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B. Les étapes du processus d’examen des preuves

1. La pertinence des preuves

Bien que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne fasse pas mention du critère de la pertinence et qu’il aurait été utile d’édicter une prescription claire à cet effet152, il s’agit néanmoins d’une obligation implicite à toute instance juridictionnelle153. Afin qu’une preuve soit jugée pertinente, deux conditions doivent être remplies. Il faut d’abord qu’elle soit reliée directement ou indirecte- ment à un fait faisant l’objet d’un débat et que cette preuve per- mette de faire progresser l’enquête154. Ensuite, cet élément de preuve doit être de nature à établir ou à rendre probable l’existence ou l’inexistence passée, présente ou future du fait litigieux155. Pour évaluer la pertinence d’une preuve, le tribunal administratif prend en considération les questions de droit qui relèvent de sa compé- tence spécialisée qui lui a été attribuée par la loi, car ce sont d’abord les textes juridiques qui déterminent ce qu’il faut prouver.

Devant la SPR, l’analyse de la pertinence des preuves documen- taires n’est pas fréquente. Ce phénomène est à la fois relativement normal – lorsqu’on tient compte du fonctionnement d’un régime de

152 Par exemple, les dispositions législatives applicables dans le cadre d’un proces-

sus décisionnel devant le Tribunal administratif du Québec prévoient expressé- ment ce critère. Voir : Loi sur la justice administrative, précitée, note 13, art. 137 et 139.

137. Toute partie peut présenter tout moyen pertinent de droit ou de fait pour la

détermination de ses droits et obligations.

139. Le Tribunal peut refuser toute preuve qui n’est pas pertinente ou qui n’est

pas de nature à servir les intérêts de la justice..

153 Hollington c. Hewthorn and Co. and Ministry of Housing, précité, note 5, 594; Re Bortolotti and Ministry of Housing, (1977) 15 O.R. (2d) 617, 628 (C.A.). Y. OUEL-

LETTE, op. cit., note 4, p. 295.

154 R. c. Cloutier, [1979] R.C.S. 709, 731 : « […] there must be a connection or nexus between the two which makes it possible to infer the existence of one from the existence of the other. One fact is not relevant to another if it does not have real probative value with respect to the latter ».

155 Clark v. Stevenson, (1865) 24 U.C.Q.B. 200 (C.A.); R. c. Perry, [1945] 4 D.L.R.

762, 765 (C.A. I.-P.-E.). Sur cette question, voir : J. SOPINKA, S.N. LEDERMAN et A.W. BRYANT, op. cit., note 1, § 2.38.

preuve libre – et étonnant. Il est normal dans la mesure où les objections à la recevabilité des preuves, fondées sur leur manque de pertinence, sont rarement accueillies dans le cours d’une audience devant les tribunaux administratifs156. Cette situation résulte en partie du constat selon lequel le décideur possède une connais- sance insuffisante des faits au moment de l’audience. Il n’est donc pas en mesure de prendre une telle décision interlocutoire durant l’instance, sans craindre de porter atteinte à la validité du proces- sus décisionnel157. En effet, puisque le tribunal ne connaît pas tous les renseignements sur l’affaire avant l’audience, il serait impru- dent de ne pas recevoir une preuve dans ces circonstances.

Toutefois, ce n’est pas parce que le tribunal reçoit une preuve que cela signifie qu’elle est pertinente. Au moment du délibéré et de la rédaction des motifs, alors que le décideur comprend mieux la situation spécifique du demandeur, la pertinence des renseigne- ments qui ont été reçus en preuve lors de l’audience ne s’imposera peut-être plus d’évidence au stade du délibéré. Tout comme les faits soumis en preuve par le demandeur lors de son témoignage, la per- tinence des renseignements contenus dans les documents publics

156 Il arrive aussi que les décideurs accueille l’objection sous réserve durant

l’audience et attendent le délibéré pour faire une détermination finale sur celle- ci. Par ailleurs, les documents publics sont, à première vue, pertinents à la demande du statut de réfugié puisqu’on y trouve des renseignements généraux et précis expliquant le contexte relatif à la demande. Il n’y aurait donc pas lieu de s’objecter à ce qu’ils soient déposés en preuve durant l’audience, d’autant plus que cette information est grandement utile puisqu’elle peut servir à accé- lérer le déroulement des débats. Elle peut donc servir à éviter que de longs détours ne soient franchis en début d’audience afin justement d’expliquer le cli- mat général dans le pays de provenance du demandeur du statut de réfugié. De plus, on pourrait même affirmer qu’elle est nécessaire dans le cadre d’un pro- cessus de nature inquisitoire. La demande du statut de réfugié en est un exem- ple. Les événements menant une personne à demander la protection d’un autre État que celui de sa résidence se produisent à l’extérieur du Canada. Si le déci- deur a des doutes sur la véracité du récit du demandeur, il lui est généralement impossible de faire venir des témoins capables de corroborer ou de contredire les faits mis en preuve par le demandeur et relatifs à sa crainte de persécution. La preuve corroborante ou contradictoire est donc difficile à faire par des moyens directs (outre le témoignage du demandeur). Toutefois, il reste qu’au terme de l’audience, les décideurs doivent connaître tous les faits pertinents pour être en mesure de prendre une décision éclairée.

157 Puisque la pertinence est une question de droit (R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9)

donnant ouverture au contrôle judiciaire, les tribunaux sont généralement peu enclins à se prononcer sur cette question durant l’audience.

ne doit pas avoir été préjugée, même si cela est commode du point de vue de l’efficacité administrative. C’est précisément sur ce point que le traitement des preuves par la SPR est étonnant parce qu’il y a peu de motifs dans lesquels les commissaires portent un juge- ment sur leur pertinence. Pourtant, il s’agit de la première étape du raisonnement juridique guidant l’évaluation de la question de savoir si le demandeur s’est déchargé de son fardeau de preuve. C’est en utilisant le concept de pertinence qu’il est possible de faire le tri entre les preuves qui seront écartées et celles qui seront con- servées pour les fins d’en examiner leur force probante. Si, au moment du délibéré, il appert que la preuve n’est pas pertinente, le commissaire ne peut pas l’utiliser dans les motifs de sa décision. Agir contrairement à ce principe constitue une erreur de droit car la preuve non pertinente n’a pas de poids. Comme le soulignent Sopinka et Lederman, la pertinence de la preuve doit être distinguée de l’éva- luation de la force probante de la preuve. En effet, le droit canadien ne reconnaît pas de « degré de pertinence », contrairement au droit anglais158.

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