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Bien au contraire, pour Krauss les oeuvres minimalistes qui focalisent sur la place du spectateur - et ses perceptions - dans l'oeuvre, représentent une ouverture dans la réflexion du champ artistique sculptural.

"But the fact that is essential here is that the kind of theatricality one finds in the word of Oldenburg, Morris, and Nauman is central to the reformulation of the sculptural enterprise : what the object is, how we know it, and what it 68 69

68 Michael Fried, "Art and objecthood", p.26 69 Idem, p. 24

means to "know it."70

A 11 opposé de ses intentions, la stratégie minimaliste de la théâtralité ramène au sein de 11 oeuvre toute la dimension phénoménologique de la forme dans son contexte. Krauss appuie ce report phénoménologique comme mode de saisie de l'univers.

"Ainsi, la phénoménologie redéfinit les don­ nées perceptives. Ce ne sont plus des stimuli neutres qui pénètrent le système sensoriel pour y subir un traitement point par point, mais les significations que les choses présen­ tent sous un point de vue donné."71 72

C'est Kant qui avait déjà fait valoir 11 importance des dimen­ sions d'espace et de temps dans le processus de la connaissance: il les considérait comme des formes matricielles situées au premier niveau du champ perceptif, dont sont dérivés tous les éléments.

"Et tout d'abord, ce qui organise 11 expé­ rience avant tout travail de 1'entendement, ce sont les formes a priori de 1'Espace et du Temps. A priori? Cela signifie que 11 Espace et le Temps sont antérieurs à 11 expérience et font partie de la structure même de notre esprit. " ,73

2.141 Le je philosophique

Corollairement, Kant avait tenu compte de la notion d'expérience dans le phénomène de la relation du sujet avec l'objet. Par la suite, c'est Hegel qui a élaboré une réflexion sur le lien de nécessité entre le je et l'objet. La notion d'expérience jouera

70 Krauss, Passages. p. 242

71 Krauss, "Richard Serra", p. 46

72 Jacqueline Russ, Histoire de la philosophie, de Socrate à Foucault. Paris, Hatier, 1985, p.103

73 Mais, à un deuxième niveau de connaissance, Kant pose des catégories "universelles" telles la causalité, la finalité, opérant en a priori nécessaire comme unificatrices du champ de 1'expérience, explications théoriques dont se sont éloignés les Minimalistes.

désormais un rôle important dans la quête de la connaissance: dans sa compréhension du monde, le sujet tente continuellement d1 aplanir les différences entre 11 expérience qu'il fait et le concept qu'il a de cette réalité.

"Celui-ci, à son tour, se trouve modifié par 1'expérience qui en est élaborée et ainsi de suite jusqu'à ce que concept et expérience soient parfaitement adéquats l'un à l'autre. Cette coïncidence définit l'idée concrète et le savoir absolu."74

Par la suite, Husserl affirme que la chose n ' existe pas en dehors de la conscience du sujet, tributaire de 1'expérience qu'il a de la réalité. Ce philosophe s'attarde à la perception comme inscrite dans "le flux vécu de la présence"75 et comme dérivée de données sensorielles bien plus larges que les données logiques. C'est 1'abandon de la croyance en une réalité en soi, absolue, en dehors de la conscience...Mais la conscience ne peut être totale et objective.

"Il faut dire, au contraire, que la con­ science est toujours visée intentionnelle d'un objet. L'image qu'on doit lui appli­ quer pour la comprendre n'est pas celle du récipient ou du contenant d'un contenu, mais celle d'un phare qui illumine."76

Les choses se passent comme s'il y avait entre la conscience et la réalité observée une lumière. Or les visées du faisceau lumineux peuvent être aussi variées dans le sens de la conscience à l'objet que dans le trajet inverse.77 Il y a une transitivité de la perception. La perception englobe ce qui est saisi par tous les sens, en tenant compte des multiples visées

74 Alphonse de Waelhens, "Phénoménologie", Encyclopaedia Universalis. tome 18, p.21

75 Ibidem 76 Idem, p. 22

77 Image faisant référence aux théories anciennes de la vision cherchant à savoir si le rayon lumineux est produit par l'oeil ou engendré par l'objet.

du sujet et des apparences de 11 oeuvre. Oui, l'observateur change de points de vue continuellement, et il voit comment il est vu. Il est à la fois sujet et objet. "L'énigme tient en ceci que mon corps est à la fois voyant et visible."78 Il deviendra donc le sujet de la sculpture aussi.

Pour les phénoménologues, il y a dans le voir plus qu'une intervention de l'oeil, mais encore celle du corps entier. On y trouve de plus 1'intervention de la partie intuitive de l'esprit qui cherchera les structures de signification des données de l'expérience. C'est grâce à l'imagination, qui nourrit l'intuition, que le regardeur en vient à élaborer "une série d'ontologies régionales, matérielles ou formelles."79 On retrouve ici une connexion directe au savoir postmoderne, qui tient de la localité et de la paralogie. Finalement il faut spécifier que "la conception phénoménologique de la perception aussi ne prend pas modèle sur la conception psychologique de ces mêmes notions"80; c'est l'expérience comme phénomène philosophique qui est le sujet d'étude et le catalyseur de la créativité minimaliste. Et la perception est le croisement de la subjectivité d'un regardeur avec la subjectivité de l'autre et de ceux-ci avec la rationalité, qui constate l'interaction des expériences. On abat conséquemment l'apparente contradiction qui existe entre l'apologie de l'expérience d'une oeuvre et le désir minimaliste de produire des oeuvres qui soient toute extériorité.

C'est à l'instar du philosophe français Merleau-Ponty que les Minimalistes suggèrent des expériences perceptuelles nouvelles

78 Maurice Merleau-Ponty, L'oeil et l'esprit. Paris, Gallimard, 1985, p.18

79 de Waelhens, loc. cit. , p.22

qui se situent plus près de la mise au jour des effets du voir sur la conscience que de la révélation de 11 idée anachronique d'une réalité objective. C'est 1'impératif du retour aux choses, au noeud qui lie le sentant avec le senti, au chiasme de la sensibilité étendue..."Le chiasme est un rapport de croisement et d'échange."81 82 Le but de l'art postformaliste est de favoriser l'art du percevoir.

"Through this approach the sculpted form is not an end in itself, but only the means - the vehicle - by which perceptual experience are made possible.1,82

Cette expérimentation ouvrira sur une connaissance ébauchée par un sujet en perpétuelle mutation dans le continuum espace/temps. La signification de 11 oeuvre aura les propriétés de 1'événement porteur des expériences vécues dans le flux de la durée et inscrites dans un lieu.

81 Krauss, "Richard Serra", p. 52

82 Jack Burnham, Beyond Modern Sculpture. Braziller, 1968, p.174

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