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CHAPITRE 2 : LE POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DU PROCUREUR

2.3 L’examen préliminaire d’une situation

2.3.4 Phase quatre : les intérêts de la justice

Lorsqu’à l’issue de la phase trois le Procureur a établi que la Cour avait compétence et que la recevabilité de la situation était acquise, l’article 53 (1) c) stipule que « le Procureur examine s’il y a des raisons sérieuses de penser,

144 Règle 105-1 du Règlement de procédure et de preuve. 145 Article 53 (3) a) du Statut de Rome.

146 Morten Bergsmo et Pieter Kruger, « Article 53 », In Commentary on the Rome Statute of the

International Criminal Court. Observers’ Notes, Article by Article, sous la dir. d’Otto

Triffterer, Munich : C.H. Beck, Hart, Nomos, 2008, 1075. Voir également la Règle 108 du Règlement de procédure et de preuve.

compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice147 ». Alors que précédemment le Procureur a dû établir que les critères de compétence et de recevabilité étaient remplis pour pouvoir poursuivre son analyse préliminaire, celui des intérêts de la justice doit être invoqué afin de ne pas ouvrir d’enquête148. Plus exactement, il est considéré que ceux-ci n’ont pas à être établis pour procéder à l’ouverture d’une enquête car il existe une présomption en faveur d’enquêter, « à moins que des circonstances spécifiques fournissent de bonnes raisons de penser qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de le faire149 ». La Cour pénale internationale a réitéré récemment les conclusions du Procureur car elle a précisé « qu’il n’est pas nécessaire d’examiner cette condition et que le Procureur n’est pas tenu d’exposer de motifs ni d’éléments justificatifs à cet égard150 ».

Les intérêts de la justice sont évalués en fonction de la gravité du crime ainsi que des intérêts des victimes tel que spécifié à l’alinéa c) du premier paragraphe de l’article 53. Étant donné que lors de la phase trois, le Procureur a déterminé que l’affaire était suffisamment grave pour être recevable, le Bureau du Procureur considère que seules des circonstances pouvant être qualifiées d’exceptionnelles peuvent justifier de recourir aux intérêts de la justice pour ne

147 Article 53 (1) c) du Statut de Rome.

148 Cour pénale internationale, The interests of justice, op.cit., note 80, 2. 149 Ibid., 3.

pas procéder à l’ouverture d’une enquête151. Bien qu’il n’existe pas de définition du terme dans le Statut de Rome, son interprétation peut être faite sous l’angle du but et de l’objet du Statut. À cet égard, le Bureau du Procureur rappelle que le Préambule du Statut de Rome spécifie que les crimes les plus graves ne peuvent rester impunis en raison de la lutte contre l’impunité et que l’analyse des intérêts de la justice doit donc se faire sous ce point de vue152.

Certains auteurs affirment que les intérêts de la justice doivent être compris sous l’angle de l’impact possible des actions de la Cour sur la paix et la sécurité internationale153. Ainsi, dans le cadre de négociations de paix, invoquer les intérêts de la justice pour ne pas ouvrir d’enquête permettrait éventuellement de ne pas influer sur le résultat des négociations en cours154. Cette interprétation est rejetée par le Procureur qui stipule que

« il n’y a pas lieu de considérer que la notion d’intérêts de la justice englobe toutes les questions relatives à la paix et la sécurité. La disposition relative aux intérêts de la justice ne doit pas être assimilée à un moyen de gérer les conflits dans le cadre desquels le Procureur assumerait le rôle de médiateur dans des négociations politiques155 ».

151 Id. Voir également Kai Ambos, « The Legal Framework of Transitional Justice: A Systematic Study with a Special Focus on the Role of the ICC », In Building a Future on Peace

and Justice, sous la dir. de Kai Ambos, Judith Large et Marieke Werda. Berlin: Springer-

Verlag, 2009, 83. 152 Ibid., 4.

153 William A. Schabas, « Prosecutorial Discretion v. Judicial Activism at the International Criminal Court », Journal of International Criminal Justice, vol. 6, 2008, 749. Voir également Matthew Brubacher, « The Development of Prosecutorial Discretion in International Criminal Courts », In Atrocities and International Accountability : Beyond Transitional Justice, sous la dir. de Edel Hughes, William A. Schabas et Ramesh Thakur, Presses des Nations Unies, 2007, 150. Ou encore Jeangène Vilmer, op.cit., note 66, 136.

154 Mendes, op.cit., note 21, 31.

Les enjeux de paix et sécurité ne relèveraient donc pas, selon le Procureur, de ses prérogatives et n’auraient pas à être invoqués pour justifier de ne pas ouvrir d’enquête156.

Cela est confirmé par une interprétation du Statut puisque l’article 16 du Statut de Rome permet au Conseil de sécurité de demander à ce que la Cour sursoit à l’enquête ou poursuite en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies157. Ainsi, l’interprétation des intérêts de la justice doit être basée sur des critères juridiques et ne doit être invoquée qu’exceptionnellement en laissant les considérations politiques à la charge de l’organe politique qu’est le Conseil de sécurité. À ce jour, le Procureur n’a jamais pris de décision de ne pas ouvrir d’enquête basée sur les intérêts de la justice.

Bien que la poursuite d’une enquête constitue la suite logique d’un examen préliminaire, si le Procureur détermine qu’elle ne servirait pas les intérêts de la justice et ce, malgré la gravité du crime et les intérêts des victimes, celui-ci doit en informer la Chambre préliminaire, tel que prévu au dernier paragraphe de l’article 53 (1) et à la règle 105-4. Lorsque cette analyse avait été initialement entreprise à la suite de communications reçues en vertu de l’article 15, le Procureur doit aviser les auteurs de la communication comme le

156 Cour pénale internationale, op.cit., note 80, 9.

157 L’article 16 spécifie que « Aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ».

prévoit le paragraphe 6 de l’article 15 et la règle 49. Également, dans le cas où la situation aurait été déférée par un État Partie ou le Conseil de Sécurité en vertu de l’article 13 a) et b), le Procureur les informe de sa décision de ne pas enquêter158.

Le Statut de Rome précise que la Chambre préliminaire « peut, de sa propre initiative, examiner la décision du Procureur de ne pas poursuivre159 ». D’ailleurs, si cela devait survenir, la décision du Procureur ne serait effective que si elle a été confirmée au final par la Chambre préliminaire. Dans les cas où celle-ci conclurait qu’il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête, le Procureur devra se conformer à cette décision et procéder à l’enquête160.