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Plasticité périphérique

Dans le document Le sens du goût chez l'aveugle congénital (Page 46-49)

I. INTRODUCTION

3. Plasticité du système gustatif

3.1 Plasticité périphérique

Le système gustatif périphérique est particulièrement susceptible aux pressions environnementales (Hill, 2004). Les plus beaux exemples de plasticité sont liés soit à l’adaptation d’un environnement extérieur hostile ou à l’adaptation d’un changement homéostatique. Par exemple, l’exposition continuelle à la caféine chez la chenille induit une atténuation de la réponse seulement chez les récepteurs gustatifs (présents sur la surface du corps) sélectifs à l’amertume (Glendinning et al., 1999). D’un autre côté, consommer une diète pauvre en sodium durant dix jours pourra provoquer chez le rat la multitude d’effets ci- dessous (revue dans Hill, 2004):

o réduction de la taille des papilles gustatives o réduction du nombre de cellules gustatives

o changement de la cinétique des cellules gustatives o réduction de la réponse de la corde du tympan

o augmentation de la taille et irrégularité des champs terminaux de la corde du tympan et du nerf glossopharyngien (mais pas du grand nerf pétreux) dans le noyau du faisceau solitaire, particulièrement dans sa section dorsale

o augmentation du nombre et de la longueur des dendrites des neurones situés dans le pôle rostral du noyau du faisceau solitaire

o changements hormonaux contrôlant l’équilibre du sodium, dont une production accrue d’aldostérone (régulateur des canaux sodiques) par les glandes surrénales et une possible augmentation de canaux sodiques.

À l’exception des changements plastiques observés dans le premier relais gustatif du système nerveux central, ces effets sont facilement réversibles à l’intérieur de 2 semaines, suivant le retour à une diète normale et riche en sodium. Cette plasticité s’explique notamment par le renouvellement des récepteurs gustatifs qui nécessite environ la même période (Hill, 2004).

Le degré et l’étendue de cette plasticité dépendent de plusieurs facteurs, dont l’âge de l’animal et la structure gustative impliquée. Tel que mentionné plus haut, c’est durant le développement embryonnaire qu’elle atteint son paroxysme. Par exemple, si la rate gestante se nourrit d’une diète pauvre en sodium avant l’apparition des papilles gustatives sur la portion antérieure de la langue de ses ratons (soit au 8e jour embryonnaire) et que cette diète est maintenue jusqu’au sevrage (28e jour postpartum), la réponse de la corde du tympan au sodium sera réduite de 60% chez ces ratons comparés aux contrôles (Hill, 2004). Similairement, le gavage intra-gastrique sans stimulation gustative orale autre que par l’eau chez les ratons nouveau-nés altère l’organisation des projections vers le tronc cérébral (Lasiter, 1995). D’autre part, les nerfs de la cavité orale présentent une susceptibilité différente à la plasticité. Il est intéressant de noter que parmi les trois nerfs gustatifs stimulés par la nourriture mise en bouche, c’est la cordé du tympan soit celui innervant la structure la plus mobile de la cavité orale (langue antérieure) qui est le plus affecté, suivi par le nerf glossopharyngien (langue postérieure). Le grand nerf superficiel pétreux (palais) ne démontre pour sa part aucun changement relié aux modifications de la diète de l’animal (Hill, 2004).

La plasticité induite par la diète peut aussi s’observer chez le rat adulte à condition que l’animal subisse une lésion au nerf gustatif. Par exemple, suivant la régénération de la cordée du tympan de 40 à 120 jours suivant une lésion unilatérale, les nerfs ipsi- et controlatéral

deviennent respectivement hyposensible (baisse de 30% de la réponse) et hypersensible seulement chez les animaux lésés alimentés par une diète pauvre en sodium, tandis que les animaux contrôles lésés ou alimentés par la même diète présentent des réponses normales (Hill & Phillips, 1994).

Alors que la régénération de la cordée du tympan est plutôt robuste chez le rat, elle ne l’est pas autant chez l’humain (Barry & Frank, 1992). Les patients nécessitant une opération à l’oreille moyenne subissent souvent une lésion accidentelle de ce nerf gustatif important, ce qui décroit leur sensibilité aux goûts (Just et al., 2006; Saito et al., 2012). Alors qu’environ 60% des patients pédiatriques bénéficient d’une régénération du nerf lésé, ce ratio passe à près de 30% chez le patient adulte. De ces derniers, seulement les deux-tiers des enfants et le tiers des adultes bénéficieront d’un rétablissement de leur sensibilité gustative préopératoire (Saito et al., 2012). Par ailleurs, l’endoscopie par contact lingual a permis d’observer des changements morphologiques aux papilles fongiformes ipsilatérales à la lésion chez des patients adultes. Celles-ci sont non seulement moins nombreuses mais évoluent du rond vers le filiforme comparativement au côté controlatéral à la lésion ou aux patients contrôles (Just et al., 2006).

Les changements morphologiques aux papilles gustatives peuvent aussi être induits par la consommation d’aliments ou de drogues. Par exemple, les papilles fongiformes des fumeurs sont davantage kératinisées comparées à celles des non-fumeurs. De plus, la sensibilité à l’amertume est altérée par le tabac de sorte que les fumeurs tendent à identifier les composés amers moins bien que les non-fumeurs (Konstantinidis et al., 2010). Heureusement, les sensibilités olfactives et gustatives s’améliorent suivant le sevrage tabagique comme le démontrent souvent les témoignages d’ex-fumeurs qui se réjouissent de pouvoir mieux savourer leurs repas.

La consommation affecte fortement les sensibilités aux goûts. Le meilleur exemple concerne le goût umami, mieux connu chez les populations asiatiques qui utilisent régulièrement le glutamate monosodique (GMS, un composé umami) comme rehausseur de goût à l’instar du sel et du poivre. Kobayashi et collègues (2002, 2006) ont démontré des différences culturelles de sensibilité gustatives entre Américains/Européens et Asiatiques. Suivant une exposition de 10 jours à des craquelins aux crevettes contenant du GMS (vs

groupe contrôle exposé à des chocolats), les Américains/Européens exposés au GMS montraient des seuils d’identification plus bas à la fin des 10 jours. Cependant, ces seuils étaient plus hauts comparativement aux Asiatiques fortement exposés à l’umami à travers leur alimentation (Kobayashi & Kennedy, 2002). Plus intéressant encore, l’interruption de l’exposition à l’umami durant 10 jours additionnels s’est révélée suffisante pour rétablir les seuils d’identification aux niveaux initiaux, indiquant que la plasticité induite par la diète est réversible (Kobayashi et al., 2006). Bien qu’il soit possible que des mécanismes centraux aient joué un rôle, le renouvèlement des récepteurs gustatifs au niveau périphérique a certainement contribué à cette plasticité induite par la diète.

Dans le document Le sens du goût chez l'aveugle congénital (Page 46-49)

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