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Introduction générale

III) Les espèces en interactions symbiotiques font de bons modèles pour l’étude de

I.3.2.3. Plasticité environnementale, de possibles Dauermodifikations?

S. mansoni a la spécificité d’être une espèce très plastique, en particulier par sa capacité d’infection d’une grande diversité d’hôtes. Chez l’hôte intermédiaire du genre Biomphalaria, au moins 18 espèces, vivant dans des aires géographiques variées, sont connues pour permettre le développement larvaire du parasite (DeJong et al. 2001). Les espèces les plus notables sont B. alexandrina (Égypte), B. pfeifferi (Afrique tropicale, subtropicale et Moyen-Orient) et B. glabrata (Amérique du Sud et Caraïbes). Au niveau de l’hôte mammalien, une quarantaine d’espèces de rongeurs et de primates sont sensibles à S. mansoni (Martins 1957). De manière surprenante, ce parasite est capable d’infecter en laboratoire des hôtes vertébrés avec lesquels il n’est jamais en contact en milieu naturel : souris (Mus musculus), rat du Nile (Arvicanthis niloticus) ou hamsters (Mesocricetus auratus) (Martins 1957). Le large éventail d’hôtes, tant intermédiaires que définitifs, favorise la dispersion du parasite sur de longues distances et lui permet de facilement coloniser de nouveaux habitats. Un exemple de ce phénomène est l’introduction de S. mansoni en Amérique du Sud et aux Caraïbes au XVIIème siècle lors de la traite négrière. Les parasites, originaires d’Afrique et transportés par les esclaves, ont trouvé un nouvel hôte chez Biomphalaria glabrata, une espèce uniquement présente au Nouveau Monde (Morgan et al. 2001) et ayant divergé de Biomphalaria pfeifferi, l’hôte intermédiaire principal en Afrique, depuis plusieurs millions d’années (DeJong et al. 2001). Il a été mis en évidence que des changements au niveau des souches de l’hôte intermédiaire ont des répercussions phénotypiques, et plus spécifiquement sur des traits de vie (sex-ratio, croissance, prévalence, intensité, etc.) du parasite en développement (Dias et al. 1988a; b; Lepesant et al. 2013; Theron et al. 2014). Des travaux effectués par l’unité de recherche UMR 5244 IHPE laissent penser que certains de ces phénotypes puissent être transgénérationnels. L’environnement direct du parasite étant le corps de son hôte, il n’est pas surprenant que des modifications du second aient un impact sur le premier. Quelques pistes indiquent que des mécanismes épigénétiques sont impliqués dans l’adaptation de S. mansoni à ses hôtes.

Un autre exemple de plasticité phénotypique induit par l’environnement a été décrit par Jansma et al. (1977). Alors qu’il travaillait sur l’hycanthone, une molécule antihelminthe brièvement utilisée pour traiter la schistosomiase, Jansma remarqua l’apparition d’une résistance métastable chez certaines souches de S. mansoni. La métastabilité signifie que la proportion d’individus résistants ou sensibles est hautement fluctuante d’une génération à l’autre, et ne correspond pas à ce que l’on attend d’une héritabilité mendélienne. Dans sa publication de 1977, il décrit trois méthodes pour induire cette résistance : en récupérant la progéniture de vers adultes après l’administration chez l’hôte rongeur d’une dose sous-curative d’hycanthone (3-60 mg/kg, la dose sous-curative tuant >90% des vers adultes étant 80 mg/kg) 54 à 70 jours après l’infestation cercarienne (Type I), 27 à 29 jours après l’infestation quand les vers sont encore à un stade immature (Type II) et à partir d’hôtes infestés par des cercaires d’un seul sexe et, 2 à 58 semaines plus tard, par les cercaires du sexe opposé (Type III). Dans les trois cas, les parents sont susceptibles à la molécule thérapeutique alors qu’un fort pourcentage de la descendance survit à l’administration d’une dose curative d’hycanthone. La résistance a été observée comme métastable à différents degrés (en fonction du type d’induction utilisé) sur 10 à 21 générations. Les changements de la proportion d’individus résistants au sein de la population peuvent être drastiques, passant de 100% à moins d’un quart, et remontant ensuite à 90%, en l’espace d’une poignée de générations. Ainsi, l’héritabilité de ce phénotype ne semble pas suivre les règles classiques de la génétique mendélienne. Jansma a émis des hypothèses sur un possible phénomène héritable que l’on pourrait aujourd’hui associer à des modifications épigénétiques.

I.3.4. État de l’art des connaissances épigénétiques chez S. mansoni

L’épigénome de S. mansoni est en phase d’exploration. La présence de la méthylation de l’ADN est controversée. Elle serait globalement très faible et limitée à une fenêtre développementale très ciblée, mais il semblerait qu’elle joue un rôle au niveau de l’oviposition (Fantappié et al. 2001; Geyer et al. 2013; Raddatz et al. 2013). Les annotations du génome et du transcriptome ont montré une structure très conservée des histones et des enzymes les modifiant (Berriman et al. 2010; Protasio et al. 2012). Sur ce point, mon laboratoire d’accueil a mis au point la technique d’immunoprécipitation de chromatine suivi de séquençage (ChIP-Seq) en ciblant des modifications d’histones, sur miracidia, cercaires et vers adultes (Cosseau et al. 2009; Cosseau & Grunau 2011). Plusieurs études ont

récemment été consacrées à la caractérisation des ARNs non-codants chez S. mansoni. Elles ont dressé un inventaire des micros ARNs (miRNA) chez cet organisme à différents stades de développement (Simões et al. 2011) et identifiant éventuellement leurs cibles (de Souza Gomes et al. 2011). D’autres ont mis en évidence des différences d’expression des miRNA entre mâles et femelles adultes (Marco et al. 2013). On note de nombreuses publications sur ces ARNs non-codants chez S. japonicum (Cai et al. 2013), suggérant leurs rôles dans la maturation sexuelle des femelles chez ce parasite (Sun et al. 2014), leurs cibles possibles (Sun et al. 2014) et révélant leur présence circulante dans l’organisme de l’hôte définitif (Zhu 2015).

Un pan important de l’interaction de compatibilité/incompatibilité avec les hôtes mollusques est sous contrôle épigénétique. Bien que leur action exacte reste encore à éclaircir, les SmPoMucs (Schistosoma mansoni polymorphic mucins) sont des intermédiaires essentiels au succès d’infection de l’hôte intermédiaire. Cette famille de gènes est exprimée au moment de la pénétration dans le mollusque sous la forme de variants très divers d’un miracidium à un autre (Roger et al. 2008). Des différences génétiques existent entre les promoteurs de ces gènes, mais ne suffisent pas à expliquer la grande diversité d’expression observée. On retrouve par contre des structures chromatiniennes très conservées et héritées de manière non mendéliennes qui peuvent expliquer les différences d’expressions entre individus (Perrin et al. 2013; Fneich 2014). D’autres expériences avec la trichostatine A (TSA), un inhibiteur d’histones déacétylases, permettent d’observer un changement vers une structure euchromatique au niveau des gènes SmPoMucs. Cela se traduit par une forte augmentation de la diversité de l’expression de ces protéines chez les miracidia (contre seulement quelques variants sans l’ajout de TSA) (Cosseau et al. 2010).

L’étude des mécanismes épigénétiques chez S. mansoni vise aussi le développement de nouvelles molécules thérapeutiques (Cabezas-Cruz et al. 2014). Par exemple, l’histone déacétylase 8 du parasite (smHDAC8) est essentielle à la survie des schistosomes. Sa structure étant notablement différente de celle des vertébrés, cela en fait un bon candidat pour des inhibiteurs ciblant le parasite, mais n’ayant pas d’effets sur son hôte (Marek et al. 2013).

I.3.5. Précédentes expériences et résultats

Avant mon arrivée en thèse, l’équipe de Christoph Grunau (laboratoire UMR 5244 IHPE) avait initié plusieurs expériences visant à observer si certains changements de conditions environnementales (écologiquement réalistes) pouvaient induire des phénotypes héritables chez S. mansoni, et leurs liens avec des changements de la structure chromatinienne. Ces travaux visaient à établir des profils de quelques modifications d’histones, à l’échelle du génome, sur plusieurs stades développementaux.

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