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5.6.1. Des moyens d’action différents selon la relation entre les dommages et la localisation des émis-

sions polluantes

Quand la localisation des dommages est indépendante de celle des sources de nuisances, comme pour les gaz à effet de

serre, l’instrument le plus simple est une taxe, assise sur un indicateur commun (la tonne d’équivalent CO2) et uniforme,

applicables à toutes les activités polluantes, qu’il s’agisse du chauffage, du transport, de la rumination (CH4), de la manu-

tention des effluents d’élevage ou de la fertilisation. Pour la fertilisation azotée, la mise en œuvre d’une telle taxe se complique car le coefficient d’émission dépend fortement des conditions qui prévalent lors de la fertilisation : tempéra- ture, humidité, type de sol. De même, une taxe associée aux fumiers et lisiers en tant qu’émetteurs de gaz à effet de serre suppose un enregistrement et un contrôle coûteux des quantités d’azote concernées.

La mise en place de quotas d’émission individuels et échangeables est une alternative classique à la taxe, dans le cadre d’un quota national ou européen dégressif dans le temps. Cette alternative présente plusieurs avantages : elle permet- trait de gérer les quotas de GES azotés dans le même contexte que ceux de carbone ; les quotas initiaux pourraient être distribués gratuitement aux agriculteurs (tandis qu’une taxe leur coûte immédiatement). Son opérationnalité est plus

discutable : le marché des quotas CO2 pour les industriels gros émetteurs ne fonctionnant actuellement pas bien.

Des simulations commencent à estimer le coût de l’intégration de l’agriculture dans la politique européenne du climat, par une taxe ou par des quotas.

La création d’un marché de quotas est une option privilégiée par les économistes (cf. 4.2.4). Né de dispositions juridiques limitant les possibilités d’épandage dans les zones saturées en azote, le marché de l’épandage offre des potentialités selon la logique de l’offre et de la demande. Cependant, cette mécanique est confrontée à un certain état de fait. Par tradition mais également pour des raisons plus pratiques de coût de transport, les effluents d’élevage font l’objet d’une gestion de proximité. Or les zones concernées sont déjà fortement saturées en azote, ce qui limite de fait les possibilités d’un tel marché de droits.

Toutefois, au sein de ces zones saturées, un marché fortement régulé (réserve départementale d’azote) existe. Une de ses particularités est d’offrir un accès au foncier aux éleveurs qui, en d’autres circonstances, auraient été probablement évin- cés. Dans cette hypothèse, le dispositif est davantage une mesure de police qu’un véritable marché de droits, à l’instar de celui qui existe pour les quotas d’émission de GES.

Quand la localisation des dommages dépend de celle des émissions polluantes, la variabilité géographique des dom-

mages implique une différenciation géographique de la politique. C’est le cas de la pollution de l’eau et des pollutions de proximité liées aux sources d’ammoniac. Dans cette logique, par exemple, là où les problèmes environnementaux consé- cutifs à la pression azotée sont jugés sévères, les coûts marginaux d’abattement et la réduction des émissions pourraient être fixés à des seuils plus élevés.

Enfin, la vulnérabilité de certains milieux interdit certaines utilisations du sol, comme les cultures annuelles ou même le pâturage dans les cas les plus aigus. Dans ces cas particuliers, l’action publique pourrait nécessiter d’envisager une prise de contrôle du foncier agricole et un dédommagement des exploitations agricoles touchées.

5.6.2. Des pistes encore peu explorées

La notion de charge critique est à la base des négociations de la Convention sur le Transfert de Pollution Atmosphérique

à Longue Distance (convention de Genève, protocole de Göteborg) à propos des plafonds d’émissions pour minimiser les impacts sur les écosystèmes naturels en se donnant des objectifs quantifiés vis-à-vis du dépassement des charges critiques à un horizon temporel défini.

Cette notion de charge critique pourrait être transposable à l’ensemble des émissions d’azote d’un territoire donné, en considérant d’une part les émissions vers l’air et l’eau, et d’autre part la sensibilité des milieux récepteurs proches (écosys- tèmes sensibles, masses d’eau souterraines, superficielles et maritimes) et distants (atmosphère pour les GES et les trans- ferts à longue distance). Les politiques qui découlent du Grenelle de l’Environnement comportent une approche en termes de charge critique dans leur déclinaison vers les collectivités territoriales (décret 2011-687 du 17 juin 2011).

Les échelles les plus pertinentes seraient soit le bassin de production (logique économique), ou la petite région agricole (logique agro-environnementale), ou encore la zone source d’une cible sensible (logique environnementale : baie sensible aux marées vertes, espace naturel protégé...). Les facteurs de variation de cette charge critique sont donc non seulement les caractéristiques locales du territoire, mais également leur proximité éventuelle à des zones sensibles ou d’utilité pu- blique (zones d’approvisionnement en eau potable) via les risques de transfert horizontaux d’ammoniac et nitrate. Une telle approche permettrait de pallier les inconvénients liés à la norme uniforme des 170 kg d’azote organique (voire des 210 kg d’azote total) en proposant d’utiliser un critère plus intégrateur et de le faire varier selon les potentialités du milieu et les risques, ou éventuellement la proportion de surface en herbe à l’échelle des exploitations.

En théorie, l’efficacité de cette piste est forte, puisqu’elle permet d’adapter les efforts à consentir en fonction des enjeux environnementaux locaux, mais elle nécessiterait la mobilisation de l’ensemble des acteurs pour l’appropriation et l’ac- ceptation de la démarche, la mise au point d’un outil de calcul de cette charge et une évaluation ex-ante et ex-post des mesures adoptées.

La localisation et la réorganisation des filières sur le territoire régional ou national. Si la littérature rend compte des phé-

nomènes de concentration des filières d’élevage, il n’existe pas d’étude sur les possibilités de relocalisation partielle des productions visant à désintensifier l’élevage dans certains territoires. Pourtant l’analyse de la littérature disponible laisse apparaître des pistes, sans doute techniquement réalistes, dont il conviendrait d’analyser la faisabilité organisationnelle, sociale et économique. Les territoires d’élevage français sont en effet marqués par des différences très importantes de niveau d’excès de bilan azoté par unité de surface, certains n’arrivant pas (ou mal) à gérer des excès d’azote alors que d’autres pourraient accroître leur charge animale.

Ce constat peut aussi s’appliquer entre différents cantons dans une même région. Il y a là sans doute des compensations à trouver pour réduire les impacts environnementaux dans certains bassins de production tout en maintenant leur compéti- tivité et une agriculture dynamique sur d’autres territoires. Par exemple, l’externalisation de l’élevage des génisses issues des troupeaux laitiers de l’Ouest vers les bassins allaitants traditionnels du Grand Massif Central pourrait réduire la charge azotée à l’Ouest sans entamer le potentiel de production régional.

Le bail rural environnemental. Depuis la réforme du droit des baux ruraux par la loi d’orientation agricole du 5 janvier

2006, il est désormais possible de conclure des baux ruraux environnementaux entre acteurs privés, et aussi avec des per- sonnes publiques ou des associations de protection de l’environnement. Le bail rural à clauses environnementales est envi- sagé pour des espaces associés à la protection de l’eau (captage d’eau, zones humides…), des espaces naturels (réserves naturelles, parcs naturels régionaux…) ou pour la protection de la biodiversité (zones Natura 2000, par exemple).

Parmi les clauses environnementales, certaines ont un intérêt évident dans le cadre de lutte contre la pollution azotée (non-retournement des prairies, couverture végétale du sol périodique ou permanente...). Bien qu’intéressant, cet outil n’a encore que peu ou pas été utilisé depuis sa création.

Quel niveau d’organisation pertinent pour appliquer des mesures de régulation environnementales ? Des travaux éco-

nomiques montrent qu’il peut être efficace de cibler plutôt l’acheteur du bien produit par le pollueur que le pollueur lui-même. Dans le cas de l’élevage, on peut ainsi se demander s’il est plus efficace de cibler les mesures sur l’éleveur ou sur l’industrie des filières animales (coopératives, industries d’abattage, de découpe et de transformation ou laiteries) qui s’approvisionnent massivement auprès d’éleveurs localisés dans les cantons classés en ZES.

Les économistes développent ainsi une série d’arguments montrant que la régulation environnementale pourrait être plus efficace si elle s’appliquait également à ces acteurs. Les auteurs relèvent que les coûts associés à l’administration de la directive « Nitrates » seraient par exemple significativement plus faibles si la régulation portait sur la demande, et non sur l’offre, car le nombre d’industriels est plus restreint que le nombre d’éleveurs. De plus, le phénomène d’agglomération des élevages à l’origine des excès d’azote contribue, dans le même temps, à réduire les coûts de production des industriels des filières animales. Enfin, d’autres travaux montrent que lorsque les éleveurs et les industriels sont liés par des doubles contrats (les industriels fournissent des intrants aux éleveurs qui, eux, leur vendent leur production) l’instauration d’une taxe sur la pollution devient optimale si elle porte sur les éleveurs et sur les industriels, notamment du fait que les contrats passés n’internalisent pas l’impact environnemental des activités d’élevage.

Dernier argument avancé : les industriels des filières animales ayant des capacités financières supérieures à celles des éleveurs, ils seraient davantage incités à mettre en place des innovations valorisant mieux les rejets d’azote (et aussi de phosphore).

5.6.3. Des outils novateurs encore en débat

Les paiements pour services environnementaux (PSE). Le concept de service écosystémique a été pensé initialement pour

faire valoir la contribution de la biodiversité à la création de richesse. Le Millennium Ecosystem Assessment (2005) a ensuite proposé un classement d’une variété de services rendus par les écosystèmes. La notion de service écosystémique est définie par la directive de 2004/35 sur la responsabilité environnementale.

Le PSE s’entend, lui, comme outil de prévention ou de réparation de dommages environnementaux. La littérature sur les paiements pour services environnementaux est aujourd’hui prolixe sur le principe lui-même, mais peu développée sur son application ou l’analyse de cas. La forme privilégiée pour ces paiements semble être la voie contractuelle entre les bénéfi- ciaires et les fournisseurs de services environnementaux.

Concernant la rémunération pour services rendus sur l’eau, c’est l’exemple de Vittel qui est régulièrement cité. Néanmoins, certains aspects des PSE restent flous et la légitimité même de ces paiements discutée (ex : propriété des services vendus qui sont généralement des biens publics, prix des services, prise en compte des inconnues scientifiques, effets écologiques antagonistes…). Cette notion peut-elle contribuer à réhabiliter l’intérêt de l’épandage de matières organiques pour la qualité des sols ? C’est le point de vue de certains auteurs et le sens de certaines recherches en cours sur les sols.

La réflexion sur le statut des effluents. Les effluents d’élevage, tout en étant des engrais organiques, présentent des

caractéristiques de nature à les qualifier juridiquement de déchets. Cette qualification n’a cependant pas été retenue par la Cour de justice des Communautés européennes (2005), qui les classe dans la catégorie des « sous-produits », qui est donc leur statut réglementaire actuel. La littérature scientifique explore également peu cette thématique. Cette qualification de déchets est surtout rejetée par les agriculteurs. Pourtant, dans la conception du droit européen, la qualification de « déchets » ne vise pas à empêcher leur utilisation.

Si elle était appliquée aux effluents, loin de condamner leur potentiel fertilisant, elle l’encadrerait. La gestion des déchets repose en effet sur une hiérarchie d’actions qui privilégie dans l’ordre : la prévention, la préparation en vue du réemploi, le recyclage, puis toute autre forme de valorisation, notamment à visée énergétique, et en dernier recours l’élimination (incinération sans récupération d’énergie ou mise à la décharge). L’épandage agricole des effluents d’élevage constitue- rait, dès lors, la solution privilégiée dans cette logique européenne.

En revanche, adopter la qualification de déchets signifie aussi un régime plus rigoureux des conditions de gestion des effluents. A l’instar de l’épandage des boues des stations d’épuration, leur traçabilité, leur suivi agronomique, leurs effets 62

sur la qualité des sols, de l’eau, de l’air pourraient être exigés et la responsabilité de la filière d’épandage clarifiée. Enfin, le droit prévoit qu’un déchet peut être requalifié en « produit » dès lors qu’une opération de valorisation permet à la substance qui en résulte de retrouver la qualité de produit. Elle bénéficie alors d’un régime juridique moins contraignant. Les effluents issus d’un compostage ou d’une épuration biologique ou de tout autre traitement technologique pourraient prétendre à ce statut de « produits ».