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2.1. Le poids de la volonté politique en ETP

Les médecins étaient conscients de l’existence d’une volonté politique de développer l’ETP en France. Cette volonté a été manifeste au niveau national avec le rapport présenté à Madame Bachelot en 2008 suivi de l’inscription de l’ETP dans la loi HPST en 2009 accompagnée des propositions de D. Jacquat pour le développement ambulatoire en 2010 (8,10,33).

2.1.1. Le monopole hospitalier de l’ETP

L’organisation politique de l’ETP a été largement décrite par les médecins qui ont critiqué le monopole hospitalier qui empêchait les professionnels de santé libéraux de

s’emparer de l’ETP. F. Bourdillon et al. constataient dans un article sur les politiques

publiques et les offres de soins actuelles un développement clairement hospitalo-centré de l’ETP avec des financements dédiés uniquement aux activités éducatives structurées (34). La prédominance des programmes d’ETP hospitaliers aurait une influence sur la vision de l’ETP des médecins.

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2.1.2. L’influence sur le développement des programmes de proximité

Les médecins reprochaient à l’ARS un contrôle ressenti comme excessif dans le déve-loppement de programmes de proximité. Les contraintes imposées pour obtenir un financement pour les projets d’ETP structurés étaient déplorées par les médecins. F. Bourdillon met en avant le rôle que la loi a donné à l’ARS dans la structuration de l’ETP impulsant une dynamique d’ETP régionale (34,35). La région Midi-Pyrénées en est un exemple avec la mise en place en avril 2015 d’une stratégie de développement de l’ETP de proximité inscrite au Plan Régional de Santé, en synergie et complémentarité avec les programmes hospitaliers existants (7). Néanmoins, selon A. Grimaldi : « fal-lait-il envisager une procédure lourde, bureaucratique, d’accréditation par les ARS au lieu d’une simple déclaration décrivant l’activité et son mode d’évaluation ? » (28). Les difficultés logistiques et administratives au montage d’un programme d’ETP de proxi-mité ne faciliteraient pas le développement de l’ETP.

2.1.3. L’influence sur le développement de l’ETP individuelle

Les stratégies actuelles de développement et le modèle hospitalier renforçaient une représentation de l’ETP exclusivement en groupe ressentie par les médecins comme une dépersonnalisation de la prise en charge. La relation médecin-patient individuelle est centrale en médecine libérale. Selon A. Deccache, « le médecin de famille a une légitimité à s’intéresser à la santé et non seulement à la maladie de ses patients, dans une continuité des soins, hors du champ d’action des autres professionnels de soins » (23). E. Drahi exprime comment le modèle hospitalier « n’est pas du tout le modèle de la médecine générale et les médecins généralistes qui aujourd’hui font de l’éducation en thérapeutique, je dirais reconnue, sont des médecins qui participent à des activités organisées soit dans des établissements hospitaliers, soit dans des réseaux pour des activités collectives. » (36). Selon une étude chez des médecins généralistes de la Somme, la majorité souhaitait s’impliquer mais à 74% par une pratique éducative individuelle (37). Le statut privilégié du médecin traitant est en effet une ressource à ne pas négliger (38). E. Drahi semble bien résumer la situation en disant que « ce qui est valorisé dans l’éducation thérapeutique, ce n’est pas la médecine générale mais plutôt l’éducation de groupe c’est-à-dire ce qui n’est pas l’entretien singulier… » (36).

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2.1.4. L’influence sur la rémunération

Le problème de la non-reconnaissance et donc du manque de rémunération des

actions éducatives individuelles a été opposé à la valorisation des programmes d'ETP.

Les médecins exprimaient le besoin d’une rémunération adaptée pour développer une pratique d’ETP au sein de leur consultation. Le manque de reconnaissance de l’ETP individuelle par un financement adapté dévaloriserait l’ETP auprès des médecins généralistes. P. Peytavin confirme dans sa thèse que le manque de rémunération spécifique est un frein ressenti par les médecins généralistes pour la mise en œuvre d’une démarche éducative. Elle propose la mise en place d’une cotation spécifique pour la réalisation du diagnostic éducatif (14). La mise en place d’un système de capitation pour les malades souffrant d’une maladie chronique est une option qui a été développée dans plusieurs pays tels que la Grande Bretagne (39). On peut aussi suggérer à l’image du modèle suisse une rémunération corrélée à la durée de la consultation (10). L’article de D. Peljak en 2011 montre qu’il existe un véritable besoin pour un mode de financement durable de l’ETP, afin de rendre possible une approche globale, pérenne et coordonnée de l’ETP dans l’objectif d’une démocratie sanitaire (40). Selon B. Gay, la transition nécessaire du système de santé vers les soins primaires passe par une rémunération adaptée aux rôles du médecin généraliste, qui pourrait se faire par une diversification des modes de rémunération (41).

2.2. Les différents acteurs en ETP

2.2.1. L’équipe pluridisciplinaire

L’accès à une équipe pluridisciplinaire indispensable en ETP était facilité par un pro-gramme structuré. Les médecins généralistes ne ressentaient pas tous le besoin de l’équipe pour gérer le suivi des maladies chroniques. Certains se considéraient suffi-sants dans ce suivi en particulier si la maladie était stable. Selon E. Drahi qui a publié un article sur « l’éducation de premier recours » en 2009, le cloisonnement habituel de la relation du médecin avec le patient expliquerait une difficulté d’adaptation à un tra-vail en équipe (42). Les réticences des médecins aux programmes d’ETP structurés se-raient expliquées par les difficultés à travailler avec une équipe extérieure.

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Les médecins ont proposé de s’organiser avec leurs contacts locaux pour créer une

équipe d’ETP de proximité. S. Jotterand propose une perspective intéressante avec

l’exemple concret d’une collaboration médecin-infirmier permettant un partage du suivi (43). Le développement de maisons ou pôles de santé pluridisciplinaires a été évoqué comme une option possible. Cette volonté est en accord avec une proposition du rapport de D. Jacquat qui était de « positionner les maisons et pôles pluridiscipli-naires de santé comme des structures et lieux de référence de l’ETP. » (10). L’accès facilité à une équipe dans les maisons de santé pluridisciplinaires permettrait d’intégrer l’ETP dans la prise en charge ambulatoire. Selon A. Garros, elles pourraient être le « chaînon manquant de l’organisation ambulatoire » dont la réforme est perçue comme nécessaire devant l’évolution de la démographie médicale (44). L’intérêt des médecins généralistes pour travailler avec leurs contacts montre l’importance de la confiance entre les différents acteurs d’ETP.

2.2.2. La coordination des soignants en ETP

Les médecins avaient besoin de mieux connaître les ressources en ETP, en particulier concernant les programmes de proximité. Les médecins ont insisté sur la qualité des retours transmis suite à la participation d’un de leurs patients à un programme d’ETP. Des médecins généralistes impliqués en ETP inclus dans une étude qualitative réalisée en 2011 ont décrit l’importance de la coordination avec une éducation thérapeutique collective. Ils arrivaient à un consensus pour la considérer comme un relais, un com-plément, une ressource ou une collaboration (37). Dans le travail récent de l’ARS pour l’amélioration du recrutement des patients pour les programmes d’ETP, « les partici-pants ont pu s’accorder sur l’importance de penser la stratégie de communication en amont – et non après – de la mise en œuvre d’un programme d’éducation thérapeu-tique » (7). Dans le dossier sur l’ETP coordonné par S. Bekka et le P. Ritz, qui étudie le continuum entre les programmes d’ETP hospitaliers et l’ambulatoire, H. Hanaire relève l’importance de la communication avec le médecin généraliste. Elle insiste sur le be-soin de transmettre au médecin traitant des éléments concrets tels que le diagnostic éducatif, les freins et leviers mis en évidence pour un travail sur les objectifs. Un des défis à relever est le respect du rôle de chacun dans cette prise en charge (45). Une

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complémentarité entre les programmes et les actions éducatives réalisées par le mé-decin au cabinet serait possible grâce à une meilleure communication.

2.3. Faisabilité en libéral

2.3.1. Une pratique innée au cabinet ?

Les médecins ont déclaré une pratique innée de l’ETP le plus souvent sous forme de transmission de leur savoir. A. Gachet décrit un mode de transmission vertical de connaissances comme prédominant chez les médecins (17). Selon l’enquête de

l’URML4

Midi-Pyrénées en 2010, les médecins disent pratiquer de l’ETP souvent sous forme de sensibilisation et d’information plus ou moins avec des supports écrits ; 68% des médecins ignorant le concept d’ETP déclarent la pratiquer (13). Selon le baromètre santé de 2009, pour plus de 95% des médecins généralistes, « la pratique éducative est fondée en priorité sur l’information et le conseil » (24). Les recommandations de la HAS de juin 2007 précisent qu’information et conseils délivrés par les professionnel de santé n’équivalent pas à de l’ETP (2). Le rôle du médecin généraliste en ETP ne se limiterait pas à la pratique innée que certains ont décrite.

2.3.2. Quel rôle pour le médecin généraliste ?

Les médecins généralistes s’attribuaient un rôle d’importance variable dans la démarche éducative. Les médecins moins persuadés de l’intérêt de l’ETP étaient souvent peu formés à l’ETP et non impliqués. Une enquête auprès de 182 médecins généralistes en 2013 révèle que 48% pensent que l’ETP relève complètement de leur rôle, 47% sont plutôt d‘accord, et 4% ne sont pas d’accord (46). L. Girardot dit qu’il « appartient au soignant de définir son degré d’implication dans une démarche d’ETP selon sa motivation et ses compétences ». Le rôle du médecin non impliqué est au minimum de promouvoir l’ETP auprès des patients et, avec leur accord, de les orienter vers une structure la pratiquant (47). Le médecin devrait donc avoir identifié les structures éducatives et leur rôle. Pour que l’ETP soit permanente et intégrée aux soins, tout patient doit pouvoir bénéficier d’une « éducation de premier recours ». Selon E. Drahi, ceci impliquerait au minimum une ébauche de diagnostic éducatif, la

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proposition d’une ETP adaptée et son suivi (8,42). Le médecin détermine avec le patient si le suivi peut être fait en ambulatoire avec une équipe de proximité ou s’il

nécessite une équipe spécialisée (28). Le médecin généraliste aurait un rôle de pivot

pour déterminer le parcours d’éducation adapté à chaque patient gradué selon ses besoins. Il pourrait participer à la mise en œuvre de séances d’ETP individuelle dans ses consultations.

2.3.3. La consultation dédiée : une solution au manque de temps ?

La pratique ou non de l’ETP en consultation était fortement corrélée au temps. Le manque de temps souvent lié au manque de reconnaissance financière était une des limites principales rapportée par les médecins généralistes. Ce frein était également souligné par le travail de recherche de C. Peccoux-Levorin (38). La notion d’ETP

séquentielle serait une réponse au manque de temps avec la mise en place de

plusieurs consultations, courtes, rapprochées dans le temps et dédiées au travail éducatif. Ces consultations permettraient d’engager des microprocessus éducatifs sur un axe particulier. Il serait essentiel d’expliquer aux patients l’intérêt et le but de ces temps dédiés car celui-ci ne vient pas habituellement en consultation pour une séance

d’ETP (48). La mise en place de consultations dédiées à l’ETP pouvant être répétées

dans la durée serait donc une option à développer.

2.3.4. Les actions d’ETP : une solution à l’épuisement du soignant ?

Certains médecins formés à l’ETP pensaient que la pratique de l’ETP pouvait apporter un gain de temps au long cours. L’épuisement du soignant dans la prise en charge de la maladie chronique au long cours est une réalité professionnelle qu’A. Gachet a mis en évidence. En effet le médecin a souvent l’impression de répéter les informations et les conseils sans impact sur le comportement du patient (17). Des médecins impliqués et pratiquant l’ETP en retiraient un bien-être qui permettrait de lutter contre le burn-out (49). L’ETP pourrait être une réponse à cet épuisement du soignant.

L’ETP est liée à son application dans un temps et un lieu dédié. Elle repose également sur la posture à adopter par le médecin.

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