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6 Des chevaux, des batailles

6.5 Une lutte finale : La Pilule contre la police

6.5.2 La police doute

La police va réagir aux attaques de Praz. Tout d’abord, le bulletin interne de l’Union du Personnel du Corps de Police du mois d’août 1972 publie une plainte collective :

« Ne lui accordons pas l'importance qu'il voudrait avoir et n'aura jamais, mais réservons-lui le procès qu'il mérite. Bien que le mal n'atteigne pas l'ampleur désirée par son auteur, il importune les citoyens honnêtes et fait se révolter notre personnel. N'est-il pas déjà en butte à d'inutN'est-iles tracasseries administratives ? Ne doit-N'est-il pas affronter des manifestants malintentionnés distribuant injures et horions ? N'est-il pas sollicité, chaque jour davantage, dans l'accomplissement d'une tâche difficile ? S'il ne se sent pas soutenu, le malaise ira s'aggravant. L'impopularité dont il est victime et les coups qui lui sont portés dans l'ombre, augmentent son mécontentement. Des démissions sont enregistrées, non parce que le salaire est insuffisant, mais à cause du découragement qui a sapé le moral de la majorité. Il faut mettre un terme à tout ce qui atteint nos forces vives. La pérennité de l'ordre dans notre société et l'assurance de la relève de la gendarmerie dépend des mesures qui seront prises à l'égard de ce plumitif qui mériterait une correction plutôt qu'un correcteur. […] Nous ne voulons ni haïr ni cracher sur quiconque, nous voulons avoir le soutien et le réconfort de ceux qui nous dirigent. L'interdiction d'un journal est chose grave mais, dans l'histoire de notre petite république, il en existe une qui a été prononcée pour des motifs purement politiques. »275

Les policiers se sentent légitimement atteints dans leur intégrité. Praz entre en possession de ce bulletin et le publie. Il profiter pour justifier et expliquer les accusations faites dans Le trou noir, et les réitérer. 276

Cet appel { l’aide de l’Union du personnel du corps de police de Genève marque le début de la prise en main par le politique du cas de La Pilule. En février 1973, les lecteurs du journal apprennent que ce sont quatre plaintes différentes pour

275 « Union du Personnel du Corps de Police, Genève, 1910-1985 », Genève, Département de justice et police, 1985.

276 La Pilule n°82, 26.9.1972.

diffamation qui sont déposées contre lui. 277 Le chiffre additionné des dommages et intérêts réclamés atteint la bagatelle de 200’000CHF. 278 La peine est également passible d’emprisonnement. L’avocat genevois bien connu, Dominique Poncet, chapeaute cette attaque contre l’hebdomadaire satirique, et se charge de défendre les droits des parties plaignantes.

« Il est revenu… le temps des procès…durs… comme un vieil ami retrouvé. Il est revenu, et ce sera jour de fête. L’eussiez-vous dit ? L’eussiez-vous cru ? Ils ont osé ! Eux : messieurs les représentants de l’Ordre ! Enfin ! Après plus de six mois, ils attaquent ! Brrr… » (La Pilule n°102, 13.02.1973)

Ce sont bel et bien six mois qui se sont écoulés entre l’article Le trou noir et la déposition des deux premières plaintes.279 Comment expliquer cette lenteur ? Est-elle simplement due à la lenteur de la procédure ? La publication de la plainte interne émise par le Corps de police genevois date du mois d’août 1972, ce qui laisse encore cinq mois de délai. Y a-t-il un rapport à faire avec la plainte déposée par Praz cette fois-ci, aux suites de la manifestation contre le Shah d’Iran, contre le chef de la police M. Leyvraz ? Souvenons-nous, Narcisse Praz a alors été séquestré par la police durant plus de 8 heures, alors qu’il n’avait commis aucun délit.280 Suite à cela, il dépose plainte pour séquestration contre le chef de la police genevoise, M. Leyvraz.281 L’affaire a été étouffée, et Praz se plaint de la lenteur de la procédure au mois de décembre 1972.282 D’autres amis avaient, selon lui, également déposé plainte pour d’autres motifs contre des policiers. Ces plaintes ont toutes été traitées dans des délais assez brefs. Praz en était évidemment informé.283 On peut lire dans cette lenteur, Praz ne sera condamné qu’en octobre 1974, une stratégie de la part des autorités. Lorsque Praz provoque la police dans son journal, l’affaire du Shah d’Iran est encore fraîche, et

277 Emanant dans un premier temps des Unions de Corps de Police, et des Associations du Personnel de la Sûreté genevoises, et, quelques semaines plus tard, des mêmes organes, mais du canton du Valais cette fois-ci.

278Chacune des plaintes réclame 50’000CHF. La Pilule n°102, 13.02.1973, La Pilule n° 140, 6.11.1973.

279 Elles sont déposées à la fin du mois de janvier 1973. Le Corps de police et l’Association du personnel de police valaisans déposent leur plainte quelques mois plus tard, en mai 1973.

280 La Pilule n°68, 20.6.1972 ; référence mémoire.

281 La Pilule n°94, 14.12.1972.

282 Idem

283 Idem

Praz jouit d’une grande popularité. Les autorités avaient alors tout intérêt de laisser retomber la cote du rédacteur en chef de La Pilule pour éviter de nouveaux remous.

Figure 17: La Pilule blesse la police par Poussin, La Pilule n°102.13.2.1973.

Quoiqu’il en soit, une procédure est mise en route { la fin du mois de janvier 1973. Praz va publier dans leur intégralité les différentes plaidoiries de Dominique Poncet :

« Le Sieur Praz, pamphlétaire de troisième zone, ne craint pas d’user de calomnie et de diffamation pour porter atteinte intentionnellement et sans scrupule aux intérêts de la Police et à son crédit » (La Pilule n°102, 13.02.1973)

« Un lecteur intelligent et avisé ne se sera guère laissé convaincre par le fiel et le venin déversé par le Sieur Praz dans sa hargne viscérale qu’il entretient envers la police. » (La Pilule n°140, 6.11.1973)

Praz se réjouit de ce procès. Il est persuadé qu’il tient l{ l’occasion de réitérer le coup réalisé lors du procès intenté par le Shah.

« Et voilà, c’est reparti ! Mais cette fois, ce sera le plus beau procès des années 70… { moins que le bras gauche (ndla la justice) n’agisse comme il tenta de le faire lors du procès shatirique en interdisant de faire la preuve de vérité ! Messieurs de la Justice, sœur jumelle de la Police, souvenez-vous bien de ceci : lorsque La Pilule fera défiler devant vous par dizaines les preuves de vérité, c’est vous qui aurez l’air idiots ! Pas nous ! Et cela se saura ! » (La Pilule n°102, 13.02.1973)

Il ne doute nullement du soutien qu’il trouvera au sein de la population :

« Quant à l'issue du procès, permettez-nous de vous dire que nous nous en moquons comme de notre première culotte: on ne tue pas La Pilule sans tuer le bonhomme! Le jour où vous aurez ruiné le bonhomme, il se constituera immédiatement trois, cinq, dix groupes de gens pour fonder une «association à but non lucratif» et qui publiera «La Pilule» à votre barbe! Mais ce dont nous ne nous moquons pas, c'est l'impact que ce procès aura sur l'opinion publique après le défilé de témoins que nous organiserons. A moins que la Bonne Presse ne se laisse museler? » (La Pilule n°102, 13.02.1972)