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B. L’expérience féminine des militantes de l’ERP par rapport à la sexualité et à l’égalité

1. Place de la sexualité dans une guérilla sud-américaine comme l’ERP

Le contexte social pour les personnes ayant milité dans l’ERP est celui de la révolution sexuelle des années 60 marqué par le mouvement hippie, la musique rock, les Beatles, mai 68 et le festival de Woodstock. La plupart des militants de l’ERP sont jeunes et s’inscrivent dans une rupture générationnelle (cheveux longs, rock etc.). Ce sont des éléments à prendre en compte, surtout dans un pays régi par une dictature. Cependant sur le plan de la sexualité, la morale, comme nous l’avons vu, était rigide au sein de l’ERP. C’est le couple hétérosexuel qui est préconisé, et dans Morale et prolétarisation, on peut lire que l’homme et la femme sont le noyau du couple révolutionnaire. En conséquence, les militantes selon Belucci “ont dû affronter tant les objectifs démographiques de l’état que l’image de la famille fondée sur un couple monogame et hétérosexuel, suivant la logique révolutionnaire et celle du régime en place”351. Il n’y avait pas de place pour le couple de même sexe, du moins dans les écrits, peut-être y a-t-il eu des couples homosexuels, mais nous n’avons pas trouvé de témoignages qui l’indiquent. Donc un discours de “normalité” est implicite dans l’organisation révolutionnaire. Selon Marie Buscatto: “l’hétérosexualité est considérée par une partie des sociologues comme un des éléments constitutifs du genre dans les sociétés contemporaines

351 Bellucci, op.cit, p. 132. Traduction « debieron enfrentarse tanto a los objetivos demográficos por parte del estado como a la imagen de la familia basada en una pareja mongámica y heterosexual, ya desde la lógica revolucionaria ya desde el poder del régimen »

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occidentales par la découverte et l’intériorisation de la norme sociale qui fait de l’hétérosexualité la sexualité privilégiée et constitutive de normalité”352. L‘enjeu de la réproduction est aussi au coeur de cette sexualité privilégiée. L’ERP n’a pas échappé à cette recherche de la “norme”. La base de la société révolutionnaire est le couple composé d’un homme et d’une femme et de leurs enfants. En ce sens il n’y a pas de différences avec la norme de la société de l’époque.

Les règles internes de l’organisation étaient strictes concernant l’infidélité. Les réunions en cas de “crise de couple” montrent l’implication du Parti dans la vie privée des militants. Si un homme trompait sa femme (ou l’inverse), une réunion avec des haut dirigeants pouvait avoir lieu. Les points de vue sur la question sont différents selon les témoignages. Si c’est la femme qui trompe son compagnon, elle est alors considérée comme une “prostituée”. En ce sens, on constate qu’il existe des préjugés dans une société machiste où la “faute” n’est pas semblable selon le sexe. Les sanctions en cas d’adultère étaient dures. Cependant même au plus haut niveau du parti, une infidélité de Mario Roberto Santucho avec Clarisa Lea Place a constitué un moment critique et contradictoire. Santucho selon les écrits n’aurait pas été sanctionné. En revanche Lea Placea aurait été condamnée “moralement” par le parti.353 Ce cas révèle que les sanctions étaient variables selon le sexe.

La pulsion sexuelle devait donc être canalisée dans un cadre bien précis qui est celui du couple. Toutefois les guérilleros de l’ERP sont souvent considérés comme des “ascètes”, selon l’historienne Vera Carnovale. Le sexe libre n’avait pas lieu d’être, pourtant dans le monde occidental, c’était un mouvement novateur. La jeunesse de ces hommes et femmes n’empêchait pas que certains ne soient pas d’accord et le vivent comme une contrainte. L’amour et le respect mutuel au sein d’un couple révolutionnaire ont des similitudes avec les préceptes du système qu’ils combattent. Le paradoxe est clair car dans les témoignages de femmes incarcérées à l’ESMA,354on apprend que les militaires les insultaient en les traitant de “salopes” ou de “putes”, car les guérilleras étaient associées à des femmes de petite vertu. Le

352 Buscatto Marie, op.cit. pp 50-51

353 Pour Paola Martinez l’infidelité démontre un aspect de l’inégalité des rapport hommes-femmes au sein du PRT-ERP, op.cit. p.101

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viol était également une arme de guerre utilisée par les militaires au sein des centres clandestins de répression, comme dans d’autres cas dans le monde, en Afrique, en Amérique Centrale, etc355.

Néanmoins la sexualité bridée, la morale si stricte et les contraintes vécues au sein de l’ERP n’ont pas empêché les militants de vivre dans une sorte de nostalgie de ces années de militantisme. Amour libre et révolution sociale étaient deux termes antagonistes dans ce contexte.

En revanche, selon Pablo Pozzi, il existe des silences au niveau historique, ou simplement des “non dits”, par rapport à l’avortement356, la violence conjugale, les mères célibataires ou les

viols. 357. Cela signifie donc que les questions considérées comme des déviances au sein du parti ne sont pas nommées clairement. Pour quelles raisons? Peut-être pour préserver l’image lisse d’un parti où tout était “normal”. L’homme nouveau dont la conduite est irréprochable avec son égal féminin devait représenter l’idéal de cette révolution sociale. L’idéal de cet homme incarné par le Che Guevara n’avait pas droit à l’erreur et c’est aussi pour cette raison que l’historienne Vera Carnovale affirme que les militants étaient des ascètes. Pour Daniel De Santis, la position de Carnovale est exagérée, en aucun cas, il ne se considérait comme un ascète.358 L’ERP ne montrait aucune ouverture d’esprit par rapport à la sexualité, ne prônait que l’exemple du couple hétérosexuel tout en en surveillant le comportement interne.

2. Egalité des rôles au sein de l‘ERP et place du féminisme au sein de l’organisation