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Police et théories classiques de l'éthique normative

3. L'agentivité policière : pour une théorie morale de l'agent de police

3.2 Pour une théorie morale de l'agent de police

3.2.2 Police et théories classiques de l'éthique normative

Certains ont tenté de rattacher une approche déterminée de l'éthique à l'agentivité policière, afin de vérifier quel serait le meilleur modèle permettant de guider la police dans son action89. Il nous apparaît plus intéressant de travailler à partir d'un cadre théorique plus général, comme celui proposé par Rawls, afin de postuler ce que des partenaires rationnels pourraient vraisemblablement déterminer à l'égard de principes pouvant justifier un cadre éthique policier bien pesé, plutôt que de chercher à découvrir, entre le déontologisme, le conséquentialisme et

l'éthique de la vertu, l'approche qui serait la meilleure en fonction de l'agir policier90. Il semble en effet que les différentes dimensions du travail de l’agent de police doivent pouvoir mobiliser, en fonction du contexte et des critères qui fluctuent en regard de ce dernier, les ressources des différentes traditions éthiques précédemment identifiées.

Si, tout d'abord, l'usage courant nous a habitué à parler de déontologie policière, nous savons qu'elle n'est pas liée à la philosophie kantienne, s'agissant plutôt ici d'un code de procédures. Toutefois, nous croyons que la morale kantienne du devoir demeure pertinente afin d’aborder un aspect important de l'éthique policière, à savoir l'injonction de protection égale du citoyen (et qui implique, au départ, une considération égale de chacun). En effet, les paramètres moraux offerts par l'impératif catégorique91 constituent une excellente manière de définir l'individu sur le plan moral, insistant sur son caractère autonome et la nécessité de toujours considérer ce dernier comme une fin, sans agir à son égard d'une manière qui puisse l'instrumentaliser. Rappelons par ailleurs que c'est un aspect de la morale kantienne qui participe aussi à la définition morale de l'individu chez Rawls.

L'éthique de la vertu92 semble aussi pouvoir servir ici, pour l'agent de police en exercice, plus directement. Rappelons, très sommairement, que l'éthique de la vertu reprend certains aspects de la morale aristotélicienne afin de poser une éthique fortement déterminée par le contexte, la

90 ROY (2010), qui tente cette approche, ajoute une quatrième voie, la « morale pragmatique », qu'il trouve chez

Dewey.

91KANT ([1796]; 2000).

découverte des meilleures pratiques par leur constante mise en exercice et la référence, dans l'action, à un modèle de vertu permettant de mieux orienter notre agir. A titre d'exemple, un policier inexpérimenté devant intervenir sur une scène de violence conjugale pourrait se représenter la figure d'un policier chevronné, reconnu pour son excellence dans ce type d'interventions et se demander ce que ferait ce dernier, afin de guider son action. Ainsi, l'activation de cette morale contextuelle, perfectionniste, déterminée par la constante remise en exercice de pratiques susceptibles de s'affiner avec le temps, constitue certainement, pour l'agent de police, un modèle éthique pertinent. Le travail de la basse police, conditionné par la nécessité d'activer des pratiques relationnelles différenciées en fonction d'interventions dont le dénouement est difficilement prédictible, peut certainement bénéficier de cette approche.

L'éthique conséquentialiste, que certains considèrent inappropriée dans le contexte du travail policier93, semble pourtant adéquate, en fonction d'interventions se déroulant dans des contextes « critiques ». L'exemple offert par la fusillade qui s’est déroulée au collège Dawson, à Montréal, en septembre 2006, est en ce sens éclairant94. Après une brève poursuite, le policier Denis Côté a fait feu sur le tireur, malgré la présence d'une otage faisant office de bouclier humain. Le choix de tirer procédait d'un calcul conséquentiel, approprié dans cette situation. En effet, le coup de feu a permis de déjouer les plans du tireur et d'éviter qu'il ne fasse davantage de victimes. Le policier, dans cette situation critique, a dû faire un « calcul éthique » rapide, procédé qui semble inévitable dans ce type de contextes : tirer, en risquant de blesser l'otage ou laisser le tueur

93Edwin J. Dellatre, notamment, qui lie les cas de « corruption d'une cause noble » à l'éthique conséquentialiste. 94Pour un résumé du déroulement des événements: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/802563/dawson-college-

s'échapper dans une autre pièce, entraînant des conséquences potentiellement beaucoup plus graves. Les deux options posaient problème sur le plan éthique mais le policier a choisi celle qui lui semblait la plus justifiable, en fonction du calcul des conséquences de son action. Après le tir de l'agent, blessé, le tueur s'enleva la vie. On estime aujourd'hui que l'action du policier Denis Côté fut la bonne et qu'elle aura permis de limiter fortement le nombre de victimes potentielles du tueur. À la suite de cet exemple, loin d'être unique dans le contexte du travail policier, nous pouvons affirmer que l'approche conséquentielle permet elle aussi, dans certains contextes critiques, de bien informer l'action à privilégier.

Ainsi, nous croyons que les théories classiques de l'éthique normative sont toutes en mesure de contribuer à guider moralement le travail de l'agent de police. Une approche éthique « intégrée» semble donc la plus pertinente, ici. À partir du cadre théorique posé par John Rawls et à la suite des précisions apportées par Peter K. Manning en ce sens, nous tenterons plutôt d'établir ici ce qui permettrait de justifier des pratiques normatives idoines en regard du modèle de police démocratique que nous voulons proposer.