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Une place privilégiée aux côtés des metteurs en scène

PARTIE I. Archéologie du métier de script-girl en France

B. La script-girl au cœur du studio : entre hiérarchie et familiarité

2. Une place privilégiée aux côtés des metteurs en scène

miniature »3, dans lʼombre de tout un système, que le producteur voit en elle un

moyen de contrôler le film sans être présent sur le plateau de tournage.

2. UNE PLACE PRIVILÉGIÉE AUX CÔTÉS DES METTEURS

EN SCÈNE

Au service de tous, elle est aussi en contact avec lʼensemble des collaborateurs. Notons par exemple quʼil est dit que les script-girls « connaissent tous les artistes par leurs noms et surnoms et, très souvent, les tutoient »4. Car si les

script-girls semblent subir la hiérarchie, ce nʼest pas une généralité. En effet, dʼaprès Boisyvon, leur table est « lʼune de celles à laquelle on ne se permettrait jamais de toucher », car les script-girls sont des « personnages extrêmement importants » dont les décisions sont « parfois sans appel »5. Car « son témoignage, en toutes

circonstances, fait foi. Il est aussi indiscutable que celui de lʼarbitre sur un terrain de football »6 car « personne ne se permettrait à son endroit la moindre observation

puisque son départ provoquerait un désastre »7.

Cependant, cʼest avant tout sa proximité avec le metteur en scène qui est valorisée par la presse, comme le souligne Schencke dans lʼHebdomadaire du

cinéma dans la région Sud-Ouest en 1933, selon qui le metteur en scène est

« accompagné dʼun véritable état-major et de lʼindispensable script-girl »8. Cette

relation favorise lʼimage de la script-girl puisquʼil met en lumière sa place essentielle auprès du metteur en scène. En 1934, dans Cinémonde, Jacqueline Lenoir signe une série dʼarticles sur les « gens du cinéma », dont (dans lʼordre) le metteur en scène, lʼopérateur (selon elle, le premier collaborateur du metteur en scène), le décorateur et la script-girl. Suivront ensuite lʼassistant opérateur, le maquilleur, lʼassistant metteur

1 Jacqueline Lenoir, « Parlons un peu des "gens du cinéma" », op. cit., p. 338. 2 Pierre Heuzé, « La Femme dans lʼombre de lʼécran », op. cit., p. 172.

3 P.c.c. Jacqueline Lenoir, « En marge dʼun film... Les Cahiers dʼune script-girl », op. cit., p. 655. 4 Boisyvon, « Les physionomies du studio : la dactylo », op. cit., p. 4.

5 Boisyvon, « Pourquoi lʼon désire venir au Cinéma et pourquoi lʼon y reste ? », Mon Ciné, 23 août 1934, reproduit dans Chantecler Revue, n°21, 6 octobre 1934, p. 1.

6 S.H., « Silhouettes de coulisses : la script-girl », op. cit., p. 6.

7 Dominique Dereure, « Satellites de stars, une machine vivante : la script-girl », op. cit., p. 2. 8 J.-G. Schencke, « Lʼart de faire un film », Hebdomadaire du cinéma dans la région Sud-Ouest,

en scène et lʼaccessoiriste1, le monteur, le directeur de production et lʼingénieur du

son2, lʼhabilleuse, le régisseur et les « sans-grades »3. La quatrième place du

paragraphe concernant la script-girl dans cet article souligne, à mon sens, lʼimportance du poste au sein de lʼéquipe de tournage par rapport à celui du metteur en scène. À lʼimage de lʼarticle de Richard qui, quant à lui, place le paragraphe « la script-girl en Europe, script-boy en Amérique » juste après celui consacré au metteur en scène et avant ceux dédiés à lʼingénieur du son, au monteur sonore, au doublage, à lʼacteur de doublage, au préparateur des textes et au bruiteur4. Si lʼon en croit ces

classements, la script-girl serait considérée comme un des proches collaborateurs du metteur en scène. Dans la convention collective de 1937, la script-girl se situe après le metteur en scène, le premier assistant metteur en scène et le deuxième assistant. Ce classement nʼest ni alphabétique ni réalisé en fonction des salaires : cette position par rapport aux autres métiers montre quʼelle est rattachée au metteur en scène. Jean Vivié inclut dʼailleurs la script-girl dans « lʼétat-major » du metteur en scène avec lʼopérateur, lʼassistant et lʼéclairagiste par exemple5. Cette place nʼest pas sans

rappeler celle dʼune secrétaire, dont lʼimage sociale, dʼaprès Françoise Battagliola, « dépend du statut du patron auquel elle est attachée »6.

La relation entre le metteur en scène et la script-girl, régulièrement soulignée par les journalistes, ne lʼest pas seulement dʼun point de vue technique ou organisationnel puisquʼils aiment préciser quʼelle ne peut pas sʼarrêter à une collaboration purement professionnelle. En effet, certaines script-girls sont « attachées à un metteur en scène »7. Selon le journaliste Marcel Blitstein, la

script-girl « vit » près des metteurs en scène et producteurs : elle est une collaboratrice privilégiée. Si elle est proche du réalisateur, elle est également au service du producteur. On a vu quʼelle pouvait incarner « lʼœil de Moscou », mais elle peut également être directement à son service : « Le producteur travaille en plein air, dicte des lettres à la script-girl (la scripe-girl, dit Doumel), quand elle a une

1 Jacqueline Lenoir, « Parlons un peu des "gens du cinéma" », Cinémonde, n° 289, 3 mai 1934, p. 366.

2 Jacqueline Lenoir, « Parlons un peu des "gens du cinéma" », Cinémonde, n° 290, 10 mai 1934, p. 380.

3 Jacqueline Lenoir, « Parlons un peu des "gens du cinéma" », Cinémonde, n° 291, 17 mai 1934, p. 401.

4 A. Richard, « Les mille et un métiers du film parlant », op. cit., p. 14. 5 Jean Vivié, « La prise de vues », op. cit., p. 38-39.

6 Françoise Battagliola, op. cit., p. 67.

minute libre »1. La précision « quand elle a une minute » permet de nuancer son

attachement au producteur. La script-girl est, a priori, en priorité au service du film. Sa relation avec le producteur semble plus complexe et ambiguë, avec notamment cette idée « dʼespionne ». Ses liens avec le metteur en scène sont présentés de manière plus positive, même si cela peut déborder sur un titre « au service de ».

Ces précisions sur les relations de la script-girl avec sa hiérarchie et notamment le metteur en scène, contribuent à valoriser le rôle de collaborateur de la script-girl, en le définissant par ce quʼil a dʼexceptionnel et dʼenviable pour les lecteurs et lectrices. Toutefois, il semble évident quʼun traitement isolé aurait aussi contribué à valoriser le poste en le rendant plus autonome. Dʼaprès Jacqueline Lenoir par exemple, « neuf fois sur dix, il y a entre le metteur en scène et sa script-girl une étroite collaboration amicale qui facilite les choses »2. Lʼemploi dʼun adjectif

possessif doit ici être souligné. Sʼil accentue la familiarité entre les deux postes, il révèle lʼinfériorité et la dépendance de la script-girl. Le sentiment de proximité et la dimension familière qui ressortent de ces articles valorisent-ils lʼimage de la script-girl ? Car ce regard sympathique et proche peut aussi toutefois être interprété comme méprisant ou témoignant dʼune certaine supériorité. Là encore, on est plus que tenté de considérer que cette dernière est peut-être et avant tout victime de son genre. De nombreux indices (être « au service de » ou les références à la gouvernante) renvoient en effet à une vision genrée du métier.