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La place du pouvoir dans les explications théoriques sur les violences conjugales

2. Du pouvoir aux violences

2.2. La place du pouvoir dans les explications théoriques sur les violences conjugales

Quelle place est-elle accordée au pouvoir dans les explications théoriques des violences ? En ce qui concerne les violences dans le couple, les travaux ayant tenté d’apporter des explications théoriques à ce problème social proviennent principalement de l’Amérique du Nord, mais se développent de plus en plus dans d'autres régions du monde, notamment en Europe. Les causes des violences restreintes aux agressions physiques ont jusqu'ici reçu davantage d'attention, pour les raisons évoquées ci-dessus, mais les violences d'ordre psychologique commencent à être mieux intégrées dans les cadres conceptuels.

La plupart des modèles théoriques cherchent à expliquer l'ensemble des agressions dans la famille. Les modèles théoriques12 élaborés jusqu'ici situent les causes de la violence dans le couple à trois niveaux différents : individuel, psycho-social et sociétal.

Au niveau individuel, on trouve des explications théoriques relevant de la biologie, de la psychanalyse ou de la psychopathologie, centrées sur des dysfonctionnements personnels (abus de substances, troubles de la personnalité, maladies mentales).

Les explications d'ordre psycho-social attribuent les causes de la violence à des facteurs affectant le fonctionnement familial (stress, antécédents de violence

12 Pour une présentation plus détaillée des différentes approches théoriques, voir notamment Godenzi (1996, 51-136) ou Wallace (1996, 7- 13).

dans la famille d'origine des conjoints, type d'interactions dans le couple).

Les explications sociétales envisagent les violences comme une conséquence de normes et de structures macrosociales, telles que les inégalités sociales entre hommes et femmes ou la tolérance sociale aux violences.

Les discussions actuelles en sciences sociales s'accordent généralement pour dire que ce phénomène ne peut être expliqué par une seule théorie, et que les modèles théoriques formulés jusqu'ici sont à considérer comme complémentaires plutôt que compétitifs. Les modèles théoriques tendent à considérer que la violence résulte d'un système complexe d'influences sur le plan individuel, psycho-social et sociétal. Toutefois, des controverses agitent encore les sciences sociales, particulièrement en Amérique du Nord à propos de la prééminence de certains facteurs sur d'autres (voir Gelles et Loseke, 1993). Ces conflits reflètent le fait qu'il existe encore beaucoup de lacunes dans les connaissances de ce phénomène social. Comme tout conflit, celui-ci est susceptible soit de se cristalliser, soit de mener à un dialogue et un enrichissement mutuel.

Après avoir situé les diverses explications théoriques des violences dans le couple, il s’agit maintenant de présenter les positions théoriques relatives au rôle du pouvoir comme facteur explicatif des violences.

Le pouvoir masculin, tel qu’il se manifeste dans l'ensemble de la société et dans les rapports quotidiens entre femmes

et hommes dans le couple, est aujourd'hui largement reconnu comme un facteur décisif expliquant pourquoi les femmes sont principalement les cibles et les victimes des violences dans le couple (Dobash et Dobash, 1979; Martin, 1976; Schechter, 1990; Straus et al., 1990; Yllö, 1993).

Pour Yllö (1993), le fait de considérer les violences dans le couple sous l'angle des rapports de pouvoir et des inégalités entre hommes et femmes, à partir d’une perspective féministe, est indispensable, sans pour autant être incompatible avec d'autres perspectives théoriques, ni avec l'utilisation des méthodes quantitatives.

«My point that feminism is a necessary, but not sufficient, lens for understanding violence is a challenge to all of us to deepen our views» (Yllö, 1993, 60).

En effet, la prise en compte de la relation entre les violences et la conception de la masculinité dans nos sociétés fait défaut à maintes théories des violences (Yllö, 1993, 50).

Cependant, le pouvoir dans le couple entre également en ligne de compte dans d’autres modèles explicatifs basés sur les théories des ressources, de l’échange et du contrôle social. Il semble exister une certaine contradiction entre les modèles postulant que la violence est liée à un excès de pouvoir, et d’autres envisageant la violence comme réponse à un déficit de pouvoir (voir à ce sujet Hamby, 1996, 199).

Quatre tendances se dessinent dans les explications théoriques sur les violences conjugales, à propos de la place qu’elles accordent au pouvoir :

1) La première tendance consiste à attribuer un rôle prépondérant au pouvoir masculin dans les violences faites aux femmes dans le couple ; en l’occurrence, l’asymétrie du pouvoir au détriment de la femme serait la cause principale des agressions commises par les hommes envers leur partenaire, et la violence représente l’un des moyens utilisés par les hommes pour contrôler celle-ci (voir Hanner, 1977; Kurz, 1993);

2) A l’opposé de la première, la seconde tendance conteste directement ou indirectement (par omission) le rôle du pouvoir masculin dans la violence conjugale et accorde la primauté à d’autres explications. Par exemple, d’aucuns argumentent que les violences conjugales s’expliquent avant tout par l’incidence d’autres facteurs, par exemple des dysfonctionnements dans la communication du couple (voir Sabourin, 1996) ou l’abus de substances (voir Flanzer, 1993).

3) Enfin, d’autres modèles explicatifs des violences conjugales de type « intégré » relèvent l’importance du pouvoir conjugal tout en ne l’isolant pas d’autres facteurs explicatifs (voir Steinmetz et Straus, 1974; Miller et Wellford, 1997). Dans une perspective féministe, le pouvoir masculin est alors envisagé comme une condition nécessaire, mais non suffisante pour expliquer les violences au sein du couple (voir Heise, 1998; Yllö, 1993).

C’est au sein de cette dernière approche que se situe la présente recherche. Intégrant la perspective féministe avec les théories écologiques, Heise (1998) montre que loin d’opérer de manière isolée, les violences se développent à partir d’une configuration de circonstances, dans lesquelles la définition sociale de la masculinité et le pouvoir masculin jouent un rôle primordial, conjointement à d’autres facteurs. En effet, comment expliquer que certains hommes deviennent violents et d’autres pas ? A partir de cette perspective, la présente recherche envisage que les violences faites aux femmes dans le couple surviennent dans un contexte spécifique de pouvoir masculin, marqué par des tentatives plus ou moins directes et coercitives des hommes violents pour imposer leur volonté.

3. Le pouvoir associé aux violences: recherches