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L'ouvrage de Maurice Blondel, l’Action, est divisé en cinq parties (dont la troisième partie au centre, « le phénomène de l'action », comporte elle-même « cinq étapes »), précédées d'une introduction elle-même en cinq étapes. On peut supposer là un projet clairement établi et défini qui répond à une certaine herméneutique92. En effet, à partir de la question existentielle qu'aucun homme ne peut éluder et qu'il se pose inévitablement : « oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens et l'homme a-t-il une destinée93 ? », Blondel expose, tour à tour, l'apparente nécessité du problème moral, la solution pratique au problème moral, le problème scientifique de la pratique, la méthode de la science de l'action et enfin la philosophie de l'action. Tout un projet. Car parcourant toute la série des démarches par lesquelles l'homme tente d'échapper aux sujétions nécessaires, Blondel va manifester une inadéquation entre ce qu'on croit vouloir et ce qu'on veut profondément, entre l'objet voulu et le mouvement spontané du vouloir, ou selon la terminologie qu'il a consacrée, entre la volonté voulue et la volonté voulante94.

Ainsi, après deux premières parties de deux chapitres chacune, et où il est établi contre l'esthétisme et le dilettantisme que l'action constitue un vrai problème et, contre le pessimisme, que ce problème admet une solution positive, on passe au cœur de l'exposé dans les trois autres parties. Celles-ci analysent, en profondeur le dynamisme, mieux la phénoménologie de l'action et aboutissent aux conclusions suivantes :

a) Insuffisance de l'ordre naturel, entendu comme l'ordre dans lequel se déploie l'action humaine ;

91 Ibid., p. 637. Voir aussi « Une soutenance de thèse » dans Maurice Blondel, Œuvres Complètes, t. I. 1893. Les deux thèses. Texte établi et présenté par Claude Troisfontaines, Paris, PUF, 1995, p.691-760. 92 « Pour arriver à cerner l'herméneutique de Maurice Blondel dans sa première période, écrit A.

Letourneau, c'est d'abord à l'Action, puis surtout aux textes produits pendant la crise moderniste, qu'il faut accorder notre attention ». Cf. Alain Letourneau, l'Herméneutique de Maurice Blondel. Son émergence

pendant la crise moderniste, Québec, Bellarmin, 1998, p.10.Voir aussi, Rosino Gibellini, Panorama de la Théologie au XXe siècle.trad. Jacques Millon, 2è éd., Paris, Cerf, 1994 ; Cardinal Paul Poupard, « Maurice

Blondel.1861-1949. L'intelligence de la foi, la sainteté au défi de l'histoire », Conférence de Carême 2003 à Notre Dame de Paris.

93 Maurice Blondel, l'Action, p. I. 94

b) Nécessité d'un ordre surnaturel, entendu comme de l'ordre de l'Absolu, du divin, du transcendant, qui seul peut donner à l'action humaine son accomplissement ;

c) Impraticabilité d'une voie d'accès au surnaturel, pourtant nécessaire, et Blondel invite à tenter la voie de la foi chrétienne, qui connait un ordre surnaturellement défini et historiquement offert comme don.

C'est dans ces conditions que l'objet de l'analyse philosophique de l'action humaine va consister à dévoiler et à élucider la disproportion intrinsèque entre la fin du vouloir (la volonté voulante) et ses réalisations effectives (volonté voulue).

Plus concrètement donc : « l'auteur [Blondel] montre d'abord qu'on ne peut supprimer le problème moral, qu'on le pose et qu'on le résout d'une certaine manière au moment où l'on feint de s'y dérober. Il se dégage ensuite des prétendues solutions négatives qui font du néant le terme apparent de l'expérience, de la science et des aspirations humaines, les affirmations positives qui y sont impliquées. Amené dès lors à définir peu à peu toutes les conditions que requiert notre action pour se développer, en constituant l'ordre scientifique, moral, social et religieux, l'auteur fait voir comment toutes nos œuvres composent le drame profond de la vie et le mènent forcément au dénouement. Ainsi, tout le développement de la pensée et de la pratique est suspendu à une alternative, question de vie ou de mort, de salut ou de perte, que la volonté humaine n'évite point de trancher, parce qu'au fond elle consent à la nécessité de la poser. Comment donc la résoudre ? Là est le point délicat, parce que la science de la pratique ne peut suppléer à la pratique même, et parce que l'homme ne réussit point, par ses seules forces, à atteindre comme une fin par ses actions voulues tout ce qui est au principe de son action volontaire. Mais sans cesser de réserver à la pratique même ce qu'elle apporte d'incommunicable enseignement, sans empiéter sur le domaine de la religion positive, il est possible de déterminer les conditions auxquelles est subordonné l'achèvement complet de notre action ; car à notre vie préside une dialectique telle que, du principe secrètement posé de nos actes volontaires découlent des conséquences inévitables ; comme la courbe commencée détermine le segment qui complète la circonférence, ainsi sont définies les conditions de l'action religieuse, et sans que l'homme y ait accès par sa pensée ou par son effort propre, l'ordre surnaturel est postulé par l'ordre naturel [...]. L’étude de l'action permet ainsi de retrouver le nœud commun de la science, de la morale et de la métaphysique ; elle étend la compétence de la

philosophie jusqu'à l'examen de la notion de surnaturel, et jusqu'à la détermination des conditions de la vie religieuse. »95

Cette approche, nous le savons, suscita des controverses. Mais, il nous revient ici de clarifier le contenu sémantique de la notion ou du concept de volonté qui est au cœur même de notre entreprise. Qu'est-ce donc cette disproportion entre volonté voulante et volonté voulue ? En quoi, leur dialectique peut elle nous être utile pour la saisie, d'une part de l'inachevabilité de l'action humaine et d'autre part de la découverte de l'Unique

nécessaire ? D'où Blondel fonde-t-il son discours sur la volonté et les implications qui lui

sont liées ? C'est à partir de cette dernière question que nous engagerons notre dialogue en revisitant, de façon suggestive les filiations philosophiques de Blondel en ce qui concerne, exclusivement, la notion de volonté. Or, il se trouve qu'il y a une influence pertinente de Maine de Biran dans la constitution du binôme volonté voulue/volonté voulante d'une part, et d'autre part une critique de front à l'égard du pessimisme de Schopenhauer (qui est d'ailleurs nommément cité dans l'Action).