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Pour le philosophe politique canadien Charles Taylor 144 , la problématique doit être abordée sous l’angle individuel des multiples « identités »145 qui composent désormais les sociétés

Plusieurs auteurs se sont intéressés à la question de l’identification et la catégorisation des

principales caractéristiques propres aux différentes approches étatiques concernant la

gestion du pluralisme religieux au sein d’un territoire donné. Bien que convergeant sur

plusieurs points importants – ne serait-ce que sur l’existence d’écarts majeurs entre les

différentes approches nationales – les positions de ces mêmes auteurs sont difficilement

conciliables lorsqu’on s’attarde à leurs choix épistémologiques et/ou méthodologiques. À

titre illustratif, certaines de ces positions doctrinales méritent d’être analysées

143

.

Pour le philosophe politique canadien Charles Taylor

144

, la problématique doit être abordée

sous l’angle individuel des multiples « identités »

145

qui composent désormais les sociétés

143

Le choix d’analyser les catégories établies par les professeurs Charles Taylor, Will Kymlicka, Michael Walzer, Dominique Schnapper et William Galston a été fait en nous basant sur « l’importance » (en assumant tout ce que l’évaluation de ce concept peut comporter en matière de subjectivité) des travaux de ces différents chercheurs en lien avec la thématique du pluralisme culturel et religieux au sein des États modernes. La position de plusieurs autres auteurs aurait également pu se prêter à une analyse plus particulière et le lecteur notera que nous le renvoyons aux travaux de certains d’entre eux au cours des pages qui suivront. Soulignons finalement que les catégories établies par les professeurs Rik Torfs et Christelle Landheer-Cieslak seront analysées un peu plus loin.

144 «… professeur émérite de sciences politiques et de philosophie à l’Université McGill […] Charles Taylor est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont […] , Les sources du moi : la formation de l’identité moderne (1989), Grandeur et misère de la modernité (1991), […] Multiculturalisme : différence et démocratie (1997) et A Secular Age (2007) » : COMMISSION DE CONSULTATION

occidentales modernes et qui doivent être reconnues

146

. Dans un de ses plus importants

articles, « The Politics of Recognition » publié en 1992, Taylor regroupe en deux

catégories les différentes approches étatiques en matière de gestion du pluralisme

« identitaire » (et donc, culturel et religieux) dans la sphère publique: (1) celle fondée sur le

principe d’une dignité égale pour les individus (« politics of equal dignity ») qui vise à

empêcher que certains citoyens aient plus de « droits » que d’autres sur la base de

caractéristiques personnelles

147

et (2) celle fondée sur le respect des différences

individuelles et culturelles (« politics of difference »)

148

. Toujours selon Taylor, ces deux

formes d’approches sont éminemment contradictoires :

« These two modes of politics, then, both based on the notion of equal respect, come into conflict. For one, the principle of equal respect requires that we treat people in a difference-blind fashion. The fundamental intuition that humans command this respect focuses on what is the same in all. For the other, we have to recognize and even foster particularity. The reproach the first make to the second is just that it violates the principle of non discrimination. The reproach the second makes to the first is that it negates identity by forcing people into a homogeneous mold that is untrue to them. »149

SUR LES PRATIQUES D’ACCOMMODEMENT RELIÉES AUX DIFFÉRENCES CULTURELLES,

Notes biographiques de Charles M. Taylor, [en ligne :

http://www.accommodements.qc.ca/commission/taylor-bio.html], (page consultée le 22 août 2010).

145 « Consider what we mean by identity. It is who we are, “where we’re coming from”. As such, it is the background against which our tastes and desires and opinions and aspirations make sense. If some of the things I value most are accessible to me only in relation to the person I love, then she becomes part of my identity. » : C. TAYLOR, loc. cit., note 34.

146 Taylor considère en effet que la « reconnaissance » des différences identitaires est un « besoin humain vital » [traduction libre de l’expression utilisée : « vital human need »] : Id., à la page 26.

147

Id., aux pages 37-38 et 41.

148

Id., aux pages 38-40 et 42.

149

Id., à la page 43. À cet égard, la catégorisation que la professeure Anne Saris, du Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal, a faite des approches juridiques nationales en matière de gestion du pluralisme religieux au sein des différents États du globe nous semble reposer directement sur la théorie politique de Charles Taylor. En effet, pour Saris, le point focal autour duquel il est possible de situer et comparer les différentes approches juridiques en la matière est la nature de l’interlocuteur (individuel ou collectif) avec lequel les régimes juridiques accepteront de dialoguer en ce qui concerne la protection des différentes modalités liées au respect de systèmes de valeurs, normes et prescriptions religieuses. Alors qu’à une extrémité du spectre, certains régimes juridiques nationaux limiteront la reconnaissance du « pluralisme religieux » (et la protection particulière qui lui est inhérente) à certains ordres ou dogmes religieux (« politics of equal dignity de Taylor »), Saris situe à l’autre extrémité du spectre des régimes juridiques qui reconnaissent et protègent la très grande multiplicité de « convictions religieuses individuelles » telles qu’elles sont vécues et définies par les adeptes qui les détiennent (« politics of difference »). Voir à cet égard : Anne SARIS, « La gestion de l’hétérogénéité normative par le droit étatique », dans Paul EID et al. (dir.), op. cit., note 17, p. 141, aux pages 148-164.

Toujours selon une approche « individualiste », le politologue états-unien William

Galston

150

reprend l’approche « dichotomique » de Taylor, mais l’oriente sur la portée

« effective » du droit étatique. Dans un article publié en 2004, Galston résume sa thèse

selon laquelle les approches étatiques concernant la gestion du pluralisme religieux peuvent

être distinguées en fonction de l’étendue du domaine d’application du droit étatique – et

donc des droits et libertés fondamentaux – au sein des différentes « sphères » sociales.

D’un côté, Galston classe les États qui font preuve d’un certain degré de « totalitarisme

civique »

151

en considérant, à plus ou moins forte intensité, toutes les sphères de la sociétés

(même les privées) comme uniformes et susceptibles de faire l’objet de régulation étatique

alors que, de l’autre, Galston regroupe les États qui admettent l’existence de sphères

d’autonomie individuelle et collective (pensons par exemple aux institutions religieuses) au

sein desquelles le droit étatique ne peut s’ingérer ou ne le fait, que de manière très

restrictive

152

.

Certains auteurs axent davantage leur analyse sur l’existence des nombreux types de

minorités collectives localisées au sein des différents territoires étatiques

153

. C’est le cas du

philosophe canadien Will Kymlicka qui, dans son ouvrage La citoyenneté multiculturelle,

150 William Galston est professeur à l’école de politiques publiques (School of Public Policy) de l’Université du Maryland et directeur de l’Institut pour la philosophie et les politiques publiques (Institute for philosophy and public policy) au sein de cette même université. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages importants concernant le pluralisme culturel et religieux, dont : Justice and the Human Good (1980), Liberal pluralism (2002) et Public Matters: Essays on Politics, Policy and Religion, 2005.

151 Traduction libre de l’expression : civic totalism : William GALSTON, « Religion and the limits of Liberal Democracy », dans Douglas FARROW (dir.), Recognizing Religion in a secular society: Essays in Pluralism, Religion and Public Policy, Montréal, McGill University Press, 2004, p. 41, à la page 43.

152 « Political pluralism understands life as consisting in a multiplicity of spheres, some overlapping, with distinct natures and/or inner norms. Each sphere enjoys a limited but real autonomy. It rejects any account of political community that creates a unidimensional hierarchical ordering among these spheres of life; rather different forms of association and activity are complexly interrelated.

[…]

For these reasons, among others, political pluralism does not seem to overcome, but rather, endorses the post-pagan diremption of human loyalty and political authority created by the rise of revealed religion. That this creates problems of practical governance cannot be denied. But pluralists refuse to resolve these problems by allowing public authorities to determine the substance and scope of allowable belief (Hobbes) or by reducing faith to civil religion and elevating devotion to the common civic good as the highest human value (Rousseau). » : id., aux pages 46-47.

153 Pensons par exemple à : Alain DIECKHOFF, La nation dans tous ses États : les identités nationales en mouvement, Paris, Flammarion, 2000, pp. 191-244 (Chapitre VI : gérer la pluralité nationale) ou à Michel SEYMOUR, De la tolérance à la reconnaissance, Montréal, Boréal, 2008.

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