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Nous avons montré que les fonctions d’amplification ESM obtenues à partir des enregistrements de séismes était un formidable outil pour comprendre les effets de site et mieux interpréter les données géophysiques. Celles-ci restent néanmoins capitales compte tenu du fait qu’on ne peut installer qu’un nombre limité de stations permanentes alors qu’une technique comme le H/V peut-être utilisée sur une maille très serrée. Il existe un énorme potentiel pour l’analyse des effets de site à l’aide de réseaux très denses développés par l’industrie pétrolière et désormais utilisés pour la recherche (Bowden et al., 2015). Plus généralement, la décomposition du champ d’ondes en différents types d’ondes de surface et de volume, la détermination de leurs propriétés et de la part d’énergie de chacune doit permettre de mieux interpréter les enregistrements. Les méthodes telles que WaveDec (Maranò et al., 2012) et MUSIQUE (Hobiger et al., 2016) permettent cette décomposition et doivent être mises en œuvre. La détermination et la prédiction de l’atténuation anélastique des sites reste également à développer et pourrait bénéficier de ces méthodes.

L’inversion des propriétés des ondes de surface a besoin de développements car elle nécessite une grande part d’interprétation (et donc d’expérience) de la part de l’utilisateur. Dans la résolution du problème direct, les paramètres peuvent se compenser pour donner les mêmes propriétés des ondes de surface (non-unicité de la solution). Les incertitudes lors de cette inversion sont liées, d’une part, aux incertitudes sur les propriétés des ondes de surface, mais aussi et surtout aux choix de la paramétri-sation du problème. L’incertitude sur les courbes de dispersion est facile à caractériser. En revanche, l’utilisation de la courbe des rapports spectraux H/V pour représenter l’ellipticité des ondes de Ray-leigh est souvent source d’incertitudes difficiles à quantifier. Enfin, contrairement à ce qui est affirmé dans Garofalo et al. (2016b), la façon de paramétriser les couches supérieures et inférieures, au-delà des limites de résolution classiques, a un effet sur les résultats de l’inversion. Ces couches doivent être prises en compte même si le résultat de l’inversion montre que leurs propriétés sont peu ou pas contraintes. Une quantification objective des incertitudes devra donc pouvoir être proposée dans le futur.

Si la modélisation numérique se développe rapidement, elle souffre toujours de deux limitations majeures : 1) son coût si l’on veut modéliser de grandes structures géologiques avec une maille suffi-samment fine pour atteindre des fréquences qui intéressent la sismologie de l’ingénieur (1-10 Hz) ; 2) le besoin en données d’entrée pour ces grands domaines d’étude, la variation en profondeur tout comme leur variabilité latérale. Dans Michel et al. (2014a), nous avons montré que de nombreux sites avaient un comportement 1D pour lequel de tels simulations complexes sont inutiles. Nos travaux permettent de détecter les structures qui mériteraient d’être étudiées à l’aide de modèles 2D/3D. A part la vallée du Rhône qui offre l’exemple le plus clair de résonance 2D en Suisse et qui a fait l’objet de nombreuses études (p. ex. Roten et al., 2008), ces phénomènes ont été observés dans la vallée du Rhin en amont du lac de Constance, la vallée de l’Aar et dans quelques structures de plus petite taille comme des vallées alpines (vallée de la Vispa à St-Nicolas VS) ou des cônes alluviaux (Buchs-Altendorf SG). Des études plus avancées sont envisagées sur ces sites.

Parmi les méthodes d’analyse de la résonance 2D/3D, nous avons proposé d’utiliser les techniques d’analyse modale employées en général pour les structures de génie civil (voir partie 2.3) pour les bassins sédimentaires dans Poggi et al. (2015). La technique employée permet de déterminer de manière précise les fréquences de résonance du bassin, les déformées modales associées, ainsi que l’amortissement. Les déformées permettent d’une part de relier les fréquences de résonance aux modes de propagations des ondes dans les bassins mais elles sont aussi le reflet de la géométrie et des propriétés de la structure. Une inversion de ces propriétés peut donc être envisagée. Enfin, l’amortissement pourrait être utilisé afin de remonter à un modèle d’atténuation anélastique dans la structure.

Enfin, le comportement non-linéaire des sols, pas abordé dans ce document, est critique dans certaines conditions de site. La collecte des paramètres nécessaires à sa modélisation reste à développer, tant en quantité de mesures que dans les types de paramètres mesurés. C’est en outre un aspect déterminant dans le calcul probabiliste du risque sismique : nous avons montré dans Michel et al. (2010c) et dans le projet « Risque sismique du bâti existant » de l’Office Fédéral de l’Environnement que le risque pour les bâtiments les plus résistants dépendait très largement de l’aléa aux longues périodes de retour pour lesquelles la non-linéarité du sol peut avoir un effet déterminant. Se pose également la question du mouvement du sol maximal possible. Cette problématique a été récemment confirmée par Silva et al. (2016) qui intègrent le risque jusqu’à un PGA de 3.5 m/s2, ce qui est plus fort que la valeur maximale enregistrée dans le monde. Dans le cadre du renouvellement du réseau accélérométrique, cet aspect est donc également étudié.

J’ai constitué en Suisse avec mes collègues du groupe de sismologie de l’ingénieur, une base de données regroupant toutes les données sur les sites collectées depuis une vingtaine d’années. Une partie est accessible publiquement sur le site http://stations.seismo.ethz.ch. Elle sera à la base de toutes les études à venir en Suisse sur les mouvements forts, l’aléa, le risque et les effets induits.

Avancées dans la compréhension de la

réponse des structures de génie civil aux

séismes

2.1 Enregistrer les vibrations des structures

Milne (1888) fut le premier à mettre à profit les instruments sismologiques qu’il avait lui-même développés à l’Université de Tokyo afin d’enregistrer des séismes dans des bâtiments. Il note les ca-ractéristiques du bâtiment et du sol de fondation, les amplitudes et les directions et en déduit des généralités en fonction du type de bâtiment et de l’étage d’enregistrement. Omori (1900) poursuit ses travaux en ajoutant la période des ondes enregistrées et indique que les murs « se comportent comme des pendules inversés » et plus tard que les bâtiments sont des « ressorts élastiques » (Omori, 1905). Dès 1894, il enregistre les vibrations du bâtiment du Département de Génie Civil de l’Uni-versité de Tokyo (Omori, 1900) puis du Musée d’Histoire Naturelle (Omori, 1903a) et de la banque Mitsubishi (Omori, 1905). Par ailleurs, il détermine les fréquences de résonance de cheminées (Omori, 1903b, 1918) et de ponts (Omori, 1902, 1903c, 1907b,a, 1910) excités par le vent et le passage des trains.

Hall (1912) développe à son tour à l’Université de Berkeley (Californie) un sismographe capable d’enregistrer ce que l’on peut désormais appeler les vibrations ambiantes des bâtiments. Il est persuadé que des mesures dans de nombreux bâtiments sont nécessaires pour déterminer leurs périodes de vibrations et présente lui-même cinq cas, principalement des bâtiments en briques. Derleth (1921) utilise son instrument pour enregistrer les vibrations d’une tour en construction entre 1914 et 1917 et échange avec Omori à ce sujet en 1918. Après cet échange, Omori semble montrer un regain d’intérêt pour les vibrations des bâtiments et il étudie à son tour l’évolution de la fréquence durant la construction d’une tour-relais (Omori, 1921b), les vibrations d’une tour en brique (Omori, 1921c) et d’une stupa bouddhiste (Omori, 1921a). Il est le premier à enregistrer les vibrations ambiantes d’un bâtiment avant et après un séisme et à en étudier les variations de fréquence (Omori, 1922). Aux Etats-Unis, les enregistrements dans 16 bâtiments de San Francisco sont réalisés avec l’instrument de Hall (Byerly et al., 1931).

En Suisse, de Quervain (1922) fait la démonstration de son sismographe transportable en enregis-trant les vibrations de l’église en béton armé de Fluntern (Zurich, Suisse) alors que les cloches sonnent, mais ne semble pas prêter d’intérêt aux vibrations des structures. Les « Mesures des mouvements d’un bâtiment dans des conditions tranquilles » par Ishimoto et Takahasi (1929) montrent l’étendue des connaissances de l’époque (en français !). Les auteurs insistent sur la connaissance des propriétés élas-tiques des bâtiments pour l’analyse sismique. Ils privilégient les enregistrements avec plusieurs capteurs afin de mieux comprendre le comportement des structures, comme le fait leur contemporain Saida. En 1930, Suyehiro et ses collaborateurs enregistrent (pour la première fois d’après Trifunac, 2009) un fort séisme à la base et sur le toit de trois bâtiments de Tokyo.

Carder (1936a,c) mène entre 1934 et 1936 une campagne de mesures pour l’U.S. Coast and Geodetic Survey dans 336 bâtiments de Californie et 7 du Montana. Dans ce dernier état, il s’agit de structures ayant subi le séisme d’Helena de 1935 afin de mieux comprendre les dommages (Carder, 1936a). Dans le même programme, Carder (1936b) enregistre les vibrations de châteaux d’eau en acier et Carder (1937) celles de ponts. La première relation entre la période des bâtiments et leur hauteur est publiée (Sparks, 1935). Enfin, toujours dans le cadre du programme de l’U.S. Coast and Geodetic Survey, Blume (1935) met au point un excitateur pour forcer les vibrations des bâtiments.

Après la seconde guerre mondiale, les vibrations dans les structures sont à nouveau étudiées au Japon, notamment par Kanai (Kanai et al., 1949; Kanai et Tanaka, 1951; Kanai et Yoshizawa, 1952) et aux Etats-Unis par Housner (Hudson et al., 1952; Alford et Housner, 1953; Hudson, 1962; Housner et Brady, 1963). Ce dernier privilégie l’utilisation d’excitateurs. Pour plus de détails, le lecteur peut se rapporter à Michel (2007).

Si le Japon a déployé tardivement son réseau accélérométrique permanent (section 1.1), il inclut dès l’origine en 1952 des instruments en structures. En 1965, on compte 33 bâtiments instrumentés (ERI, 1965). Aujourd’hui, le Building Research Institute (BRI) japonais exploite 74 réseaux de stations dans des bâtiments. En 1965, la ville de Los Angeles vote une loi obligeant tous les bâtiments de plus de 10 étages à être équipés d’au moins 3 accélérographes. Ainsi, 50 bâtiments instrumentés permettent l’enregistrement du séisme de San Fernando en 1971. En 1972 est lancé le California Strong Motion Instrumentation Program (CSMIP) dont le but est d’obtenir des enregistrements accélérométriques de séismes, notamment dans les structures. 200 stations sont installées dans des bâtiments, 27 dans des barrages et 66 sur des ponts en Californie. En parallèle, au niveau fédéral, l’USGS exploite aujourd’hui 94 réseaux en structure, 69 dans des barrages et 14 sur des ponts à travers le programme NSMP (http://earthquake.usgs.gov/monitoring/nsmp/structures/).

Depuis 1992, Taïwan possède également son programme d’enregistrement de mouvements forts en structures (CWB TSMIP) qui comporte aujourd’hui 58 réseaux en bâtiments. En Suisse, si l’on exclue les centrales nucléaires dont l’instrumentation a commencé en 1970 à Beznau, les premiers accélérographes ont été placés sur le barrage d’Emosson en 1975, avant même les installations en champ libre. Dans les années 1990, 5 barrages-voûtes ont été densément instrumentés (Emosson, Mauvoisin, Grande Dixence, Mattmark et Punt dal Gall), permettant des études internationales (p. ex. Darbre et al., 2000; Chopra et Wang, 2010) mais n’ont pas bénéficié de renouvellement depuis lors. L’Italie a lancé son propre programme au début des années 2000 et compte aujourd’hui 127 bâtiments, 7 ponts et 1 barrage instrumentés (Dolce et al., 2017). En France, le programme NBAP du RAP-RESIF, lancé en 2004, comporte 5 bâtiments instrumentés : l’Hôtel de Ville de Grenoble (Michel et al., 2010a), la Tour Ophite de Lourdes, la tour de la préfecture de Nice, le Centre de Découverte des Sciences de la Terre en Martinique (Guéguen, 2012) et le collège de Basse-Pointe en Martinique. En Nouvelle-Zélande, le programme BIP du réseau GeoNet a instrumenté 11 bâtiments et 3 ponts depuis 2007. D’autres pays possèdent des stations accélérométriques permanentes en bâtiments comme le Chili, le Mexique, la

Grèce, la Turquie, la Roumanie, la Moldavie, la Macédoine ou encore la Chine et la Corée du Sud. En outre, il est de plus en plus aisé de réaliser des instrumentations temporaires de structures afin d’analyser leur vibrations ambiantes : capteurs de plus en plus petits, synchronisation sans fils, etc. Par ailleurs, d’autres techniques voient le jour comme la vibrométrie LASER à longue distance qui pourrait permettre d’acquérir les vibrations de nombreux bâtiments en limitant les déplacements et sans devoir pénétrer dans les structures (Guéguen et al., 2010; Valla et al., 2015).