37 Source : F. Benitez, 25 avril 2017. Figure 17 : Inondations d’avril 2017 en Haïti. Photographies prises depuis le bus sur le trajet en direction de la ville des Cayes38 38 Source : F. Benitez, 25 avril 2017. 86 Figure 18 : Inondations d’avril 2017 en Haïti. Photographies prises depuis le bus sur le trajet en direction de la ville des Cayes39 39 Source : F. Benitez, 25 avril 2017. À l’arrivée aux Cayes, des rues entières sont recouvertes d’eau, rendant difficiles les déplacements. Après une traversée de la ville en moto-taxi pour arriver jusqu’au port, et une heure de pirogue, me voilà arrivée à l’Île-à-Vache. Je suis accueillie par une autre bénévole française, Morgane, au niveau du ponton principal. Dès mon arrivée, je pressens que le séjour va s’avérer compliqué. Morgane et moi arrivons en haut du morne où se situe l’orphelinat. Les chemins sont gorgés d’eau, nos pieds s’enfoncent dans la boue, et les moustiques commencent très fortement à rôder autour de nous en cette fin de journée. Une fois dans la maison des bénévoles, où je rencontre une autre jeune française, j’apprends la situation dans laquelle l’orphelinat se trouve depuis quelques jours : il pleut sans discontinuer depuis plus de deux semaines et particulièrement depuis trois jours (Figure 19) ; les panneaux solaires, seuls appareils fournissant de l’électricité, sont complètement vides. La maison des bénévoles n’a plus d’électricité, avec pour conséquences le non fonctionnement de la seule machine filtrant l’eau, et l’impossibilité de recharger tout appareil. Nous n’avons donc plus d’eau potable, pas d’électricité, et des rumeurs d’épidémie de choléra dans le « village » voisin se font de plus en plus insistantes. Un des bénévoles m’explique que nous avons au moins la possibilité de pouvoir nous doucher car il existe un puits sous la maison. Mais lorsque je pose la question de la possibilité de faire bouillir l’eau, car il s’agit quand même d’une eau stagnante, la réponse est sans appel : nous n’avons pas de gaz. Le soir même l’une des bénévoles, aveugle, ayant appris que j’étais infirmière, vient me voir en me demandant si j’accepterais d’évaluer l’état de ses piqûres de moustiques. Elle m’explique qu’elle n’arrive pas à les guérir et ne comprend pas pourquoi. Je passe plus d’1h30 à soigner ses plaies surinfectées par la boue, l’humidité et divers insectes. À cause des inondations aux Cayes, l’orphelinat n’a pas été ravitaillé depuis deux semaines, et il manque à peu près de tout : produits laitiers, médicaments, eau, etc. Après avoir appelé mes directrices de thèse et expliqué les conditions d’accueil de l’orphelinat et les conditions météorologiques et sanitaires, je décide de rentrer le lendemain, quitte à revenir si possible dans quelques semaines. J’appelle donc Jonas, resté aux Cayes, lui explique ma situation, et nous convenons d’une heure de rendez-vous pour que la pirogue vienne me chercher le lendemain matin. 88 Figure 19 : Extrait d'un rapport du Bureau des nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires du 25 avril 2017 (Source : site internet www.onu-ocha.org). Lendemain matin 6 heures : il a plu toute la nuit, une pluie dense, forte et orageuse, un vrai débit caribéen ! Je n’ai bien sûr plus d’eau potable depuis la veille (une seule bouteille d’eau était définitivement une erreur), et je n’ai pas beaucoup dormi. Je descends tant bien que mal au niveau du point de rendez-vous, la pluie ayant rendu le chemin impraticable. Néanmoins, je retrouve le propriétaire de la pirogue à l’heure prévue, et nous embarquons pour Les Cayes avec une dame et sa petite fille de 4 ans. Un quart d’heure après le départ de l’Île-à-Vache, la pluie reprend intensément remplissant rapidement la coque du bateau. Le propriétaire de la pirogue vient chercher la petite fille et la met à l’abri à l’avant du bateau avec les bagages. Il nous demande d'écoper avec deux petites bassines en plastique qu’il nous tend. Je passe alors 40 minutes à écoper, de toutes mes forces, l’eau d’une pirogue (Figure 20), en espérant arriver aux Cayes sans avoir à nager, compte tenu de l’état du littoral. Une fois arrivée au port, il faut maintenant rejoindre la gare routière. Le moto-taxi de la veille m’attend pour m’y conduire. Je monte donc sur cette 125 en me demandant comment nous pourrions arriver à destination en vie, la pluie ne cessant pas. Je traverse les routes inondées de la ville en moto, sentant par moment de l’eau jusqu’à mi-cuisse. À ce moment précis, je pense à mon ordinateur situé dans mon sac-à-dos (non imperméable) aux pieds du chauffeur : certes petit détail par rapport aux douze dernières heures vécues, mais qui représente quand même une certaine valeur à mes yeux…. 90 Une fois arrivée au point de départ des transports « chics », je vois plusieurs bus garés devant l’entrée, en attente de leurs passagers. Jonas me rejoint en me tendant un billet et en me désignant du doigt le bus le plus « old school » des trois. Tout en fer rouillé, l’emplacement des pneus sort au niveau des sièges à l’intérieur, des strapontins à chaque fin de rangée, et le klaxon à l’extérieur en forme de trompette. Je monte dans le bus tout en me remémorant m’être gentiment moquée du bus de la veille avec son côté années 80. Le bus est plein et je pense que nous allons bientôt partir, quand je vois un homme entrer, s’approcher de moi et me demander : « Excusez-moi Madame mais le bus est plein. Est-ce que je peux m’asseoir sur vos genoux ? ». Là je décide de lui « céder » ma place ; je ressors du bus, récupère mon sac à dos sur le toit, et retourne prendre un billet pour le bus suivant. Nous partons 15 minutes après le bus « old school », mais nous ne tardons pas à le rattraper et le suivre. Après un peu plus d’1h30 de trajet, j’entends tout à coup un bruit assourdissant et inquiétant. Je me lève de mon siège pour voir ce qu’il se passe et là, je suis propulsée sur le siège avant. Le bus « old school » vient de percuter une dalle de béton qui était dissimulée par les inondations, et nous venons de percuter ledit bus « old school ». Je me relève, sors du bus et découvre, au milieu de la pluie, un spectacle surréaliste : des habitants des alentours s’approchent de l’accident pour proposer leur aide. Le « old school » n’a plus de calandre ni de radiateur, il pleut des cordes et, en tournant la tête, je vois mon sac à dos (toujours pas imperméable) 25 mètres plus loin, en train d’être fouillé par quelques personnes. À ce moment précis, durant quelques secondes, il m’est devenu beaucoup moins indispensable, ne me sentant pas d’aller négocier mes affaires, jusqu’à ce que je me rappelle… MON ORDINATEUR !!!!! Je prends donc mon courage à deux mains, retrousse mon jean (déjà trempé) pour traverser la route, et vais demander très poliment si je peux récupérer mes affaires. Donc une fois mes sacs récupérés, l’inventaire des dégâts causés par l’accident terminé, reste la question de mon retour à Port-au-Prince. La veille, j’avais appelé Isaac, le chauffeur de taxi, et étais convenue avec lui de l’heure et du lieu où nous devions nous retrouver. Or je me retrouve en pleine campagne haïtienne, sans moyen de communication (tout étant déchargé depuis la veille), et sans savoir comment rejoindre la capitale. Un long moment après, peut-être 50 minutes, un troisième bus nous rejoint et je comprends que ceux qui souhaitent se rendre à Port-au-Prince peuvent monter dans ce véhicule. Je demande au chauffeur quel est le lieu de dépose et il me répond « près du stade Sylvio Cator ». Je repars donc assez confiante, me disant que peut-être je pourrai encore retrouver Isaac. Nous arrivons à Port-au-Prince avec plus de 2h30 de retard. Je vois défiler les rues mais ne reconnais rien du quartier dans lequel nous sommes, quand j’entends « terminus ! ». Je me 92 retrouve au niveau d’un grand carrefour en plein centre de Port-au-Prince, toujours sans aucun moyen de communication, toujours sans eau et, je l’avoue, sans trop savoir où aller. Je retourne voir le chauffeur et lui explique mon problème : « Je suis désolée mais je croyais que l’on devait arriver au stade Sylvio Cator. C’est là que j’avais rendez-vous avec la personne qui m’attend, mais je ne sais pas comment y aller ». Et là, il me regarde et sourit. J’avoue, à ce moment précis, manquer d’un peu de recul pour lui sourire en retour, et je commence vraiment à me demander comment je vais sortir de cette histoire. Mais mes réflexions s’arrêtent assez rapidement, car il me prend par la main et m’emmène dans les dédales de la ville. Durant à peu près 1,5 km, ce chauffeur ne me dit pas un mot et me guide, moi et mes sacs à dos, vers mon but. Soudain il se retourne et, toujours avec son grand sourire : « Voilà, c’est là ! ». Et là, je reconnais la devanture des « transports chics » (Figure 14) devant laquelle tout avait commencé la veille. À peine le temps de le remercier, il était déjà reparti ! Je me retrouve donc au point de rendez-vous, mais avec maintenant trois heures de retard. Impossible que le taxi m’ait attendue aussi longtemps : il va donc falloir que je trouve une solution. Je fais un tour sur moi-même pour essayer de trouver un moyen de recharger mon téléphone, et là, j’aperçois un homme courir en traversant la rue, tout en essayant d’échapper au trafic dense de cette fin de journée. Je reconnais Isaac en train de me faire de grands gestes : « Fanny !! Fanny !! Par ici!! ». En fait, ne me voyant pas arriver et n’arrivant pas à me joindre au téléphone, Isaac avait téléphoné aux Cayes pour savoir si j’étais bien partie. N’ayant pas de nouvelles de ma part, il avait téléphoné à l’hôtel afin de savoir si je m’étais enregistrée chez eux. Personne ne sachant concrètement où j’étais, il se demandait s’il ne fallait pas aller avertir de ma disparition le commissariat ou l’ambassade française. Soulagés respectivement de se voir, nous nous sommes salués chaleureusement et sommes repartis en direction de l’hôtel, où je racontai mes péripéties à Élie, Collègue, Michelet, très étonnés de me voir revenir si vite ». Jamais le proverbe persan introduisant cette chronique ne fut aussi présent dans ma tête que Dans le document Faire face ou vivre avec les catastrophes ? Capacités d'adaptation et capabilités dans les trajectoires de résilience individuelles et territoriales au sein de l'espace Caraïbe (Page 85-93)