2.2. Traitement des Perceptions
2.2.1. Perceptions, cognition et métacognition
2.2.3. Perceptions et gestes ... 37 2.2.4. Connaissances perceptivo-gestuelles ... 38 2.2.5. Positionnement ... 39
2.3. Acquisition des Connaissances... 39
2.3.1. Acquisition des connaissances par l analyse cognitive de tâches ... 39 2.3.2. Acquisition automatique des connaissances ... 40 2.3.3. Fouille de données éducationnelles ... 41 2.3.4. Positionnement ... 42
2.4. Modélisation des Connaissances du Domaine et de l’Apprenant ... 42
2.4.1. Traçage de modèle ... 42 2.4.2. Modélisation orientée contraintes ... 44 2.4.3. Modélisation orientée contrôles ... 45 2.4.4. Diagnostic des connaissances de l apprenant ... 45 2.4.5. Positionnement ... 47
2.1. L
ESS
YSTEMET
UTORIELSI
NTELLIGENTS2.1.1.Introduction
Les Systèmes Tutoriels Intelligents (STI) sont des Environnements Informatiques pour
l’Apprentissage Humain (EIAH) intégrant des paradigmes de l intelligence artificielle
[Brusilovskiy, 1994 ; Woolf, 2010]. De manière générale, les EIAH visent à améliorer les méthodes
d apprentissage en mettant en œuvre des connaissances et compétences pluridisciplinaires se
rapportant notamment à la modélisation computationnelle et aux modèles d apprentissage
humain. Historiquement, dautres termes faisant référence aux environnements d apprentissage
ont précédé ce dernier au fil des évolutions de la recherche dans le domaine. L évolution
terminologique d'Enseignement Assisté par Ordinateur (EAO) à Enseignement Intelligemment
Assisté par Ordinateur E)AO dénotait l apparition de fonctionnalités interactives [Wenger, 1987]. Le concept d E)A( élargit le champ d étude à l apprentissage humain dans toutes ses
déclinaisons tels que lenseignement, la formation, lautodidaxie, la diffusion de connaissances, etc. [Cottier et al. 2008]. Les termes Enseignement Intelligemment Assisté par Ordinateur (EIAO) et Systèmes Tutoriels )ntelligents font référence à l utilisation des techniques de l )ntelligence Artificielle dans les E)A( dans le but de prendre en compte le profil de l apprenant et d adapter les services tutoriels en ce sens [Brusilovsky & Peylo, 2003].
L Association américaine pour l Avancement de l )ntelligence Artificielle AAA) définit les
Systèmes Tutoriels Intelligents comme « des logiciels éducatifs contenant des composants
d’intelligence artificielle. Ces logiciels tracent le travail des apprenants pour pouvoir leur fournir des
rétroactions et un guidage adaptés. La collecte d’information relative aux performances d’un apprenant permet aux logiciels éducatifs d’inférer ses points forts et ses points faibles et de lui
suggérer des travaux additionnels ». (AAAI, AI Topics/Intelligent Tutoring Systems).
Les Systèmes Tutoriels Intelligents visent en effet à offrir des services tutoriels adaptatifs aux apprenants [Benyon & Murray, 1993]. Cette dimension adaptative se conçoit par la production de services tutoriels au plus proche de l état des connaissances de l apprenant. Pour atteindre cet objectif, le système tutoriel doit pouvoir inférer le profil de l apprenant à partir de ses performances et, éventuellement, de son comportement en situation d apprentissage. Les données ainsi recueillies servent à construire le modèle de l apprenant. Le diagnostic et
l évaluation des connaissances de l apprenant sont réalisés à la lumière des connaissances du
domaine représentées dans le module « modèle du domaine ». La transmission des connaissances
du domaine à l apprenant, l évaluation de leur acquisition et le guidage didactique et pédagogique adéquat se réalisent sur la base d un paradigme d enseignement représenté dans le module « modèle pédagogique » du STI. Enfin, une interface utilisateur, le « module de communication »
permet à l apprenant d interagir avec le système et d avoir accès aux résultats des interactions
entre les modules du système.
Pour résumer, le STI produit des services tutoriels dont le contenu est tiré du modèle du domaine,
formaté de manière à correspondre au profil de l apprenant et présenté selon les stratégies du modèle pédagogique. La figure . illustre les interactions entre l apprenant et les différents modules d un ST) et les flux d échange entre les modules. Ces modules constituent les composants de base de tout STI [Dede, 1986 ; Wenger, 1987 ; Nwana, 1990]. Nous les décrivons plus en détails dans les sections suivantes.
Figure 2.1. Architecture g ale d’u S st e Tuto iel I tellige t (adaptée de Nwana, 1990])
2.1.2.Le module de communication
Le module de communication constitue l interface du ST) à partir de laquelle l apprenant interagit
avec les différents modules du système. Le rôle de ce module est d offrir les fonctionnalités qui
rendent possibles des activités d apprentissage en cohérence avec le modèle pédagogique nous
décrivons plus loin dans cette section le module « modèle pédagogique » du STI). En fonction du
domaine et des services tutoriels visés, l interface doit pouvoir capter les performances
épistémiques et, au besoin, le comportement et les gestes de l apprenant de manière à pouvoir
inférer ses émotions ou ses perceptions [ex : Solis et al. 1999 ; Smilek et al. 2010 ; Luengo et al.
2011 (a) ; Aguirre et al. 2014].
Pour faciliter les interactions entre l apprenant et le système tutoriel, certaines interfaces intègrent des fonctionnalités d interactions « naturelles » telles que, par exemple, des fonctionnalités de traitement automatique des langues [Burton & Brown, 1986 ; Graesser et al.
2008 ; Evens et al. ]. D autres interfaces utilisent des périphériques de réalisation de gestes permettant d enregistrer des interactions liées à des habiletés motrices ou des périphériques de détection sensorielle permettant d inférer les perceptions liées à l activité d apprentissage [ex. :
O Malley et al. 2006 ; Zhou et al. 2012 ; Lallé & Luengo, 2011] ou encore de produire des
rétroactions sensorielles destinées à faciliter l apprentissage [ex. : Luengo et al. 2011 (a) ; Sigrist
et al. 2012].
Le rôle de l interface est aussi de permettre à l apprenant d avoir accès aux résultats des interactions entre les différents modules du système [Nwana, ]. )l s agit par exemple, de
recevoir les rétroactions adaptatives calculées par le modèle pédagogique sur la base des
informations fournies par le modèle de l apprenant ; ou encore, par exemple, dans un
apprentissage favorisant la métacognition, de permettre à l apprenant de consulter les résultats
de la modélisation de ses performances par le système [Bull et al. 2006].
2.1.3.Le module « od le de l’app e a t »
Le modèle de l apprenant est une représentation du profil de l apprenant déduit par le système tutoriel. Le profil de l apprenant peut se concevoir au niveau épistémique et au niveau
comportemental [Wenger, 1987]. Au niveau épistémique ; les données recueillies dans
l environnement d apprentissage servent à inférer l état des connaissances de l apprenant. Ces
ainsi que les connaissances empiriques et tacites à l instar des gestes liés à des habiletés
motrices).
Au niveau comportemental, les données visées servent à inférer la métacognition, à savoir la
capacité de l apprenant à autoréguler son activité d apprentissage [Conati & Merten, 2007]. Elles
servent aussi à inférer des émotions liées à l activité d apprentissage telles que, par exemple, la frustration ou le découragement dus aux difficultés rencontrées au cours de l activité d apprentissage ou encore la motivation démontrée pour l activité d apprentissage [ex : Solís et al.
2000 ; Smilek et al. 2010].
Le modèle de l apprenant peut aussi inclure des données perceptuelles. En effet, les perceptions
peuvent constituer des indicateurs forts de certaines émotions [ex : Steichen et al. 2013] ou encore représenter des facettes spécifiques de connaissances multimodales [Luengo et al, 2004 ; Lemole
et al. 2007 ; Zhou et al. 2012].
Nous faisons une revue de la littérature de l exploitation de ces différents éléments dans la
modélisation de l apprenant dans la section . .
2.1.4.Le module « modèle du domaine »
Dans le champ des systèmes tutoriels intelligents, le module « modèle du domaine » ou encore le module « modèle expert », comprend une représentation des connaissances et des compétences expertes d un domaine pouvant être transmises par des méthodes didactiques et pédagogiques [Nwana, 1990]. Ces connaissances et compétences sont décortiquées de manière à faciliter leur représentation sous forme de faits, principes ou règles suivant une hiérarchie généralement basée sur leur complexité [Tardif, 1998], et de manière à faciliter une acquisition incrémentale dans un processus d apprentissage [Self, ].
Le modèle du domaine fournit aussi au système tutoriel une base de référence pour inférer l état des connaissances de l apprenant. Ce service tutoriel constitue le « diagnostic des connaissances »
de l apprenant [Guzmán & Conejo, ]. D autres services tutoriels, tels que les suggestions d aides à la résolution de problèmes et le guidage didactique et pédagogique, tirent aussi leur contenu du modèle du domaine.
Selon les domaines, la modélisation des connaissances peut être plus ou moins fastidieuse, exhaustive ou ouverte. Par exemple, les domaines impliquant uniquement des connaissances déclaratives (ex : les mathématiques) sont plus faciles à modéliser que des domaines impliquant des connaissances empiriques et/ou procédurales (ex : pilotage d avion . De même, une
modélisation exhaustive peut être réalisée pour des domaines définis par un cadre théorique fixe (ex : la biologie alors que le modèle de connaissances d un domaine mal-défini peut être incrémenté indéfiniment (ex : le droit . Nous détaillons les méthodes d acquisition et de
modélisation des connaissances du domaine dans les sections 2.3 et 2.4 du manuscrit.
2.1.5.Le module « modèle pédagogique »
Le module « modèle pédagogique » ou encore « modèle tuteur » comprend la formalisation des approches didactiques et pédagogiques devant sous-tendre les services tutoriels que fournit le STI. Ces approches se regroupent principalement sous deux paradigmes : le paradigme
Le paradigme d enseignement place le tuteur au centre des scénarios pédagogiques en ce sens
qu il est responsable du choix de la pratique pédagogique qu il juge optimal. Ce paradigme est
porté par des théories behavioristes et cognitivistes qui privilégient l enseignement explicite et
systématique visant non seulement l apprentissage des connaissances, mais également
l apprentissage de stratégies cognitives et métacognitives [Pressley, 1995 ; Rosenshine, 1997].
De l autre côté, le paradigme d apprentissage place l apprenant au centre des scénarios
pédagogiques et lui attribue la responsabilité de ses apprentissages. En effet, ce paradigme se base sur la théorie constructiviste qui privilégie des apprentissages qui se réalisent en fonction des
intérêts de l élève et selon son rythme, ses capacités et ses méthodes d apprentissage [Jonnaert, 1996, Tardif, 1998]. Lapprentissage par simple transmission ou présentation de connaissances
du tuteur à l apprenant est écarté au profit d une acquisition des connaissances basée sur les expériences et les situations de résolution de problèmes, qui permettent à l apprenant de
découvrir par lui-même l objet de ses apprentissages et de lui attribuer ainsi une signification qui lui est propre.
Les deux paradigmes s opposent aussi du point de vue de l évaluation des connaissances. Le
paradigme de l enseignement pratique une évaluation formative dont l objectif est d identifier les acquis des connaissances de l apprenant et d y remédier et une évaluation sommative visant à noter l ensemble des acquis de l apprenant en vue, éventuellement, d une certification [Clermont
et al. 2008]. Le paradigme d apprentissage pratique une évaluation dite « authentique » [Tardif, 1993]. La mesure de composantes isolées d une compétence est évitée, ainsi que la mesure de
compétences en dehors d un contexte spécifique. Les évaluations se réalisent sur des tâches complètes et contextualisées telles que par exemple des projets, des simulations ou des problèmes réels à résoudre.
Dans le domaine des systèmes tutoriels intelligents, les approches de modélisation du domaine dites par « traçage de modèles » ou les approches basées sur les systèmes experts exploitent généralement une stratégie pédagogique cognitiviste. Les approches de modélisation orientées contraintes et orientées contrôles privilégient pour leur part une démarche pédagogique constructiviste. Nous discuterons plus en détails de ces approches dans la section 2.4 du manuscrit.
2.1.6.Positionnement
Le cas d étude de cette thèse est TELEOS, un STI dédié à la chirurgie orthopédique percutanée [Luengo et al. 2011 (a)]. L interface de TELEOS offre un espace de simulation permettant à
l apprenant, l interne en chirurgie, de s entrainer à la manipulation des outils chirurgicaux. La
chirurgie orthopédique percutanée est un domaine mal-défini impliquant des connaissances perceptivo-gestuelles (la section 4.1 présente une description détaillée des spécificités du domaine).
Pour capter les gestes de l apprenant et son comportement lié aux perceptions, l interface est
complétée de périphériques de détections sensorielles et de simulation des gestes chirurgicaux.
Les données exploitées pour la modélisation de l apprenant sont les traces enregistrées à partir de ces périphériques et de l interface de simulation. Elles permettent d inférer les performances épistémiques et les perceptions de l apprenant. Le modèle du domaine a été conçu par une approche de modélisation orientée contrôles. Nous faisons une présentation générale de cette approche dans la section 2.4.4 et une description détaillée relative à son application dans TELEOS,
dans la section 4.2.2. Par ailleurs, nous discutons des limites des approches classiques de modélisation pour les domaines mal-définis dans le chapitre 3 du document.
La stratégie didactique et pédagogique de TELEOS se base sur le paradigme de l apprentissage
constructiviste. Les services tutoriels sont conçus de manière à ne pas maintenir
systématiquement l apprenant au plus près du comportement expert. L objectif est de permettre au système d analyser et de comprendre les conceptions propres de l apprenant en amont de manière à lui apporter un guidage didactique et pédagogique qui en favorise le renforcement et
l évolution.
2.2. T
RAITEMENT DESP
ERCEPTIONSLes perceptions auxquelles nous nous intéressons dans ce travail sont les modalités sensorielles exploitées dans un contexte d apprentissage. Hors du cadre pédagogique, cela inclut tous les sens
par lesquels chacun récupère les informations nécessaires à l analyse et la compréhension du
phénomène à appréhender. Dans le domaine de l apprentissage assisté par ordinateur, les
perceptions sont utilisées dans de nombreuses études pour analyser différents aspects de
l activité et du processus d apprentissage.
2.2.1.Perceptions, cognition et métacognition
Le concept de métacognition est défini comme un processus cognitif dont l objectif est de mettre
en œuvre une autoréflexion sur l assimilation du matériel didactique et une autorégulation de l acquisition de la connaissance par l apprenant [Schneider, ].
Conati & Merten (2007) ont mis en avant l utilisation des perceptions visuelles pour analyser la
capacité de l apprenant à réaliser cette autorégulation de son apprentissage dans un contexte d exploration libre de l interface d un ST) et sa capacité à s auto-expliquer le matériel didactique disponible. Les évaluations effectuées ont démontré que les informations visuelles recueillies en temps-réel sur l interface d un E)A( dédié à l apprentissage des fonctions mathématiques, permettent de mieux modéliser les habiletés métacognitives de l apprenant comparées à la seule
utilisation des actions exécutées sur l interface du STI. En effet, cette information perceptuelle supplémentaire permet de réaliser une modélisation plus complète du comportement
exploratoire de l apprenant et par conséquent fournit plus de pistes pour la production d un
support didactique et pédagogique adaptatif et in fine l amélioration de l acquisition des
connaissances.
Le concept du Modèle Ouvert de l Apprenant (Open Student Model) [Bull et al. 2006] vise à
encourager l activité métacognitive de lapprenant en lui permettant de consulter son propre
modèle de l apprenant tel qu il est produit par un système tutoriel. [Mathews et al. 2012] se sont
posé la question de la compréhension effective de l apprenant des modèles mis à sa disposition. Là encore, les perceptions visuelles sont utilisées pour pouvoir déduire la compréhension de
l apprenant de son propre modèle et déterminer ainsi l efficacité de l activité métacognitive.
Certains chercheurs orientent plutôt leurs études sur l utilisation des perceptions comme indices
des capacités cognitives de l apprenant. Par exemple Steichen et al. (2013) appliquent l utilisation des perceptions visuelles à la production d analyses sur le comportement et la cognition liés au domaine de la visualisation d information. L objectif est d exploiter des données oculométriques
déduire trois types de capacités cognitives de l utilisateur : la vitesse perceptuelle (une mesure de la vitesse de réalisation de taches perceptuelles simples), la mémoire visuelle de travail (une
mesure de la capacité de rétention et manipulation d information visuelle et spatiale) et la mémoire verbale de travail (une mesure de la capacité de rétention et de manipulation
d information verbale). Les principales fonctions oculométriques utilisées sont les taux de
fixations, le nombre de fixations, la durée des fixations la longueur de l espace situé entre deux
fixations (aussi appelé « saccade ») et les angles relatifs et absolus des saccades.
Certains travaux utilisent aussi les informations perceptuelles recueillies pour détecter l effort déployé par l apprenant. C est le cas par exemple des recherches rapportées par [Lach, 2013] qui
utilisent les données oculométriques pour l analyse et la quantification de l effort cognitif déployé par l apprenant en situation d évaluation. La principale fonction utilisée dans le cadre de cette étude se démarque des autres en ce sens qu elle est physionomique. )l s agit en effet du diamètre
pupillaire. En effet, dans ce travail, il a été observé que la dilatation de la pupille est fonction de
l effort mental de l apprenant. Elle permet de définir un «indice de l activité cognitive » qui constitue une mesure de la charge mentale que représente le problème en cours de résolution par
l apprenant [Marshall, ].