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Peter Krausz est un artiste québécois, né en 1946 en Roumanie, qui a immigré en 1970 au Canada. Depuis, il vit et travaille à Montréal. C’est durant les années 1980 qu’il est reconnu sur la scène artistique montréalaise. Il devient conservateur, de la galerie du Centre Saidye Bronfman, ainsi que professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal. C’est à Bucarest, de 1964 à 1969, qu’il étudie à la Faculté de peinture murale à l’institut des Beaux-Arts. La capitale roumaine forme en ce sens l’artiste à créer des œuvres de très grands formats, dominant le spectateur tout en l’englobant. Ces murs de peinture sont comme une « fenêtre ouverte sur le monde », selon les mots de Leon Battista Alberti.

Si on connait l’artiste pour ses paysages, on le connait également pour ses portraits, ses dessins, ses pastels et ses installations. La route qu’il a dû emprunter pour arriver jusqu’au Canada et dont il parle librement avec ses élèves de l’université, n’a pas été facile et influence sa démarche artistique. Plus qu’une introspection sur sa vie, plus qu’un portrait autobiographique, il dessine un monde en mouvement, semé d’embuches et où il faut faire face à l’adversité. Il ne s’agit pas de simples paysages paisibles, mais de la représentation de chemins offerts aux spectateurs et des choix qui sont figurés devant lui. Bien calme et silencieuse en apparence, il s’agit d’une peinture tumultueuse qui parle de nous, de l’homme en général et des choix qu’il doit effectuer. Son parcours personnel, la mémoire, le devoir de mémoire et le souvenir sont ainsi des moteurs de création pour l’artiste. Il s’engage sur des terrains actuels et sur des sujets qui le touchent et le motivent. Par exemple, pour son installation (No)Man’s Land de 2010, il parle ouvertement de la situation de l’île de Chypre, déchirée entre la Grèce et la Turquie. Il mentionne également, pour ne citer qu’un autre exemple de la situation en Roumanie, qu’il a dû fuir à l’âge de 24 ans, ce qu’il figure dans son œuvre de 1987 intitulée Miserere97. L’artiste fait référence à l’ordre de l’intime et de la mémoire collective, de ce qu’on ne doit pas laisser tomber dans l’oubli. En ce sens, il reste définitivement attaché à son histoire, pour produire des œuvres qui questionnent constamment un monde en pleine mutation et en mouvement.

James D. Campbell, Peter Krausz: Sites 1984-1989, the Robert Mclaughlin Gallery, 97

S’il est reconnu pour ses paysages dont la technique est parfaitement maîtrisée, il montre également que sa technique classique du portrait est tout aussi importante. Les portraits de ses parents, les autoportraits qu’il réalise, témoignent d’une approche psychologique profonde grâce aux jeux de regards. En outre, que ce soit pour des peintures de paysages, pour des installations ou pour des dessins et portraits, nous voyons que l’être humain est au cœur de sa création. Ces paysages vides, seuls, sont à l’image de ses dessins, en plein questionnement. Il cherche à capter une atmosphère, un instant, une ambiance.

Ainsi, l’œuvre de Peter Krausz intitulée Portrait de l’artiste à 87 ans représente le buste d’un vieil homme, nu, un corps victime de l’oeuvre du temps, inscrit dans un cadre sombre où seule une ouverture permet d’éclairer l’espace. Le personnage paraît être dans le coin d’une pièce, regardant vers le bas, peut-être assis, peut-être debout. La technique utilisée est celle du fusain, du dessin à la mine de charbon, qui donne une ambiance floue à l’ensemble de l’oeuvre. On ne sait où se placer: dans le passé ? Le présent ? Ou bien le futur ? Les coups de crayon effectués de manière rapide pour la création d’un espace dans lequel s’inscrit la figure, tandis que la figure est représentée avec soin, délicatesse. Le corps du vieillard est si détaillé que l’on pourrait sentir les grains de la peau, rugueux. Les sens sont convoqués dans cette image, en particulier le toucher. L’œuvre semble être en réalité une sorte de projection dans le futur. Une projection de ce à quoi l’artiste ressemblerait lorsqu’il aura atteint l’âge de 87 ans. On trouve, dans le coin supérieur gauche, une ouverture, une fenêtre ouverte vers l’ailleurs. Or, le personnage ne regarde pas l’ouverture en question. On remarque que l’architecture, le lieu dans lequel la figure est inscrite, sont très peu détaillés par rapport à la figure humaine qui occupe la majeure partie de l’espace. Une attention particulière est mise en avant sur ce visage ridé, bouffi par le temps, sur une barbe mal taillée, sur des cheveux cassants ou presque inexistants et sur des oreilles tombantes. Mais ce qui choque le spectateur, est la mise en avant de ce corps. C’est le corps qui semble vraiment donner comme indication l’épreuve du temps et la solitude. Il nous indique le vécu de l’homme isolé dans un coin, pris en plein moment de réflexion. L’ensemble de l’œuvre rend compte d’une atmosphère lourde et étouffante. L’ouverture qui pourrait être synonyme d’espoir, de projection, semble réduite à son fonction d’éclairage de l’espace presque scénique.

Enfin, cette œuvre intitulée Portrait de l’artiste à 87 ans s’inscrit dans cette démarche de réflexion, sur le temps, sur le devoir de mémoire, propre à la démarche artistique de Peter Krausz. Il représente la fragilité, le temps passé et rend compte d’un moment présent - celui d’une sorte de compte rendu - et d’un moment futur - puisque celui-ci ne s’est pas encore produit. On retrouve une figure profondément humaine, qui n’est pas idéalisée, mais qui exprime une réalité: celle de notre échéance à tous et de la solitude par laquelle on doit passer pour y arriver.

Bibliographie

Campbell, James D. Peter Krausz: Sites 1984-1989, the Robert Mclaughlin Gallery, Oshawa, 1984.

Galerie de Bellefeuille, Peter Krausz, 2010.

Roy, Denyse. Peter Krausz: les paysages, Musée d’Art de Joliette, 1999.

Avram, Horia, Florence Chantoury-Lacombe et Peter Krausz, (No)

man’s land, publié par Peter Krausz, 2010.

ALICE PERRON-SAVARD