennes, 1970 * Millions de tonnes