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La qualité d’un bloc nerveux est fonction de la posologie utilisée et de la disponibilité de l’AL au site d’injection. Les effets cliniques propres des AL dépendent en grande partie de leurs propriétés pharmacologiques : puissance, demi-vie, ainsi que blocage différentiel sensitivomoteur.

2.6.1 Puissance de l’anesthésique local

La puissance du bloc est fonction de la liposolubilité de la molécule qui favorise la diffusion, et dans une moindre mesure de son poids moléculaire. Le caractère lipophile d’une molécule d’AL peut être modifié en changeant la taille des résidus alkyles sur l’amine tertiaire ou le noyau aromatique. La lipophilie traduit la tendance d’un composé à s’associer aux membranes lipidiques ; elle s’estime habituellement par la solubilité dans un solvant hydrophobe comme l’octanol [110]. Chaque AL est caractérisé par un coefficient de partage octanol/eau. Celui de la bupivacaïne étant le plus élevé, cette molécule est la plus liposoluble

(tableau 2). Les produits à faible liposolubilité doivent être administrés à plus forte concentration que les produits très liposolubles. Le poids moléculaire intervient également dans la puissance de la molécule. Un poids moléculaire élevé augmente la latence d’action mais aussi ralentit fortement la vitesse de dissociation entre l’AL et le récepteur [111]. Enfin, le pH extracellulaire jouerait également un rôle, la vitesse de dissociation de la molécule de son récepteur serait proportionnelle aux variations de pH. La puissance relative in vitro de chaque AL est rapportée dans le tableau 3. Il existe cependant bien souvent des disparités entre les résultats des études expérimentales et cliniques, probablement en raison d’interférences d’autres facteurs in vivo comme les effets de la molécule sur la vascularisation locale ou la redistribution tissulaire de l’AL. La lidocaïne, par exemple, étant plus vasodilatatrice que la prilocaïne, est résorbée rapidement et moins de molécules sont disponibles pour le bloc nerveux [112]. Des études évaluant la concentration minimale analgésique d’AL (technique de la MLAC) dans le cadre de l’analgésie du travail obstétrical ont montré, en comparaison avec la bupivacaïne, une puissance moindre de 40 % et de 13 % respectivement avec la ropivacaïne [113,114] et la lévobupivacaïne [115]. Cependant, dans le cadre de l’anesthésie, si l’on prend en compte des paramètres classiques tels que le délai d’installation du bloc, la durée des blocs sensitif et moteur, la consommation d’AL et d’opiacés, … aucune différence n’apparaissait entre la ropivacaïne, la lévobupivacaïne et la bupivacaïne administrés à des concentrations et des volumes identiques, aussi bien par voies caudale [116], interscalénique [117], sciatique [118], fémorale [119], péridurale [120,121]. Ainsi, à concentration analgésique (très faible), des différences de puissance peuvent être observées. A concentration anesthésique (forte), les différences en termes de puissance s’avèrent moins évidentes.

Tableau 3. Puissance relative in vitro des cinq principaux AL par rapport à la prilocaïne (d’après [4])

Médicament Puissance relativea

Prilocaïne (référence) 1 Lidocaïne 1,5 Mépivacaïne 1,5 Ropivacaïne 6 Bupivacaïne 8 Lévobupivacaïne 8

a = puissance relative de blocage de la conduction nerveuse à partir de fibres C des nerfs vague et sciatique du lapin

2.6.2 Délai d’action de l’anesthésique local

L’installation du bloc dans un nerf isolé dépend des propriétés physico-chimiques de l’AL et notamment de son pKa (qui détermine le délai d’action d’un AL). Ainsi, les AL ayant un pKa proche du pH ambiant (mépivacaïne, lidocaïne) auront un rapport forme ionisée/forme non ionisée plus faible comparé aux AL avec un pKa plus élevé. Or, c’est la forme non ionisée qui diffuse plus facilement à travers les membranes. La dose et la concentration de l’AL interviennent également in vivo. Ainsi, l’augmentation de la concentration de bupivacaïne de 0,25 % à 0,75 % réduit le délai d’installation du bloc [122]. Bien entendu, ce délai d’action dépend également de la grosseur du nerf à bloquer et donc du site d’injection. Les principales caractéristiques des AL sont rapportées dans le tableau 2.

2.6.3 Durée d’action du bloc

Compte tenu de leurs propriétés pharmacocinétiques, les AL sont classés en durée d’action intermédiaire (lidocaïne, mépivacaïne) ou longue (bupivacaïne, lévobupivacaïne, ropivacaïne) (tableaux 1 et 2). La durée d’un bloc axillaire du plexus brachial est d’environ 120 à 150 minutes avec la lidocaïne, alors qu’elle peut atteindre 10 heures avec la bupivacaïne [123]. Des durées supérieures ont même été décrites, jusqu’à 17 heures avec la lévobupivacaïne [124]. La durée d’action est conditionnée par l’intensité de la liaison au récepteur et par l’importance des stocks (liaisons aux protéines et aux graisses). Les effets vasculaires des AL (cf chapitre 2.5.1) semblent également influencer la durée d’action, dans le sens d’une augmentation aux faibles concentrations.

2.6.4 Effets des adjuvants sur ces trois paramètres

Certains adjuvants d’AL pourront avoir des répercussions sur les trois paramètres précédemment cités. L’adrénaline provoque un ralentissement de la vitesse d’absorption avec abaissement du pic de concentration plasmatique : ainsi, l’adjonction d’adrénaline aux AL est recommandée par certains auteurs systématiquement [5]. La clonidine augmente la durée et la qualité de l’analgésie par voie rachidienne. Au niveau des blocs nerveux périphériques, l’augmentation de la durée du bloc sensitif et, de ce fait, de l’analgésie est surtout nette avec les AL de durée intermédiaire (tableau 2) comme la mépivacaïne [125]. Cet effet est plus discuté avec les AL de longue durée d’action comme la ropivacaïne. Enfin, l’alcalinisation des solutions a été proposée pour diminuer la latence d’action. Ceci a notamment été étudié lors de l’anesthésie péridurale pour césarienne [126]. Le principe est d’augmenter le gradient de pH entre l’extérieur et l’intérieur de la cellule, ce qui permettrait d’augmenter la quantité de forme ionisée intracellulaire. Malheureusement, ces données n’ont pas été confirmées par des travaux ultérieurs [127-131].

2.6.5 Bloc différentiel sensitivomoteur

En pratique, l’effet recherché est bien souvent une action longue de l’AL sur les fibres sensitives (analgésie), sans répercussions sur les fibres motrices (risques de compression, de chutes, inconfort du patient…). Ceci a surtout été montré dans le cadre de l’anesthésie péridurale. Comme nous l’avons vu précédemment, les axones de petit diamètre, sans gaine de myéline, sont classiquement plus sensibles aux AL que ceux de grand diamètre et myélinisés. La nature de la fibre nerveuse (méylinisée ou non, épaisse ou mince) et les conditions de diffusion dans les structures lipidiques expliquent en partie le bloc différentiel. L’inhibition sélective des canaux sodiques (et non potassiques) peut en soi produire un bloc différentiel, car ces canaux sont très différemment répartis dans les divers types de nerfs [132]. Les AL se différencient entre eux par leur capacité à provoquer des blocs différentiels. Dans ce domaine, la bupivacaïne est l’agent le plus utile, avec une activité antinociceptive adéquate, sans inhibition profonde de l’activité motrice et ce quelle que soit la technique d’anesthésie régionale utilisée. Ainsi, deux molécules ayant des similitudes quant à leur puissance et à leur durée d’action, peuvent s’opposer au niveau du blocage différentiel [133].

III - Effets indésirables des anesthésiques locaux : données

de la littérature

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