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II. Perturbation de la production et de la perception de la parole normale

II.2. Perturbation de la perception de la parole

La perturbation de la production de la parole peut entraîner des réajustements immédiats, afin de maintenir un message linguistique clair. Néanmoins, il est opportun d’examiner la dimension perceptive en relation avec ses facteurs perturbateurs. Ainsi,

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nous proposons dans cette partie d’étudier les possibles réajustements et stratégies de compensation que le locuteur est capable de mettre en place lorsque c’est ce système de perception de la parole qui est perturbé. Il s’agit dans cette section, comme dans la précédente, de n’étudier que les procédés de perturbation non pathologique.

II.2.1. Le feedback auditif et son rôle

On parle de feedback auditif ou d’exteroception pour désigner le retour qu’un locuteur a de sa propre voix. Ce retour est notamment utilisé par chaque locuteur pour contrôler certains paramètres de la parole. Afin de mettre en avant son importance, de nombreuses recherches ont tenté de perturber le feedback auditif dans le but d’étudier les conséquences éventuelles de cette perturbation sur la production de la parole.

L’une des premières recherches menée sur le sujet était celle de Lombard (1911) qui a mis en avant la relation entre l’intensité sonore d’un environnement, où se trouve un locuteur, et l’intensité sonore de sa propre voix. Plus exactement, et comme nous allons le voir plus bas Lombard (1911) a montré qu’en milieu fortement bruité, un locuteur va augmenter l’intensité de sa voix. Ce phénomène de régulation d’amplitude de la production vocale, en fonction du bruit, est depuis connu sous le nom de « l’effet Lombard ». Cette découverte, probablement considérée comme naïve aujourd’hui, atteste néanmoins de l’étroite relation qu’entretiennent production et perception de la parole. En effet, il ne s’agit pas uniquement pour un locuteur d’être intelligible, mais encore de pouvoir bénéficier de son propre feedback auditif pour vérifier en ligne la cohérence de ses propres productions.

Ces résultats s’inscrivent également dans le paradigme de la perturbation et des réajustements en production et en perception de la parole, la perturbation étant cette fois introduite au niveau de la perception. On a pu observer qu’une perturbation de la perception peut avoir des conséquences directes sur la production du locuteur.

D’autres travaux (Lee, 1950 ; ou Yates, 1963 par ex.) ont montré qu’un feedback retardé pouvait également avoir des répercussions sur la parole. Il semble donc important de traiter également, dans cette partie, les différentes formes de perturbations de la perception de la parole et les conséquences qu’elles peuvent éventuellement avoir sur la production de la parole.

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II.2.2. Effet Lombard et milieu bruité

L’effet Lombard permet d’étudier l’importance de la situation de communication qui peut également se révéler être une source de perturbation et de réajustement en production de la parole. Cet effet part du constat que l’intensité phonatoire d’un locuteur augmente lorsque son feedback auditif est diminué, du fait d’un bruit ambiant ou du port de protections auditives par exemple. D’après Lombard (1911), « Le locuteur, qui n’entend pas mieux sa propre voix que les bruits extérieurs, s’efforce de remédier à cette audition défaillante en augmentant l’intensité du son glottique » (p.108). Les causes de cet effet sont tantôt interprétées comme un simple réflexe physiologique, tantôt comme une accommodation aux exigences de clarté dans une situation de communication donnée.

Communiquer en milieu bruité aurait des conséquences diverses à la fois sur le plan acoustique et sur le plan articulatoire. Sur le plan acoustique, on retiendra un ralentissement du rythme, une élévation de l’intensité, mais également de la fréquence fondamentale et une modification des formants (Junqua, 1992). Une accentuation des gestes labiaux, indices importants en lecture visuelle Benoit et al. (1992), mais aussi une hyperarticulation globale (Bailly, 2010) sont notées sur le plan articulatoire.

Les effets compensatoires de la communication en milieu bruité sont également à rapprocher des effets que l’on peut relever en parole criée, même si l’effet Lombard ne conduit pas systématiquement le locuteur à hausser sa voix jusqu’à crier. En effet, les conséquences de la parole criée ne se résument pas à une amplification des mouvements produits en parole normale, mais plutôt en une réorganisation globale du timing des mouvements des articulateurs (Schulman, 1989).

Les réajustements provoqués par l’effet Lombard montrent qu’il est également possible de perturber la production de la parole de façon relativement naturelle en perturbant le feedback auditif, et donc la perception de la parole.

II.2.3. Feedback différé ou DAF (Delayed Auditory Feedback)

Outre l’altération du feedback auditif par le bruit, il est également possible d’agir sur le feedback en le retardant. Cette méthode, notamment utilisée dans le traitement de certaines pathologies comme le bégaiement et l’aphasie, aurait un impact sur la production de la parole chez des sujets sains. Cette technique consiste à faire parler les

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participants munis d’un casque dans lequel ils perçoivent le retour de leur propre voix, en le retardant de 5ms à 200ms, par exemple.

Les conséquences du feedback retardé ont été étudiées dans un grand nombre de recherches, et cela depuis de nombreuses années. Ainsi, (Yates, 1963), par exemple, rapportait que les locuteurs, sur lesquels le DAF avait été testé, tendaient notamment à allonger la durée des voyelles, à répéter certaines consonnes et à augmenter l’intensité des répétitions. Il conclut en observant que les erreurs commises par les locuteurs sous ces conditions de parole sont proches des disfluences des personnes qui bégaient et propose alors sa méthode comme un moyen de comprendre le bégaiement.

Cette recherche n’est pas isolée dans la mesure où, de manière générale, la littérature confirme que retarder le feedback chez un sujet non-pathologique aurait tendance à augmenter significativement les troubles de la fluidité verbale (Stuart, et al. 2002). Plus précisément, ces auteurs ont observé que plus le feedback était retardé, plus le nombre de disfluences était important. En outre, ils ont constaté que cet effet était également lié à la vitesse d’élocution, étant donné que les conséquences d’un DAF auraient tendance à être d’autant plus importantes que le locuteur est obligé d’augmenter sa vitesse d’élocution. Les auteurs concluent toutefois leur recherche en signalant bien que, même si les locuteurs sains sont significativement plus disfluents sous DAF, ils le sont toujours moins que les locuteurs bègues, dont le feedback n’a pas été retardé.