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2.1 - Naissance d’un mythe : le personnage de Sherlock Holmes dans Une

étude en rouge (A Study in Scarlet) de Conan Doyle179

À propos de la forme de la nouvelle, Conan Doyle, juge que le héros du feuilleton ordinaire était pour le magazine moins une aide qu’une gêne puisque, mis en attente, il perdait tout intérêt. Il estime que « le compromis parfait serait un personnage qu’on retrouvât dans chaque feuilleton, et des feuilletons dont chacun se suffit à soi-même »180.

Les modèles, Poe et Gaboriau

Dans son autobiographie, Conan Doyle reconnaît sa dette envers les modèles que furent Poe et Gaboriau181 : « Gaboriau exerçait sur moi une assez forte attraction par sa

façon nette de charpenter un drame, et M. Dupin, le magistral policier [sic] d’Edgar Poe, était l’un de mes héros favori depuis l’enfance. Pouvais-je, aux créations de ces deux auteurs, ajouter la mienne ? »182.

177 Jacques Dubois, Le Roman policier ou la modernité, op.cit., p.140.

178 Au personnage du policier (Lecoq, Cuff) et de l’amateur (le père Tabaret, l’assistant du médecin), s’ajoute ensuite le personnage du journaliste (Rouletabille) particulièrement représenté aux États-Unis dans les films noirs des années quarante.

179 Conan Doyle, Une étude en rouge [1887], trad. Pierre Baillargeon, dans Conan Doyle, Sherlock Holmes, Paris, Éditions Robert Laffont, Collection Bouquins t*, 1987, p.5.

180 Conan Doyle, Ma vie aventureuse, Rennes, Terre de Brume, 2003, p.111.

181 S’il est tentant de considérer le « rouge » du titre français comme une référence à L’Affaire Lerouge, il faut rappeler que la traduction du titre de Gaboriau garde le nom propre en français dans différents pays (The Widow Lerouge/The Lerouge Affair, die Affäre Lerouge, El Caso Lerouge, Il processo

Lerouge/L’Affare Lerouge).

44 Il introduit également les deux personnages historiques dans la fiction romanesque. L’auteur, Holmes et Watson, ont les mêmes références littéraires … que le lecteur, produisant un effet de réel.

Watson : – Vous me rappelez le Dupin d’Edgar Allan Poe. Je ne me doutais pas qu’il existe ailleurs que dans les livres des phénomènes de ce genre.

Holmes : – Eh bien ! à mon avis, Dupin était un type tout à fait inférieur ! [ …] Il avait incontestablement du génie pour l’analyse ; mais il n’était certes pas le phénomène auquel Poe semblait croire ! »

Watson : – Avez-vous lu les romans de Gaboriau ?

Holmes : – Une misérable savate ! [ …] Lecoq n’a pour lui que son énergie.183

L’attitude dépréciative de Holmes met en évidence sa vanité cassante et démesurée. Conan Doyle, affecté par les critiques de certains lecteurs à ce propos, a répondu vivement que « c’était le comble de l’imbécilité que de m’attribuer, de [sa] création, la grossière vanité »184sans sembler se rendre compte qu’il inaugurait « un des

traits les plus marqués de la production romanesque policière [qui] consiste en une référence à d’autres récits et personnages policiers » 185 et qui « se présente toujours,

d’une manière ou d’une autre, comme négative »186. Une Édéléguéetude en rouge propose

ainsi un « contrat de lecture [qui] ne peut donc fonctionner que dans un cadre intertextuel car il n’y a de surprises que par rapport à un horizon d’attente déjà bien établi »187. Le

texte fait date, en ce sens, et inaugure une des conditions du genre. La structure narrative, le modèle Gaboriau

Le recours à l’analepse et le mélange des genres

La structure de ce premier roman policier reprend le modèle de l’analepse utilisée par Gaboriau : la narration de Watson (cinquante-deux pages dans l’édition citée),

183 Conan Doyle, Une étude en rouge, op.cit., pp.20 et 21.

184 Conan Doyle, À un critique sans discernement dans Études en noir, les dernières aventures de

Sherlock Holmes, textes réunis par Peter Hainig, Paris, Archipel, p.218.

185 Uri Eisenzweig, Le Récit impossible, op.cit., p.163. 186 Idem, p.165.

45 s’interrompt pour faire place à celle d’un narrateur omniscient remontant le temps (trente- deux pages), et reprend pour terminer le roman (quatorze pages).188 La forme narrative

ne se cantonne donc pas encore strictement au récit de l’enquête, il s’y mélange des récits d’aventures. Le mélange des deux genres, roman d’aventures et roman policier, s’observe ensuite moins souvent dans les nouvelles dont la taille impose une économie de moyens.

La mise en abyme du mystère

De façon cependant originale, une structure en abyme annonce et renforce le principe du mystère : une petite énigme préliminaire annonce la grande énigme, un mini- texte policier s’installe en négatif à l’intérieur du grand texte.

Holmes est tout d’abord un mystère pour Watson qui, sans le savoir, s’instaure détective et cherche à savoir à quoi servent les compétences de sa nouvelle connaissance : « Je récapitulais mentalement tous les sujets sur lesquels il m’avait semblé bien informé. Je pris même un crayon pour les annoter »189. Il échoue évidemment dans ce qu’il appelle

son « enquête »190, au contraire de Holmes qui lit à livre ouvert le passé ou les pensées de

son compagnon. Même s’il est inefficace dans le roman – puisqu’appliqué par Watson – le principe de cette récapitulation écrite que rédige Watson est repris dans de nombreux romans policiers au moment où l’enquête s’enlise, au bénéfice de l’enquêteur et du lecteur.

Le principe du couple de personnages

De Poe, Conan Doyle reprend le principe du couple que le chevalier Dupin forme avec son ami-narrateur. Socialement, l’un, le docteur Watson, est un ancien militaire, l’autre, Holmes, ne semble pouvoir se glisser dans une quelconque structure. La blessure de guerre, qui explique le retour de Watson à Londres, ne le rend pas seulement inapte physiquement, elle connote péjorativement tout le personnage qui entre dans la catégorie des personnages-embrayeurs, « marques de la présence en texte de l’auteur, du lecteur, ou de leurs délégués »191.

188 Le deuxième roman, Le Signe des Quatre, n’utilise pas la forme de l’analepse mais le long récit du coupable évoquant le passé, aux quatre-cinquièmes du roman, en tient lieu et termine le roman.

189 Conan Doyle, Une étude en rouge, op.cit., p.16. 190 Idem, p.17.

46 Les deux personnages du couple offrent une certaine redondance – docteur ou détective doivent établir un diagnostic192, ils sont tous deux garants de l’ordre établi et de

la morale – en même temps qu’une opposition entre pragmatisme pour l’un et intellectualisme pour l’autre. On doit cependant ajouter, au couple formé par Holmes et Watson, la présence en tiers, discrète mais inconditionnelle, de sa logeuse au pas « majestueux »193, Mrs Hudson. Les policiers incapables de Scotland Yard. Gregson et

Lestrade, constituent un autre couple redondant.

Plus tard, dans l’œuvre de Conan Doyle, le couple formé par Sherlock Holmes et Moriarty, opposés par la morale mais semblables par le génie194, indissociables tels les

androgynes de Platon, meurent enlacés. Sherlock Holmes, un prototype

Un personnage complexe

La représentation du détective est fixée dans ses grands traits dès sa première apparition : son physique, son mode de vie, son goût pour le violon, son caractère, sa façon d’enquêter, ses théories. Conan Doyle, dans le deuxième roman, Le Signe des

Quatre (1890), affine le personnage : il est cocaïnomane et maître en déguisement.

L’addiction est mise en évidence par l’auteur : la description de sa pratique débute195 et

clôt le roman. Certes, l’habitude « irrite » le médecin qu’est Watson mais Holmes, qui en fait l’éloge196, s’en abstient le temps de l’enquête et y revient à la dernière ligne du

192 Mais ceux qu’établit Watson sont toujours erronés, quand il s’agit de détection de crimes. 193 Conan Doyle, Une étude en rouge, op.cit., p.41.

194 On pense au couple du roman de Stevenson, L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, (The

Strange Case of Dr. Jekyll and Mister Hyde, 1886).

195 De façon assez précise, Doyle décrit la prise dans un « avant-bras criblé d’innombrables traces de piqûres » et son effet, « un long soupir de satisfaction », Le Signe des Quatre [1890], trad. Michel Landa, dans Sherlock Holmes, op.cit., p.107.

196 « […] si stimulante pour la clarification de mon esprit », Conan Doyle, Le Signe des Quatre, op.cit., p.108.

47 roman197. Au fur et à mesure des publications, l’auteur lui attribue un frère génial198 ou

une expertise en apiculture199 sans modifier profondément le personnage.

Ses méthodes d’observations attentives et son aptitude à se déguiser ressemblent à celles de Lecoq, tandis qu’il partage avec Dupin une tendance à faire étalage de ses propres compétences sans chercher, comme le chevalier, à se mettre à la place du coupable.

Ses excentricités et ses connaissances le classent dans la catégorie des héros exceptionnels. Sa capacité à se déguiser au point de tromper Watson lui-même200, le range

dans la catégorie des super-héros. . Il nous est supérieur par nature.201

Une adéquation avec les préoccupations scientifiques de son temps

L’intérêt scientifique du dix-huitième siècle se prolonge au dix-neuvième dans tous les domaines. Lecteur, enfant, de Jules Verne202, Conan Doyle rappelle « que c’était

l’époque où nous avions pour maîtres de philosophie Huxley, Tyndall, Darwin203, Herbert

Spencer, John Stuart Mill »204. En 1912, dans Le Monde perdu (The Lost World), il crée

le personnage du professeur Challenger « reflet vivant de l’image du scientifique au tournant du siècle » qui se réclame d’Alfred Russel Wallace et de Henry Walter Bates205

197 « Et il allongea sa longue main blanche pour se servir », Conan Doyle, Le Signe des Quatre, op.cit., p.208. Holmes assimile les satisfactions que lui procure la drogue à celles que Watson trouve dans le mariage.

198 Dans L’Interprète grec (première parution en 1893 dans The Strand Magazine). 199 Sherlock Holmes, Paris, Robert Laffont, Collection Bouquins t. **, 1987, p.681.

200 « C’était un homme âgé […] Il marchait voûté, ses genoux tremblaient, et il respirait avec la gêne visiblement douloureuse d’un asthmatique », Le Signe des Quatre, op.cit., pp.170 et 171.

201 Dans la classification de Northrop Frye, voir Paul Ricœur, Temps et récit 2, Paris, Éditions du Seuil, 1984, « Les métamorphoses de l’intrigue », p.33

202 Conan Doyle, Ma vie aventureuse, op.cit., p.22.

203 Sherlock Holmes évoque Darwin à propos de la musique ayant précédé la parole dans Une étude en

rouge, op.cit., p.38.

204 Conan Doyle, Ma vie aventureuse, op.cit., p.40.

205 Hélène Machinal, Conan Doyle : de Sherlock Holmes au professeur Challenger, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p.285. Alfred Russel Wallace est le co-fondateur de la théorie de l’évolution, l’un des fondateurs de la zoogéographie, élève de Henry Walter Bates. http://www.universalis.fr/encyclopedie/alfred-russel-wallace/, consulté le 11/03/2017.

48 Wilkie Collins, dans La Pierre de lune, avait introduit le personnage du médecin dont les compétences scientifiques suggéraient une comparaison avec celles que devrait avoir un détective. Médecin lui-même, Conan Doyle prête à Holmes un intérêt pour toutes les nouvelles découvertes scientifiques ainsi que des compétences scientifiques équivalentes à celles possédées par le médecin.

Dès le premier roman, Sherlock Holmes travaille en laboratoire, c’est un spécialiste en toxicologie comme en cendres de cigares. Par la suite, il s’intéresse à l’anatomie, la physiologie, la pathologie, la graphologie, la cryptologie, la minéralogie, la physique et à la chimie « discipline reine du domaine scientifique holmésien »206.

Les méthodes du personnage littéraire devancent même celles des spécialistes qui lui rendent hommage : « Bertillon et Edmond Locard, un autre pionnier en médecine légale et en criminologie en France, attribuèrent quelques-unes de leurs propres innovations à la lecture des histoires de Sherlock Holmes »207.

Le personnage de Holmes est en adéquation avec son temps qui voit « l’émergence de la criminologie et de la médecine légale, deux disciplines importantes dans le traitement du crime et dans l’établissement d’un genre littéraire populaire distinct »208. Même les préoccupations politiques montantes au sujet du contrôle du vaste

Empire Britannique sont concernées par les méthodes du détective209.

206 Nous empruntons l’énumération de toutes ces disciplines à l’article de Philippe Jaussaud, professeur au laboratoire S2HEP (Université Claude Bernard, Lyon 1), Sherlock Holmes : Sciences et récit (https//halsh.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/…/Sherlock_Holmes_science.rtf).

207 Ronald R. Thomas, op.cit., p. 185, « Bertillon and Edmond Locard, another pionner in forensic medicine and criminology en France, attributed some of their own innovations to their reading of the Sherlock Holmes stories ».

208 Idem, p.183, « […] the emergence of criminology and forensic science as important new disciplines in the treatment of crime and to the establishment of detective fiction as a distinct and popular literary genre ».

49 Le personnage échappe à son créateur, paratexte, réception et transfiction

Les illustrations210 font partie du paratexte, tel que Gérard Genette l’a défini211,

qui ajoute que « le destinateur d’un message paratextuel […] n’est pas nécessairement son producteur ». Nous nous attardons sur l’effet paratextuel dû aux illustrations de Sidney Paget dans le Strand Magazine dans la mesure où c’est un effet que l’on retrouve, d’une autre manière, dans la perception par le public du personnage de l’enquêteur dans le roman de Dashiell Hammett, The Thin Man.

Watson est insignifiant et la description qu’en fait Holmes est assez vague212. Pour

imaginer le physique du narrateur, le lecteur est tenté de se servir du principe d’opposition binaire213 et est ainsi amené à dessiner un portrait en creux de Watson en tout point opposé

à Holmes214. En revanche, ce dernier est décrit avec précision par Watson :

Il mesurait un peu plus d’un mètre quatre-vingts, mais il était si excessivement mince qu’il paraissait beaucoup plus grand. Ses yeux étaient vifs et perçants […] Son nez aquilin et fin donnait à sa physionomie un air attentif et décidé. La forme carrée et proéminente de son menton indiquait aussi l’homme volontaire215.

Cependant, l’illustrateur du Strand Magazine, Sidney Paget, aurait pris modèle sur son frère dont la beauté (voir document en annexe, page 516) dit l’auteur, « se substitua à la laideur plus énergique de Sherlock, et ce fut peut-être aussi bien du point de vue de mes lectrices. Le théâtre n’a fait que se conformer au type créé par l’illustrateur »216. La

réaction de Conan Doyle fait supposer que le paratexte éditorial lui a échappé :

210 Voir le chapitre 2, Prose Pictures dans Kamilla Elliott Rethinking the Novel/Film Debate [2003], Cambridge, Cambridge University Press, 2009, consacré au problème de l’illustration de la littérature victorienne.

211 Gérard Genette, Seuils, Paris, Éditions du Seuil, 1987, p.8. 212 Conan Doyle, Une étude en rouge, op.cit., p.20.

213 Don Quichotte et Sancho Pança en sont le modèle.

214 Nous observerons que les adaptations cinématographiques ont repris ce choix, particulièrement évident dans le couple d’acteurs formé par Basil Rathbone et Nigel Bruce pour quatorze films de 1939 à1946.

215 Conan Doyle, Une étude en rouge, op.cit., p.14. 216 Conan Doyle, Ma vie aventureuse, op.cit., p.122.

50

Je dois dire que pas une des représentations qu’on a faites de Holmes, pas un des portraits qu’on en a dessinés ne ressemble à ma conception première du personnage […] Tel que je l’imaginais, il avait une figure en lame de couteau, un grand nez en bec de corbin et deux petits yeux très rapprochés.217

Par un « grand nez en bec de corbin », Conan Doyle suggérait le rattachement du personnage au monde animal, sinon au monde de la chasse. C’est par le port de la

deerstalker que l’illustrateur le fait218 (voir document en annexe, page 517). La casquette

à double visière fut adoptée au théâtre par l’acteur William Gillette219, imposant ainsi un

accessoire absent des textes de Doyle. Bien que relativement rare dans les illustrations, cette casquette à double visière est néanmoins devenue synecdoque du détective pour la postérité, tout comme « la pipe »220 et la « grosse loupe ronde »221, autres accessoires de

Holmes dans sa représentation, mais bien dus, eux, à son créateur222.

D’autre part, Conan Doyle avoue lui-même n’avoir « jamais bien compris à quel point Holmes était, pour le lecteur naïf, une personne réelle et vivante » 223. Il semble

réduire son personnage à « une machine à calculer ; tout ce qui s’y ajoute ne sert qu’à affaiblir l’effet ». Or si le succès initial de Holmes provient des capacités de Holmes à résoudre presqu’abstraitement les énigmes, le succès durable et l’accession au rang de mythe semble être dû aux détails qui s’y ajoutent : l’adresse londonienne, la cocaïnomanie, la pratique du violon …

Si le personnage a été cru personnage historique du vivant de son créateur, par certains lecteurs « naïfs », il atteint au statut de mythe lorsqu’il donne lieu à de nombreux commentaires, biographies, contestations de la part de lecteurs « lettrés » réunis en

217 Conan Doyle, Ma vie aventureuse, op.cit., p.122.

218 Dans Le Mystère du Val Boscombe(1891) ou Flamme-d’Argent (1892) parus dans The Strand Magazine, en particulier. Voir le site https://archive.org/details/TheStrandMagazineAnIllustratedMonthly

219 Études en noir, les dernières aventures de Sherlock Holmes, op.cit., note 4 p.275. 220 Une étude en rouge, op.cit., p.20.

221 Idem, p.30.

222 Cet effet s’exerce sur la perception du personnage par le lecteur mais également sur sa représentation dans les adaptations cinématographiques.

51 association224. Richard Saint-Gelais225cite un grand nombre d’œuvres transfictionnelles

dont nous donnons quelques exemples, que ce soient des « expansions » qui comblent une lacune narrative ou qui mettent en scène des personnages secondaires226, des

« croisements » liant Sherlock Holmes à d’autres personnages littéraires227 ou d’autres

fictions228, des « versions » qui revisitent une histoire229, ou des « biographies »230.

Combinant l’expansion (la suite) et la version (le narrateur n’est pas Watson), on peut citer Les Abeilles de M. Holmes (Slight Trick of the Mind A) de Mitch Cullin, paru en 2005.231

2.2 - Après Sherlock Holmes, du prototype au type

Sherlock Holmes, devenu aussi bien « un quasi-héros national qu’un phénomène littéraire sans précédent »232, en tandem avec un témoin-narrateur incompétent, impose

un modèle auquel se confrontent les écrivains qui suivent Conan Doyle, même s’il faut garder à l’esprit ce que le personnage de Holmes lui-même et son association avec un narrateur doivent à Poe et à Gaboriau.

Nous ne relèverons que quelques figures d’enquêteurs dans la littérature policière de langue anglaise dans lesquelles nous observerons la conformité au prototype, ou l’effort de s’en distinguer, et la reprise, ou non, de l’organisation du personnel

224 Une recherche sur Internet fournit, dès les premières pages, les sites des « Sherlock Holmes Society » (http://www.sherlock-holmes.org.uk/), « Sherlock Holmes Society of England » (http://www.sherlock- holmes.co.uk/society), de la Société Sherlock Holmes de France (http://www.sshf.com/) … Il existe également un « Bakerstreet Journal » (http://www.bakerstreetjournal.com/).

225 Richard Saint-Gelais, Fictions transfuges, la transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Éditions du Seuil, 2011

226 Respectivement, Le Mandala de Sherlock Holmes (Jamyang Norbu, 1999), p.85 ou Elementary, Mrs

Hudson (Sydney Hosier, 1996), p.95.

227 Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (Maurice Leblanc, 1908), p. 201 ou Sherlock Holmes contre

Jack l’éventreur (Ellery Queen, pseudonyme de Frederic Dannay et Mandfred B. Lee), p.204.

228 Sherlock Holmes and the Drood Mystery (Edmund L. Pearson, 1914), p.220. 229 L’Affaire du chien des Baskerville (Pierre Bayard, 2008), p.169.

230 Sherlock Holmes of Baker Street. A Life of the World’s First Consulting Detective (WS. Baring-Gould, 1962), Richard Saint-Gelais, op.cit., p.102.

231 Adapté au cinéma en 2015 par Bill Condon sous le titre Mr. Holmes.

232 Ronald R. Thomas, op.cit., p.185 : « a virtual national hero as well as an unprecedented literary phenomenom ».

52 romanesque de Doyle. Il s’ensuit plusieurs cas de figures : l’enquêteur va être en marge de la police ou au contraire en faire partie ; ses aventures seront narrées par un narrateur intra-diégétique formant couple avec lui, une instance extra-diégétique ou l’enquêteur lui- même ; les excentricités qui forment le fond du personnage de Conan Doyle vont être l’objet d’équivalences ou bien refusées au nouveau personnage etc.

Chronologiquement, les années 1900 voient apparaître le personnage du Dr Thorndyke, les années 1910 ceux du Père Brown et de l’Oncle Abner, les années 1920, les personnages d’Hercule Poirot, Charlie Chan, Philo Vance. Les personnages de Miss Marple ou de Nero Wolfe apparaissent dans les années 1930 alors qu’une rupture s’est déjà opérée avec l’émergence du roman hard-boiled et l’arrivée des enquêteurs de Dashiell Hammett233.

Il faut noter que si le personnage de Holmes se réfère à Dupin et Lecoq en les