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Si la question de la dangerosité de cette pratique en détention se pose a priori – pourquoi entraîner des détenus quand le personnel ne le fait pas, les résultats observés démontrent, en ajout d’éléments statistiques livrés par l’administration pénitentiaire, que cette activité, si elle permet la pratique d’une agressivité praxique et kinésique, crée aussi de par son cadre, une tendance franchement observée à l’autorégulation ou contrôle, dans le cadre de la détention. A cette question, des auteurs, Bodin & Debarbieux (2001) ayant travaillé la question de l’euphémisation et ritualisation de la violence dans le sport tentent d’apporter la démonstration que la pratique sportive moderne participe à « l’apprentissage du contrôle et de

l’autocontrôle des pulsions », tout en étant un « espace toléré de débridement des émotions ».

Les causes multiples de cette autorégulation ou contrôle sont en l’état au stade d’hypothèses : pressions de détenus exercées entre eux et crainte du passage à l’acte, pression de la détention elle-même?... Se pourrait-il qu’au vu des passifs des détenus, qu’ils connaissent ou imaginent ou fantasment, ces derniers décident de ne pas se livrer pleinement, et en conscience à des pratiques de combats, pour ne pas s’exposer à de possibles situations conflictuelles, voire de supposées ou réelles vendetta, à l’opposé des pratiques de clubs où les karatékas s’engagent avec plus de ferveur.

« Je crois que la raison peut exercer et exercera une pression sélective dans la bonne

direction »… dit Lorenz (1969, page 314). Croyance se fondant sur des travaux poussés, et

illustrant que l’acquisition de certains comportements peut conduire à l’euphémisation de comportements agressifs, comme chez le loup pour qui il précise reconnaître des inhibitions quasi morales, à refuser de s’entre tuer de meneur à dominé. Le comportement du détenu peut-il s’envisager comme apparenté à cette ritualisation ? Il s’autorégulerait pour s’éviter

En cela, le faire observé à la Maison d’Arrêt de Fresnes et le dire de détenus à la Maison Centrale de Saint Martin de Ré, et de la Maison d’Arrêt de Fresnes semblent se co-valider. Finalement, n’est-ce pas dans la vision des sociétés selon Durkheim (1912, page 628) qu’il convient de trouver une potentielle réponse à la question de l’agressivité admise ou non, pratiquée ou non, licite ou non, d’une société : « la société (…) c’est la force collective qui a

été le prototype du concept de force efficace, élément essentiel de la catégorie de causalité ».

Une société étant aussi constituée selon lui, de l’idée qu’elle se fait d’elle-même, la contrainte éducative serait prépondérante en matière d’éducation à la frustration et à l’inhibition des pulsions primaires.

Les causes multiples de cette autorégulation ou contrôle sont à mettre en parallèle avec les travaux sur la théorie de l’apprentissage moteur. Apprendre le karaté, c’est faire sienne une nouvelle habileté motrice. Si être habile c’est travailler de plus en plus vite, faire plus vite tout en respectant les critères de précision, cela implique, concernant le karaté, intégrer vitesse et appuis dans les frappes, contrôler ces dernières afin de ne pas nuire à l’intégrité physique de son partenaire, et accompagner cela systématiquement d’un code de civilité appelé le salut, selon la FFKDA53 (2015). Des auteurs ont travaillé à ces caractéristiques spécifiques de l’habileté, comme Famose (1990, 1997) et Fleurance (1997). Ce dernier précise que celle-ci se définit par sa finalisation, son automatisme, son efficience, son efficacité et finalement, son acquisition. Schmidt (1993, page 32) ajoute que « l’apprentissage est un ensemble

d’opérations associées à la pratique ou à l’expérience, qui conduisent à des changements relativement permanentes des compétences pour la performance des habiletés motrices ».

Cette autorégulation ou autocontrôle, ou phénomène cathartique, est complexe selon Arnaud & Broyer (1985) car faisant référence aux lois de l’apprentissage, ils précisent que cette

dernière n’interviendrait que si elle est mise en relation avec des facteurs extrinsèques – tels qu’un apprentissage par exemple. La condition d’une inhibition des réponses agressives tiendrait donc dans la capacité d’organiser un apprentissage en lien avec la canalisation de l’agressivité.

Et si au sein de la Maison d’Arrêt de Fresnes, comme d’associations, des pratiquants sont invités à pratiquer une activité de combat – du karaté, il est observé que ces derniers, malgré des degrés divers, sont en capacité de réaliser deux types de savoir-faire : agressivité et civilité. Pour Bordes, Collard & Dugas (2007), on parle aussi de conduite motrice, à acquérir par les pratiquants. Acquis dans le cadre de cette étude, même si elle relève des discriminations, comme vues dans la partie résultat.

Mais ce travail de mise en perspective serait incomplet si l’on n’abordait pas la question de la catégorisation des pratiques et des publics.

Et si une étude ultérieure pouvait livrer, pour des échantillons testés et des groupes témoins, des différentiations possibles quant aux effets après tant d’années de pratiques, après tel grade de karaté acquis, pour tel sexe plutôt que tel autre.

En effet, si nous ne reconnaissons pas comme adaptés les outils utilisés par Nosanchuk (1981) pour valider ses travaux sur la mesure de l’agressivité chez les pratiquants d’arts martiaux, force est néanmoins de constater que ce dernier a mis en place des critères de durée de la pratique, pour finir par observer des baisses de l’agressivité chez les pratiquants. Mais laquelle ? L’agressivité praxique, sportive, licite, ou bien celle jugée nocive à la production de relations sociales équilibrées et épanouissantes pour les parties telle qu’évaluée, par exemple, par le test de Rosenzweig utilisé par Lamarre & Nosanchuk (1999) ?

travail de thèse un élargissement du cas d’étude et une catégorisation plus fine afin de jauger quels peuvent être les effets d’une pratique de long terme, en utilisant, comme vu plus haut l’organisation des examens de grade de la FFKDA.

Quelle agressivité exprimée, licite (praxique et kinésique) et illicite (instrumentale, affective) chez le débutant, chez un niveau ceinture noire 1er dan54 (3 ans de pratique), 2ème dan (5 ans), 3ème dan et plus (8 ans et plus).

Diffèrerait-elle pour un homme, pour une femme, et là encore, pour quel niveau d’expertise et quelle durée dans la pratique ?

Si la question des moyens humains, matériels et financiers peut être dépassée pour étendre cette pratique de karaté en détention à de plus grands nombres de détenus, à la condition que cette pratique les intéresse plus qu’une autre et les retienne dans la durée, ce travail serait donc à poursuivre, en maintenant parallèlement une étude comparée avec le milieu associatif extérieur et le comportement des karatékas qui s’y expriment.