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II. Question de recherche et méthodologie

II.2. Méthodologie

II.2.4. La pertinence du cadre théorique retenu pour la recherche

Les doctrines convoquées comme cadre théorique de la recherche soutiennent une approche ouverte du droit ; elles autorisent toutes à des degrés divers la multipolarité du droit et donc ont une analyse critique de la prétention unipolaire ou hégémonique du droit positif formel étatique.

Tout d’abord, les théories du pluralisme juridique constituent un support théorique rigoureux et appréciable pour renouveler la conception de l’accès à la justice. Comment le pluralisme juridique pourrait-il renouveler l’appréhension de l’accès à la justice ? Il est possible de découvrir plus d’un lien entre la problématique de l’accès à la justice et la théorie du pluralisme juridique. Si l’on considère qu’une des tâches majeures de la sociologie du droit est de mesurer l’impact de la mise en œuvre effective de la régulation juridique, étatique ou non étatique, sur les rapports sociaux105, le pluralisme juridique

qui se rattache à la sociologie du droit, permet une autre analyse de la problématique de l’accès à la justice et envisage d’autres réponses pour son amélioration ainsi que pour l’évolution de la procédure civile. Il permet que le concept d’accès à la justice ne soit plus réduit aux questions d’accès au juge, d’aide juridique, ni même simplement à l’intégration des MARC ou modes de PRD dans les pratiques juridictionnelles ce qui

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constitue la tendance récente des réformes visant à améliorer la procédure civile ainsi que l’accès à la justice.

Au fond, plus que par les réponses qu’il offre, n’est-ce pas par la démarche que le pluralisme juridique préconise qu’il est pertinent pour notre recherche ? N’invite-t-il pas à se poser la question de la part respective de l’État et des autres instances de pouvoir dans la régulation des sociétés contemporaines106? Il engage à identifier les

différents modèles de régulation juridique existants dans une société multiculturelle comme le Canada, à mesurer l’influence respective des modèles étatiques de la loi, du règlement ou encore du procès et des autres modèles extraétatiques dans les groupes sociaux pour repenser l’accès à la justice, pour réformer la procédure civile.

Le pluralisme juridique n’est-il pas aussi pertinent parce que, d’une certaine manière il nous contraint à repenser les postulats de ce que les auteurs107 qualifient d’« idéologie

de la modernité », à savoir une société basée sur le centralisme108, le monisme109 et le

positivisme110? Le pluralisme juridique, n’est-il pas encore pertinent pour notre thèse,

dans la perspective d’une société multiculturelle111 pour penser l’accès à la justice ? Il

permet l’intégration des divers ordres juridiques issus de la diversité culturelle pour penser autrement l’accès à la justice et dépasser l’approche républicaine dominante du concept pour faire évoluer la procédure civile. Ne serait-il pas aussi un outil pour résoudre les conflits interculturels par la coordination intégrée des normativités qu’il prône ?

106 J.-G. BELLEY, préc., note 97, p.28; Pierre NOREAU, Droit préventif, le droit au-delà de la loi, Montréal,

Éditions Thémis, 2016.

107 R. A. MACDONALD, « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques

avancées », préc., note 12, p. 133.

108 «Le centralisme postule que le droit soit exclusivement rattaché à l'État politique, qu'il soit un

assemblage systémique de règles de conduite générales, abstraites et objectives, et que seuls les tribunaux juridictionnels officiels qui tranchent les litiges soient les garants de son intégrité», Id., n°6.

109 Id., p. 136 et suiv.

110 Ce terme est pris dans le sens où il renvoie à l’idée que le droit est toujours le produit d'une activité

explicite d'institutions telles que la législature. Voir R. A. MACDONALD, « L’hypothèse du pluralisme

juridique dans les sociétés démocratiques avancées », préc., note 12, p. 133 et suiv.

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Ce n’est pas uniquement par son ouverture au multijuridisme que le pluralisme juridique peut innover dans la conception de l’accès à la justice, sa pertinence ne se retrouverait-elle pas aussi dans le fait de remettre le citoyen au cœur du concept d’accès à la justice ?

Ensuite, les théories des systèmes sont particulièrement indiquées dans le projet d’élaboration d’un nouveau modèle de régulation sociale qui est exploré dans la thèse. En effet, ces théories poursuivent des réflexions intéressantes relativement à la coordination entre droits, elles sont des instruments pertinents pour le repérage d’éléments de complémentarité entre systèmes et leurs analyses rejettent l’attitude qui consiste à s’enfermer dans le déni des autres systèmes de régulation ou l’affirmation de l’hégémonie du système juridique étatique. Tous ces éléments sont des outils théoriques bien utiles lorsqu’on postule comme la thèse le fait le caractère consubstantiel de la fragmentation du droit112. Les théories des systèmes ont éminemment mis en exergue

ce constat.

Les théories des systèmes sont encore pertinentes par l’intérêt qu’elles portent au foisonnement normatif du champ social. Elles constituent une grille d’analyse innovante sur la complexité du monde vécu et le défi de la régulation des rapports sociaux. Ces théories, notamment par la grande considération accordée à la production normative extraétatique ainsi que la relativisation de la contrainte étatique dans la reconnaissance du droit, constituent un cadre théorique adéquat pour rendre intelligible le nouveau modèle de régulation sociale élaboré dans le cadre de la thèse.

Enfin, les théories du réseau ont pour point commun avec les théories du pluralisme juridique et des systèmes la reconnaissance du fait que la production du droit tout comme la régulation sociale ne peut être uniquement limitée à l’activité étatique. Ce choix épistémologique est utile quand vient le temps des réflexions sur la coordination

112 Andréas FISCHER-LESCANO et Gunther TEUBNER, « Collisions de régimes : la recherche vaine de

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et la complémentarité des différentes normes et procédés de régulation sociale. Les théories du réseau ne se donnent pas pour but de combattre la fragmentation du droit113

ni de poursuivre et de soutenir une impossible unité du droit. Les théories du réseau permettent de comprendre les évolutions actuelles du droit et de la matière que représente la procédure civile. Les modes extrajudiciaires de PRD y ont de nos jours une influence indéniable, soutenant le passage du centralisme et de l’approche institutionnelle hégémonique de la justice à une approche décentralisée, multipolaire et de complémentarité entre les modes participant à celle-ci.

L’approche des théories du réseau sert à comprendre la façon dont des sphères autonomes de la société établissent des normes et résolvent des conflits ; formulé de manière plus concise, comment ces sphères participent-elles à la régulation sociale ? Le réseau a l’avantage de permettre la configuration d’un système, en occurrence le système de justice au travers des interactions qui mettent en contact les différents points de celui-ci, de divers processus de régulation sociale et leur optimisation. L’influence des sciences économiques fait que les théories du réseau tendent souvent également à atteindre l’efficience, l’optimisation des ressources et des échanges entre les multiples acteurs du réseau.

Les théories du réseau paraissent opératoires114 pour exprimer la coexistence, la

coordination et même la complémentarité115 entre d’une part une pluralité de foyers

normatifs (les sous-systèmes envisagés par le systémisme) et d’autre part une diversité de modes de résolution des conflits, le tout dans le contexte d’une entité étatique telle que l’étudie la thèse. Le concept de réseau permet de concevoir le concours d’action d’une pluralité de procédés de règlement des conflits qui ont en commun l’objectif de fournir des réponses aux demandes de justice des citoyens puis de la réaliser

113 Andréas FISCHER-LESCANO et Gunther TEUBNER, « Collisions de régimes : la recherche vaine de

l’unité juridique face à la fragmentation du droit mondial », préc., note 112, p.192.

114 K. BENYEKHLEF, préc., note 104, p.716 et suiv. À noter que les développements de l’auteur

s’inscrivent dans une théorisation de la mondialisation.

115 Le concept de complémentarité revêt une importance particulière dans le modèle de régulation sociale

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concrètement. Le réseau apparaît alors être à la fois un concept et un modèle d’organisation sociale.

Il faudrait mentionner comme autre apport positif le fait que le fonctionnement d’un réseau se caractérise par la plasticité116, la flexibilité, l’ouverture117, l’interdépendance,

l’absence de hiérarchie. Ces qualités recherchées dans la conception d’un modèle de régulation sociale vont être très utiles pour fonder les relations entre des processus quasi autonomes de traitement des différends. Le réseau est alors utile pour désigner des « organisations décentralisées et faiblement hiérarchiques »118.

Les propos qui précèdent visent à démontrer combien le cadre théorique retenu pour la recherche est cohérent et pertinent. Bien entendu, ce cadre théorique ne peut être considéré comme parfait et chacune des théories en même temps qu’elles recèlent un potentiel intéressant possède des limites119. La recherche a été menée en les prenant en

considération.

II.3. Contribution du projet à l’avancement des